Pourquoi les bolcheviks ont-ils exécuté le «père» de la cavalerie soviétique?

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Boris Doumenko était sans pareil sur le champ de bataille, mais complètement impuissant dans les intrigues de coulisses. C'est ce qui a finalement causé sa perte.

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Commandant légendaire surnommé « le premier sabre de la République », Boris Doumenko était aux sources de la création de la cavalerie soviétique. Tout indiquait qu'il avait une longue et prometteuse carrière devant lui. Cependant, en 1920, Doumenko a été soudainement arrêté et fusillé.

Cavalier légendaire

Boris Doumenko a rejoint les bolcheviks presqu’immédiatement après l'arrivée au pouvoir de ces derniers. Ancien sergent-major d’un régiment d'artillerie de cavalerie de l'armée tsariste, il a organisé au début de l’année 1918 un détachement de cavalerie de guérilla dans la région du Don et a rejoint la lutte contre les forces blanches contre-révolutionnaires dans le Sud de la Russie. C'est ici, sur les terres des rebelles cosaques du Don, que s'est déroulée l'une des batailles les plus importantes de la guerre civile.

Boris Doumenko

Doumenko n'a pas seulement créé l'une des premières unités de cavalerie de l'Armée rouge. Il a joué un rôle important en veillant à ce que de grandes unités de cavalerie soient déployées sur la base de petits détachements de ce type, contribuant à la création d’une puissante cavalerie rouge.

Commandant fringant et courageux, Boris Doumenko a au cours de sa carrière commandé des régiments, des brigades, des divisions et des corps de cavalerie. « Il prenait ses décisions rapidement. Il ne menait pas la bataille de l'extérieur, a rappelé son collègue Alexeï Terechtchenko, Il montrait qui frapper, où aller, et se jetait lui-même dans la fournaise »

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Doumenko a reçu l'Ordre de la bannière rouge et obtenu des éloges pour ses victoires non seulement de ses supérieurs immédiats, mais même de Lénine en personne. « Saluez le héros de la 10e armée, le camarade Doumenko, et sa brave cavalerie, qui s'est couverte de gloire en libérant Velikokniajeskaïa [ville de la région du Don, renommée Proletarsk, ndlr] des chaînes de la contre-révolution », stipulait un télégramme du chef de l'État le 4 avril 1919. 

Pris en étau par les ennemis

Si sur le champ de bataille, Boris Doumenko se sentait comme un poisson dans l'eau, dans les intrigues internes, il était loin de briller. En raison de sa franchise et de son manque de diplomatie, le célèbre cavalier s'est facilement fait des ennemis. À propos du chef du Conseil militaire révolutionnaire de la République, Léon Trotski, qui avait créé et dirigeait l’ensemble des forces armées, il a déclaré ouvertement que c’était un amateur qui ne comprenait rien aux questions militaires.

Boris Doumenko

Le commandant a développé des relations particulièrement tendues avec les travailleurs politiques - les commissaires, qui, dans les unités, étaient non seulement engagés dans l'éducation idéologique du personnel, mais avaient également le pouvoir d'intervenir dans les opérations militaires. Doumenko les critiquait ouvertement, les accusant d’interférer avec les combats, de donner des ordres insensés et de rester cachés à l'arrière, au quartier général.

Doumenko a un jour trouvé le commissaire de la 2e brigade de montagne, un certain Peskarev, en train de piller de l'alcool dans des citernes ferroviaires avec des soldats ; le tançant sévèrement, il a menacé de le traîner devant les tribunaux. Il a déclenché l’ire du chef du département politique Ananine en refusant de le nommer commissaire du corps. Boris Doumenko a même jeté des bâtons dans les roues du chef du département spécial Kartachov, s'opposant aux efforts de ce dernier visant à débusquer des « ennemis du peuple » dans son unité.

