Ce bug des téléphones fixes en URSS, «ancêtre» de l'application désormais populaire Clubhouse

Histoire
NIKOLAÏ CHEVTCHENKO
Avant que l’application Clubhouse ne devienne virale en 2021, les Soviétiques en savaient déjà tout.

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Bien avant que Clubhouse ne connaisse le succès, la jeunesse soviétique avait découvert qu’une faille technique dans les stations téléphoniques automatiques lui permettait de rejoindre des « salles de conférence », où les jeunes pouvaient discuter, se faire de nouveaux amis voire même trouver un coup d’un soir.

Numéros secrets

Il est impossible de dire qui exactement a découvert l’existence de ce que l’on pourrait appeler les « plateformes » dans le système soviétique de téléphonie fixe, mais deux choses sont certaines : elles sont apparues dans les années 80, et elles sont le résultat d’un dysfonctionnement technique.

Le principe qui se trouve derrière était assez similaire à celui de l’application Clubhouse : les utilisateurs composaient un numéro de téléphone – qui n’était associé à aucun abonné – et, au lieu de voir leur appel coupé, ils étaient redirigés vers un « salon » dans lequel d’autres personnes, ayant elles aussi composé ce numéro, étaient présentes.

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Là, des inconnus pouvaient discuter librement, de politique comme de littérature, de trafic de produits étrangers, comme de sexe.

Les numéros de téléphone secrets menant à ces plateformes changeaient chaque fois que le personnel technique de l’opérateur téléphonique découvrait et supprimait l’une de ces failles. Puis, de nouveaux numéros étaient secrètement divulgués au public – parfois par le personnel même de l’entreprise – et diffusés aux utilisateurs intéressés qui les composaient pour pénétrer dans une nouvelle faille.

« Pour nous, c’était un phénomène déplaisant, mais pour les autres c’était plutôt agréable. Ceci [cette brèche technique] a permis à un grand nombre de personnes de communiquer [par le biais des réseaux] »,raconte Leonid Toufrine, directeur régional de l’entreprise de télécommunication North West Telecom qui opère dans le Nord-Ouest de la Russie.

Pour les habitants de Saint-Pétersbourg – où ces salons étaient très populaires – et le reste de l’Union soviétique, c’était toutefois une opportunité en or.

Culture, trafics et sexe

D’après la légende, le « Clubhouse » de l’URSS a été découvert par les fartsovchtchikis – c’est-à-dire des personnes qui faisaient du commerce illégal de produits étrangers en Union soviétique. Ils utilisaient ces « réseaux » pour être mis en relation avec leurs complices et y discuter affaires en toute impunité, sachant pertinemment que leur localisation serait impossible à déterminer car le numéro utilisé n’était en réalité attribué à aucun utilisateur existant.

Plus tard, les plateformes sont devenues populaires auprès des utilisateurs qui cherchaient simplement un peu de compagnie. De la même manière que sur l’application Clubhouse, elles étaient parfois, mais pas toujours, dédiées à des thèmes spécifiques.

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« Les numéros de téléphone de "trafiquants" étaient diffusés par les étudiants de l’Institut de commerce soviétique et les cadets de l’École de la flotte marchande ; les étudiants des universités polytechniques et de médecine s’occupaient de diffuser des numéros de "loisir", tandis que les numéros permettant d’accéder à des salons "intellectuels" étaient diffusés par les étudiants de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg et de l'Université pédagogique d'État Herzen », explique Alexandre Kouzmine, un ancien habitué des plateformes, dans une interview accordée à TJournal.

De temps à autre, les adeptes des salles de discussions organisaient des rencontres « hors ligne » et des rendez-vous amoureux. Ainsi par exemple, durant une session, deux hommes ont échangé leurs numéros avec deux jeunes filles, convenant d’un rendez-vous ultérieur. « Une d’elle s’appelait Maria [le nom a été modifié], elle avait une amie, Dacha, et elles étaient toutes les deux d’accord pour nous rencontrer. Nous sommes venus au rendez-vous et il était clair que nous aimions tous les deux bien Maria, mais pas Dacha. Et comme mon camarade de classe était grand et bel homme, le choix de la fille était évident. Au bout d’un certain temps, Maria est tombée enceinte et ils se sont mariés », raconte l’ancien fidèle des plateformes Gueorgui Bogatchev.

Parfois, des personnes rejoignaient les salons par ennui. « Quand j’allais me promener, j’en profitais pour composer le numéro et entrer dans la salle de discussion. On s’abritait de la pluie et du vent dans une cabine téléphonique et [on tuait le temps] car il n’y avait rien d’autre à faire »,se souvient une femme à propos des plateformes.

Parties pour toujours

Les autorités soviétiques se méfiaient des plateformes et le personnel technique s’est employé à éliminer cette faille technique qui permettait aux gens de rejoindre les salons. « […] les gens du Comité du Parti nous ont informés de l’existence de ces communautés. Pour des raisons idéologiques, nous devions les identifier et les signaler à la hiérarchie », raconte Irina Grigorkina, qui travaillait comme chargée de cours en 1980.

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Et pendant que la jeunesse militait pour la préservation du réseau, la compagnie téléphonique s’efforçait de l’éliminer, avec peut-être l’accord tacite des hautes autorités soviétiques.

Certains affirment que les plateformes soviétiques n’étaient pas un phénomène aussi important qu’on le raconte : elles étaient éphémères et leur popularité locale.

Peu à peu, les plateformes ont perdu leur dynamisme et se sont éteintes, peut-être à cause des mises à jour techniques des lignes fixes russes qui ont supprimé cette opportunité, ou bien d’une perte d’intérêt progressive de la part des anciens habitués des salons. 

L’histoire semble se répéter en 2021 avec l’application Clubhouse qui gagne en popularité en Russie.

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