Ces noms russes de la Résistance française

Histoire
MARIA TCHOBANOV
Distribuer des tracts, devenir membre d’une organisation clandestine aidant les combattants ou prendre les armes et rejoindre le front... Poussés par l’indignation face à l’occupation de leur pays d’accueil, ou ne pouvant supporter l’idée de l’invasion de leur Patrie, de nombreux immigrés russes ont joué leur rôle dans le combat contre le nazisme sur le sol de France et en Europe.

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Après les événements de 1917-1922, entre un et deux millions de sujets de l'ancien Empire russe se sont retrouvés en dehors des frontières de leur pays, devenant ce que l’on appelle la diaspora russe. Et bien que cette Russie en exil était profondément attachée à la mère-partie, elle était loin d’être homogène du point de vue des convictions politiques.

Ainsi, au moment de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie en 1940, l’Hexagone comptait sur son sol environ 64 000 Russes et 13 800 naturalisés d’origine russe, d’après les données du recensement mené en 1936. À la veille de la guerre, les émigrés sont regroupés en plusieurs mouvements politiques et de nombreuses organisations paramilitaires.

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe a mis l'émigration devant un choix difficile : maintenir une position attentiste et neutre, participer aux hostilités aux côtés de l'Allemagne nazie, ou se ranger du côté des combattants contre les agresseurs.

« S'enrôler dans l'armée, au moins en tant que soldat »

Ce problème s’est posé de façon particulièrement aiguë en mai-juin 1940, lorsque des batailles entre les troupes allemandes et les forces armées alliées ont éclaté et se sont soldées par la déroute de ces dernières. La défaite militaire rapide et écrasante de la France a fait une énorme impression sur la diaspora russe. Certaines personnalités, comme les généraux Krasnov et Chkouro, sont allées du côté d'Hitler – des émigrés russes collaborationnistes comptaient sur Berlin pour anéantir le pouvoir soviétique. Cependant, l'invasion allemande de leur pays d’accueil a inspiré la plupart des exilés à combattre les envahisseurs.

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Dans un premier temps, les émigrés russes, en règle générale en petits groupes, ont rejoint les organisations clandestines naissantes de la Résistance. Tout le monde connaît les noms de Boris Vildé et Anatoli Levitski, fils d'émigrés russes, jeunes scientifiques-ethnographes qui ont travaillé au musée de l’Homme à Paris. À partir de décembre 1940, y est publié un journal clandestin, Résistance. Certains assurent que le nom de l'édition a par la suite été emprunté par l'ensemble du mouvement de la résistance en France. Le manque d'expérience en matière du travail clandestin conduit à l'échec et à la défaite du groupe en février 1941.

La démarcation définitive de l'émigration russe a eu lieu le 22 juin 1941. Après l'invasion des troupes nazies sur le territoire de l'URSS, beaucoup ont commencé à se tourner vers l'ambassade et les consulats soviétiques en France en demandant de leur accorder la citoyenneté et de leur permettre de rejoindre l'Armée rouge, comme l’a fait le jeune Prince Obolenski. En conséquence, de nouvelles arrestations se sont abattues sur la colonie russe. Aux yeux des nouvelles autorités françaises, les émigrés étaient des alliés de l'URSS. Cela a contribué à l'éveil dans le milieu russe des sentiments anti-allemands.

De nombreuses personnalités émigrées, telles que l’« eurasiste » Savitski, le philosophe Berdiaïev,  les écrivains Bounine et Remizov, ou encore le général Makhrov, ont pris la position du « défencisme ». En 1953, Makhrov écrivait dans une lettre, adressée à un ancien frère d’arme, le colonel Koltychev : « Le jour où les Allemands ont déclaré la guerre à la Russie, le 22 juin 1941, a eu un effet si fort sur tout mon être que le lendemain, le 23, j'ai envoyé une lettre recommandée à Bogomolov (ambassadeur soviétique en France), lui demandant de m'envoyer en Russie pour m'enrôler dans l'armée, au moins en tant que soldat ». La lettre a été interceptée, le général Makhrov a donc été arrêté par les autorités françaises et emprisonné dans le camp de Berne.

Les grands noms russes de la Résistance

La résistance russe a produit de nombreux noms merveilleux. Mère Marie, poétesse, religieuse, fondatrice de l'organisation « Action orthodoxe », qui a accueilli tous ceux qui étaient persécutés par la Gestapo : juifs, membres français et russes de la résistance, ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques s'étant échappés des camps. Son activité lui a valu l’exécution en chambre à gaz.

La princesse Vera Obolenskaïa, l'une des organisateurs et membres actifs d'une grande organisation de résistance clandestine appelée OCM – Organisation civile et militaire, née à Paris en août 1940 – a été guillotinée à Berlin.