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Doumenko avait également des ennemis parmi les chefs militaires, aux rangs desquels se trouvaient les futurs maréchaux de l'Union soviétique Kliment Vorochilov et Semion Boudionny. Avec ce dernier, qui avait été à un moment donné son adjoint, Doumenko entretenait une rivalité de longue date et surtout une inimitié irréconciliable. Tous deux avaient suivi un parcours similaire : ils étaient à l'origine de la cavalerie rouge, passant du commandement de petits détachements à la direction de grandes formations. Les deux cavaliers non seulement réglaient souvent leurs comptes en public, mais refusaient même parfois de s’entraider sur le champ de bataille.

Сavalerie rouge

Il existe une version non confirmée selon laquelle, alors qu'ils servaient encore ensemble, Doumenko aurait ordonné de fouetter publiquement Boudionny pour le viol d'une villageoise locale par des combattants. Semion Boudionny ne lui aurait jamais pardonné

Sur le banc des accusés

De nombreuses plaintes et dénonciations ont été envoyées à Moscou, accusant Doumenko d’être en réalité un élément antisoviétique qui anéantissait secrètement les communistes de son unité et se préparait à passer du côté de l'ennemi. Après qu’un inconnu eut tué le commissaire Mikeladze envoyé dans son unité (avec lequel Boris Doumenko entretenait soit dit en passant de bonnes relations), le commandant et son état-major ont été arrêtés le 23 février 1920.

Doumenko a été accusé de mener une politique antisoviétique et antijuive, ainsi que d'interférer avec le travail des commissaires et du tribunal militaire révolutionnaire. Peskarev, susmentionné, a rapporté que Doumenko, en sa présence, avait arraché l'Ordre de la bannière rouge de sa poitrine et s’était exclamé : « Je n'en ai pas besoin de la part du juif Trotski ».

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Semion Boudienny et Kliment Vorochilov en 1918

En outre, il était affirmé que les accusés « non seulement n'ont pas appliqué les dispositions sur l'armée régulière approuvées par le gouvernement central soviétique, mais par leurs actions ont développé un esprit de rébellion dans les unités du corps de cavalerie ; ils n'ont pas lutté avec énergie contre les vols, les réquisitions illégales et les violences sur les civils, se sont enivrés et ont encouragé l'ivresse de leurs chefs subordonnés et des hommes ordinaires de l'Armée rouge ».

Boris Doumenko a considéré l'ensemble du procès comme une sorte de malentendu. En prison, il a préparé un télégramme à Lénine : « J'ai été le premier à lever la bannière rouge de la lutte pour les idées des travailleurs du Don et du Kouban. J’ai créé plus d'une unité de bénévoles... N'ayant aucun crime derrière eux, il est amer et insultant de voir les honnêtes combattants-révolutionnaires languir dans une prison humide et froide. Au nom de la justice, je vous demande de répondre ». Le message n'a jamais été transmis à Moscou.

Oubli

Bien que la culpabilité de Doumenko et de ses proches n'ait jamais été prouvée, ils ont tous été condamnés à la peine capitale et fusillés le 11 mai 1920 en périphérie de Rostov-sur-le-Don.

Boris Doumenko; Semion Boudienny en 1928

Après l'exécution, le nom de Boris Doumenko a commencé à être effacé des annales de la guerre civile. Beaucoup de ses victoires et mérites dans la création de la cavalerie soviétique ont été attribués à Semion Boudionny, ce que ce dernier a tacitement accepté.

Le chef militaire Ilia Doubinski a rappelé comment le cavalier légendaire avait été évoqué lors d'un banquet en 1928 : « Lors de la remise des diplômes de l'académie [l'Académie militaire Frounze, ndlr], un démon m'a poussé à lever un verre au "héros de la cavalerie soviétique Doumenko". Staline a froncé les sourcils - après tout, Doumenko avait été abattu en 1920, ce à quoi il ne pouvait être totalement étranger. Tout le monde m'a crié dessus - Boudionny, Timochenko. Et Staline a dit : "Oui, nous sommes allés un peu vite à l’époque..." »

En 1964, le dossier de Doumenko a été examiné, et il a été réhabilité à titre posthume. Le maréchal Boudionny a été l'un des rares à s’opposer catégoriquement à cette décision.

Dans cette publication découvrez comment la cavalerie soviétique a écrasé les chars allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

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