Victime de ses vices: déchéance de l’un des plus talentueux footballeurs soviétiques

Albert Pushkarev, Igor Utkin/TASS
Eduard Streltsov, un légendaire attaquant du club Torpedo Moscou, a été comparé à Pelé à la fin des années 1950. Néanmoins, son mode de vie peu recommandable a détruit sa carrière. Accusé de viol, il a même passé cinq années en prison.

Les admirateurs du Torpedo Moscou avaient pour habitude de plaisanter : « Si Pelé ingurgitait autant de café que Streltsov ne buvait de vodka, il serait mort ». Eduard Streltsov a en effet été régulièrement comparé à ce célèbre joueur brésilien, mais n’a jamais eu la chance de l’affronter sur le terrain.

Cela s’explique par une triste raison : quelques mois seulement avant sa première apparition en Coupe du Monde, en 1958, Streltsov a été arrêté, accusé de viol, et condamné à 12 années de prison. Même après avoir purgé sa peine (ramenée à cinq ans), il n’a pas été autorisé à réintégrer l’équipe nationale. Mais comment un footballeur si prometteur a-t-il pu chuter aussi bas ?

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Enfant prodige mais troublé

À la fin des années 50, Streltsov était considéré comme un superhéros. « La clef du succès était simple : son talent sportif combiné à son charme de +monsieur tout le monde+ : un visage honnête, un sourire chaleureux … Il était un miracle sur le terrain », a écrit l’éditorialiste sportif Sviatoslav Vassilik.

En 1954, alors âgé de seulement 16 ans, Streltsov a fait ses débuts au Torpedo Moscou, et durant la saison suivante il a permis au club de se hisser de la neuvième à la quatrième place, marquant 15 buts en 22 matchs. En 1956, Eduard s’est par ailleurs rendu à Melbourne, au sein de l’équipe olympique, et a grandement participé à la victoire soviétique du tournoi.

Ayant grandi sans père, le jeune homme n’a jamais été un footballeur discipliné et prompt à rester sagement à la maison pour se reposer. « Un jour, il a été en retard à un entrainement pour un important match international, il a dû poursuivre le train en voiture », a témoigné le journaliste sportif Piotr Spektor.

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Une autre fois, en février 1958, l’attaquant a passé plusieurs jours au commissariat de police suite à un combat qui avait éclaté alors qu’il était saoul. « Mais il a été pardonné et ils l’ont laissé réintégrer l’équipe nationale », a écrit Spektor. Cependant, deux mois plus tard, Streltsov s’est retrouvé au cœur d’une affaire bien plus sérieuse.

«Il m’a trainée dans son lit»

Le 25 avril de la même année, Streltsov et deux camarades footballeurs, se sont en effet rendus à la datcha (maison de campagne) d’un ami, accompagnés de quatre jeunes femmes. L’une d’elles, Maria Lebedeva, a, selon les témoins oculaires, à cette occasion témoigné de l’intérêt pour Streltsov. Alors que tous étaient bien éméchés, ils ont tous les deux flirté, mais la situation aurait dérapé lorsque tout le monde est parti se coucher.

« Streltsov a commencé à me trainer vers son lit… On se battait, j’ai résisté aussi fort que j’ai pu, en disant que j’allais crier, mais il m’a bâillonnée », a ultérieurement rapporté Lebedeva. Elle a prétendu que Streltsov, saoul, l’avait violée et s’était ensuite endormi.

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Une ministre de la Culture rancunière?

Le jour suivant, la jeune femme a porté plainte auprès de la police, et Streltsov a été arrêté. Le leader soviétique Nikita Khrouchtchev a été informé de cette affaire et aurait alors dit : « Punissez-le sévèrement. Derrière les barreaux pour un long moment ».

Et c’est ce qu’a fait le tribunal, condamnant Streltsov à 12 ans de travail forcé. Les supporters ont protesté, affirmant que le sensationnel attaquant avait été piégé, que lui et Lebedeva avait eu un rapport consenti et que cette dernière mentait.

« Ils disent que la soirée a été organisée pour le placer en disgrâce, sur ordre de Ekaterina Fourtseva, la puissante ministre de la Culture, proche de Krouchtchev », a expliqué Kevin O’Flynn dans le quotidien britannique The Guardian. En réalité, le caractère turbulent de Streltsov aurait joué en sa défaveur : auparavant il avait insulté la fille de Fourtseva lors d’un bal au Kremlin, ce qui aurait pu constituer un motif de vengeance pour la ministre.

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Anatoli Niline, biographe et ami de Streltsov, considère quant à lui cette sentence très sévère, mais admet que Streltsov est à blâmer. « Vous ne pouvez pas reprocher à Fourtseva, Khrouchtchev ou Staline, si vous êtes incapable de vous tenir lorsque vous êtes saoul ».

Rédemption

Bien que sa peine ait été raccourcie à cinq ans, le temps passé en captivité a été difficile pour le footballeur déchu. Durant ses premiers jours derrière les barreaux, il a été battu par ses codétenus et a passé plusieurs mois à l’hôpital.

Il a d’ailleurs écrit à sa mère : « Ne te fais pas de reproche, tout est de ma faute. Tu m’as dit un millier de fois que +les amis+, +les filles+ et la vodka m’apporteraient des ennuis. Je ne t’ai pas écoutée, et voici où j’en suis … Je serai une personne différente quand je serai libéré ».

En 1963, il est ainsi sorti de prison et a été employé à l’usine automobile ZIL. Deux ans plus tard, le nouveau chef d’État, Léonid Brejnev, a levé son interdiction de réintégrer une équipe de football professionnelle, déclarant : « Un plombier peut travailler en tant que plombier après la prison, pourquoi un footballeur ne pourrait pas jouer ? »

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Streltsov a ainsi regagné le terrain, à nouveau au sein du Torpedo Moscou. Il s’est avéré qu’il n’avait pas perdu ses compétences durant ces années tourmentées. Par deux fois, en 1967 et 1968, il a été reconnu Meilleur footballeur de l’Union soviétique, et a joué jusqu’en 1970 au Torpedo. Néanmoins, il n’a jamais réintégré l’équipe nationale. En 1990, il a succombé à un cancer de la gorge.

Aujourd’hui, Eduard Streltsov reste une légende, et est considéré comme le plus talentueux joueur soviétique et russe de tous les temps, aux côtés de Lev Yashine. Malheureusement, il n’a jamais eu l’occasion d’exploiter et de prouver toute l’étendue de son talent.

« Sur le terrain de football, il était le plus fort, soutient son ami Valentin Ivanov. Mais dans la vie, il était le plus faible ».

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