Ariadna Scriabina, (après mariage – Sarah Knout), fille du compositeur Scriabine, épouse du poète David Knout, a été parmi les fondateurs de l'organisation de la Résistance juive, qui a ensuite rejoint les Forces françaises de l'intérieur (FFI) sous le nom d'Organisation juive de combat. Elle a été tuée dans une bataille de rue.

Il y a eu aussi la princesse Zinaïda Chakhovskaïa, résistante en Belgique et en France, journaliste. Après la guerre, en tant que correspondante de guerre pour les armées alliées, elle a visité les camps de la mort et les camps de personnes déplacées, a assisté aux procès de Nuremberg. Mais également la princesse Tamara Volkonskaïa, qui a soigné et secouru des combattants de la Résistance blessés et a hébergé un camp de partisans dans son domaine.

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Tous ces héros ont ensuite reçu les plus hautes récompenses de France, dont beaucoup à titre posthume. Cependant, on ne sait absolument rien sur les nombreux autres immigrants russes qui ont participé à la Résistance française. Comme l'exigeait la conspiration, ils sont entrés dans des groupes clandestins sous des pseudonymes ou sous des noms étrangers fictifs, il est donc souvent impossible de retracer leur destin réel. Beaucoup ont disparu dans les camps de concentration allemands et les chambres de torture de la Gestapo.

Aux côtés du général de Gaulle

Les exilés russes ont également participé à la Résistance hors de France dans le mouvement de la France libre créé par de Gaulle. Parmi les dix premiers volontaires qui se sont engagés dans les troupes françaises libres le 18 juin 1940, figurait le neveu de la dame d'honneur de la tsarine russe Nikolaï Vyroubov (à l’époque étudiant à l'Université d'Oxford), le fils adoptif de l’écrivain Maxime Gorki, Zinovi Pechkov, la poétesse, chanteuse et femme de lettres Anna Smirnova-Marly (apparenté à Mikhaïl Lermontov, Nikolaï Berdiaïev et Piotr Stolypine), qui a écrit la musique et les paroles originales en russe du célèbre Chant des Partisans, et dont les paroles en français ont été écrites par Joseph Kessel et Maurice Druon.

Nikolaï Vyroubov a combattu avec le général de Gaulle en Afrique, a participé au débarquement en Italie, où il a été grièvement blessé deux fois, mais est retourné au front et a lutté jusqu'à la fin de la guerre.

L’émergence de la résistance russe en France

Les victoires de l'Armée rouge en 1943 ont eu une influence décisive sur l'émigration. C’est à ce moment-là qu’a commencé la période la plus active de la participation des membres de la diaspora russe dans le mouvement de la Résistance. Ils ont rejoint diverses structures : les services de renseignement associés au quartier général du général de Gaulle à Londres, les détachements de combat des Francs-tireurs et partisans… Ils étaient des agents de liaison, travaillaient dans des typographies clandestines etc.

En octobre 1943, la plus grande organisation d'émigrants russes de la Résistance a été créée – l'Union des patriotes russes. Ses dirigeants appartenaient principalement à des cercles d'émigration patriotiques et prosoviétiques. Elle était composée de représentants de peuples de l’ancien Empire russe, qui vivaient pour diverses raisons à l'étranger et qui voulaient retourner dans leur patrie. Parmi les tâches assignées à l'Union figuraient l'organisation de l'assistance aux prisonniers de guerre soviétiques échappés de captivité, le recrutement des immigrants russes dans les rangs de la Résistance, la publication de tracts et l’édition du journal clandestin.

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Les services spéciaux nazis et de Vichy se sont activement opposés à l'Union des patriotes russes. Les autorités d'occupation ont agi avec l'aide d'agents russophones et quelques mois après la création de l’organisation, la rédaction du journal a été détruite.

Parmi d’autres formations antifascistes clandestines russes, les plus connues étaient le groupe de Dourdan et la cellule russe du réseau de renseignement français, Jad Amicol. De nombreux émigrés russes ont combattu dans les maquis français opérant en Haute-Savoie, aux alentours de Dijon, en Haute-Loire, dans le département de la Dordogne, mais aussi dans le Sud de la France. À partir de juin 1941, un Groupe patriotique russe a opéré à Nice. En 1944, sur sa base, une section de l'Union des patriotes russes ayant son centre à Lyon a vu le jour.

Ensemble contre l’ennemi commun

En 1942-1943, des prisonniers de guerre soviétiques ont commencé à arriver en France pour travailler. Entre 1943 et 1944, on a dénombré environ 30 à 40 000 citoyens soviétiques rassemblés dans les camps (ceux des départements de la Moselle et du Pas-de-Calais comptaient leur plus grand nombre). Certains d'entre eux ont réussi à s'échapper des camps et à rejoindre les maquisards. À la fin de 1943, à l'initiative du Comité central du Parti communiste français et de la section russe de la M.O.I, dirigée par Gaston Laroche (colonel FTP puis FFI, de son vrai nom Boris Matline), le Comité central des prisonniers soviétiques a été créé afin d’organiser des évasions et l’activité clandestine des Soviétiques. L’Union des patriotes russes et la section russe de la M.O.I ont également joué leurs rôles dans l’intégration des évadés dans la Résistance.

