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Que peut-il y avoir de surprenant dans l'achat d'un costume ou de bottes ? Aujourd'hui, il y a plus de centres commerciaux et de boutiques en ligne que, par exemple, de musées et de théâtres. Mais pour les habitants de l'espace post-soviétique, il n'y a pas si longtemps, tout cela était inaccessible : ils achetaient ce qui se trouvait dans les magasins d'État, faisant des files interminables pour des bottes yougoslaves, ou recouraient au « marché noir » organisé par les « fartsovchtchiks », des vendeurs à la sauvette.
À la toute fin des années 80, l'URSS a ouvert ses frontières, puis a permis le libre-échange. Les « touristes » soviétiques affluaient vers l'étranger, raflant tout ce qu'ils trouvaient pour le revendre chez eux, des préservatifs et des saucisses au rouge à lèvres et aux mixers. Les tchelnoks (littéralement vendeurs faisant la navette), comme on les appelait, transportaient les choses non pas dans de lourdes valises, mais dans d'énormes sacs bon marché à carreaux. Quelques années plus tard, lorsque l'URSS a cessé d'exister et que les républiques ont été plongées dans une grave crise économique, le commerce d’objets étrangers s’est converti en planche salut pour de nombreux citoyens qui avaient perdu leur emploi.
« Ma mère en URSS était une ingénieure avec un revenu stable et des projets de vie clairs, écrit un internaute russe sur un forum. Et puis les années 90 sont arrivées, et elle a comme beaucoup de gens perdu son emploi, avant de faire la "navette", puis d’opérer un retour à la vie normale. Elle se souvient des années 90 comme des premières années durant lesquelles elle a pu respirer librement et commencer à faire des projets d’avenir. Bien que toutes ses connaissances n'aient pas survécu à cette époque ».
Marché de Loujniki, 1966
Valery Khristoforov/TASSAprès l'effondrement de l'URSS, beaucoup se sont retrouvés sans travail : les entreprises d'État n'avaient tout simplement pas d’argent pour verser les salaires ou payaient leurs employés avec leurs propres produits. Étant donné le grand nombre d'usines et de fabriques formant l’épine dorsale économique des villes du pays, l'ampleur de la catastrophe était impressionnante. Les enseignants, les médecins et les ingénieurs d'hier ont été contraints de chercher de nouvelles façons de gagner de l'argent. Un de ces moyens consistait à faire du commerce d’articles étrangers au marché.
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Le moyen le plus simple, bien sûr, s’offrait aux résidents des zones frontalières : depuis l'Ukraine, la Biélorussie et la partie occidentale de la Russie, ils se rendaient en Pologne, en Allemagne, en Tchécoslovaquie et plus loin dans toute l'Europe. Depuis la région de Leningrad, la Finlande est toute proche. Les résidents d'Extrême-Orient achetaient quant à eux des produits dans les villes chinoises.
Des tchelnoks en rentrant de la Сhine
Vladimir Saïapine/TASSMais la véritable Mecque des « tchelnoks » russes était la Turquie. La qualité des produits turcs dans les années 90 était à un niveau très élevé : le textile, les chaussures, les cosmétiques pouvaient servir pendant de nombreuses années et les prix étaient bas.
Les tchelnoks transportaient autant qu'ils le pouvaient - personne ne pensait au surpoids, et les compagnies aériennes n'avaient pas de règles aussi strictes que maintenant. Les sacs ne rentraient pas dans le compartiment à bagages, de sorte que même les couloirs des avions étaient obstrués par des malles. Les équipages traitaient la situation avec compréhension, certains obtenant un complément de revenus en faisant eux-mêmes la navette.
Des tchelnoks, 1995
Victor Kliouchkine/TASSCertains citoyens vivaient de l'organisation de tels « voyages » - ils mettaient en place des « tours de shopping » à bord de ferries, de trains ou de bus dans les zones frontalières. Le groupe de « tchelnoks » était emmené dans des entrepôts, des usines ou des magasins afin d’acheter en gros tout ce dont ils avaient besoin, avant de ramener la marchandise chez eux.