Plus tard, le Premier régiment de partisans soviétiques a été formé. Il est impossible de déterminer le nombre précis de Russes qui ont participé à la Résistance. Les documents témoignant de cet épisode de l’histoire sont dispersés dans le monde entier. Certaines archives ont été transmises aux États-Unis après la guerre, d’autres ont été emportées par les Allemands et leurs traces sont perdues. De plus, la tâche est extrêmement compliquée car la majorité des émigrés russes ont participé à la Résistance sous des noms de code et leur véritable identité ne sera jamais découverte. Néanmoins, certains chercheurs russes mentionnent dans leurs travaux qu’environ trois mille émigrés et citoyens soviétiques ayant fui les camps de concentration allemands et les camps de prisonniers de guerre ont combattu dans les rangs de la Résistance française.

Picasso et les autres

Parmi les Russes de la Résistance, il y a eu beaucoup de personnalités remarquables. Une d’elles fut l’artiste Nadejda Khodossievitch-Léger. Elle est arrivée en France dans les années 1920. Au début de la guerre, Nadejda, avec sa fille Wanda, s’est cachée des raids des Allemands, puis elle a rejoint la Résistance. Se présentant devant Gaston Laroche, elle a exigé que lui soit confiée une mission. Pour accomplir ses tâches, la jeune femme a complètement changé d’apparence : déguisée et maquillée, les cheveux coupés, avec un passeport au nom de Georgette Panot, elle a effectué des missions dangereuses, au péril de sa vie, a collé des tracts, réalisé des affiches. Entre autres missions, il y en avait une extrêmement difficile et risquée dans le contexte de l’occupation – fournir des vêtements et de la nourriture aux prisonniers soviétiques évadés des camps.

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Après la libération de la France, l'Union d'assistance aux anciens prisonniers de guerre a été créée auprès de l'Union des patriotes soviétiques, et Nadejda y est venue travailler. À la demande d’un responsable chargé des affaires des soldats soviétiques et anciens prisonniers des camps de concentration nazis venu de Moscou, elle a trouvé un hôpital et des médecins capables de prodiguer les premiers soins à ces personnes émaciées et épuisées.

Elle a également été impliquée dans la collecte de fonds pour leur nourriture, traitement et rapatriement. Nadejda a donc décidé de rendre visite à tous les artistes célèbres qui vivaient à Paris, à commencer par Picasso, en leur demandant d’offrir leurs œuvres pour une mise aux enchères. Picasso a réagi très vivement à cette initiative et a invité Nadejda à choisir parmi ses œuvres autant que nécessaire, ajoutant qu'elle pouvait informer tous les autres confrères, que Picasso ne regrette pas ses peintures pour une telle cause. Nadejda a choisi trois tableaux et le soutien de Picasso lui a ouvert les portes d'autres ateliers et collectionneurs. Elle s’est retrouvée avec les œuvres de Braque, Matisse, Renoir… 150 œuvres au total, dont son tableau préféré, offert par son maître et futur époux, le célèbre peintre et graphiste français Fernand Léger.

La vente aux enchères a rapporté 3 millions de francs, dont elle a fait don à l'ambassade soviétique.

Le soulèvement de Paris est le dernier chapitre de l'histoire de la Résistance en France, auquel les émigrants russes ont également pris part. Ils se sont battus pour le bâtiment du Sénat – l'un des centres de la résistance allemande –, ont libéré la rue Grenelle et le bâtiment de l'ambassade d'URSS, ainsi que la résidence du Bureau de l'émigration russe.

Après le débarquement des troupes alliées en Normandie, de nombreux émigrants russes ont rejoint l'armée américaine, avec laquelle ils sont allés jusqu'à Nantes et en Alsace en tant qu'éclaireurs et traducteurs.

Dans le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois près de Paris, se dresse un monument, telle une petite chapelle, aux émigrants qui ont participé à la Résistance et combattu dans les rangs de l'armée française. Il a été installé par Anna Voronko-Goldberg à la mémoire de son fils Edouard et des autres Russes qui ont donné leur vie pour la France. Le 3 mai 2005, un monument aux participants soviétiques du mouvement antifasciste français a été inauguré au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Le 7 mai, à la veille du jour de la Victoire, l'ambassadeur de la Fédération de Russie en France Alexeï Mechkov, accompagné de représentants de l'attaché militaire de Russie, a déposé des gerbes au pied du monument.

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