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Cependant, il n'y avait rien de romantique dans cette profession. Les gens devaient obtenir de l'argent pour voyager et acheter des marchandises (le plus souvent en empruntant à des amis), porter des tonnes de sacs, puis faire du commerce sur le marché qu’il vente ou qu’il neige. Les profits pouvaient être très modiques.
La « place des Trois gares » à Moscou
Vladimir Fedorenko/SputnikDans les années 90, il existait encore des restrictions sur l'exportation de devises dans les anciennes républiques soviétiques (par exemple, il n'était pas permis d’emporter plus de 700 dollars depuis la Russie), de sorte que les marchands prenaient des choses qui pouvaient être vendues à l'étranger (appareils photo soviétiques, bijoux, alcool), et achetaient des articles étrangers avec l’argent obtenu.
Des tchelnoks, 1993
Leonid Sverdlov/TASS« Beaucoup d’entre nous apportaient des chapeaux soviétiques en Chine. Chacun coûtait sept roubles, et les Chinois échangeaient volontiers deux chapeaux contre une paire de bottes, qui pouvait être vendue à Moscou pour deux mille roubles, se souvient l'ancien tchelnok Andreï. Vous passez la douane en portant sept chapeaux et trois manteaux les uns sur les autres. Le douanier se fâche et vous lui expliquez : j'ai froid. Alors il ne peut rien faire ».
D'autres prenaient des assistants avec eux pour emporter plus de devises.
Le marché Tcherkizovski avant et après sa fermeture
Grigory Sysoev/TASS; Moskva agencyOn vendait les produits sur les marchés - dans chaque grande ville, il y avait un, voire plusieurs centres commerciaux où l'on pouvait tout trouver. À Moscou, les plus célèbres étaient les marchés de Loujniki (toutes les tribunes sous le stade sportif avaient été transformées en points de vente au détail), Tcherkizovski - et une dizaine d’autres plus petits. Des acheteurs ordinaires s’y rendaient, mais aussi des marchands d'autres régions du pays, pour qui il était plus rentable de ne pas voyager à l'étranger, mais de rapporter des marchandises de la capitale. Au milieu des années 90, les migrants des républiques asiatiques ont commencé à s’y concentrer en grand nombre avec leurs marchandises.
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Peu à peu, ce type de commerce est devenu de moins en moins rentable : les États ont introduit de nouvelles règles douanières, les compagnies aériennes ont limité le poids des bagages et les autorités des villes ont essayé de prendre le contrôle des marchés - la criminalité et des conditions insalubres y régnaient. En outre, en 1998, dans un contexte de crise économique, le rouble s'est effondré et de nombreux entrepreneurs ayant accumulé des dettes libellées en dollars ont fait faillite.
Monument aux tchelnoks à Ekaterinbourg, la plus grande ville de l'Oural
Pavel Lisitsine/SputnikAu début des années 2000, des centres commerciaux ont commencé à apparaître dans les villes russes, y compris de grandes chaînes étrangères ; la place des « tchelnoks » a été occupée par les sociétés commerciales tandis que les marchés insalubres ont progressivement commencé à être démolis. Il est assez difficile d'estimer le volume de l'économie parallèle liée aux « navettes » - selon certaines estimations, au milieu des années 90, cette activité représentait jusqu'à un tiers des importations du pays, même si, bien sûr, personne ne tenait de registres précis. Jusqu'à 10 millions de citoyens russes travaillaient dans ce domaine.
La ville de Blagovechtchensk (Extrême-Orient russe)
Vitaly Ankov/SputnikCette période courte mais importante de l'histoire moderne se reflète dans les monuments. Des statues en l’honneur des tchelnoks sont devenues des points d’attraction touristique dans plusieurs villes russes. Elles se trouvent, bien sûr, à proximité des centres commerciaux – les anciens marchés des « folles années 90 ».
Dans cet autre article, nous vous racontons comment l'économie soviétique fonctionnait et pourquoi elle s’est effondrée.
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