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Cordonnier issu d’une famille juive pauvre
Il avait une biographie idéale pour un bolchevik – il provenait des couches les plus basses de la société et a tracé par lui-même son chemin vers la réussite. Il est né dans une famille juive nombreuse et extrêmement pauvre dans un village des environs de Kiev. Dès l’âge de 14 ans, Lazare a commencé à travailler tantôt comme cordonnier, tantôt comme manutentionnaire dans des fabriques.
Dans l’Empire russe, les juifs étaient privés de nombreux droits – ils n’étaient pas admis aux écoles et encore moins aux établissements d’enseignement supérieur. Même trouver un travail était une tâche compliquée. Le sentiment d’injustice a donc poussé Lazare vers les révolutionnaires : il a participé aux meetings (ce qui lui a coûté son emploi) et a rejoint en 1911 le Parti bolchévique. Cinq ans plus tard, il a créé l’Union des cordonniers, illégale.
La Révolution l’a propulsé au sommet de la république
En 1917, âgé de 23 ans, il œuvrait activement au nom de la révolution, créant des cellules bolchéviques en Ukraine et en Biélorussie. Son dévouement n’est pas resté inaperçu et son nom a été inclus à la liste des députés en vue du congrès des Soviets à Petrograd.
C’est là-bas qu’il a fait la connaissance de Lénine. Kaganovitch a plus tard relaté qu’en intervenant au congrès des structures armées, il avait fait preuve de fermeté sur la question de la nationalisation des terres et avait enraciné chez les soldats une sympathie envers les bolcheviks. Lénine a apprécié ce succès et a confié à Kaganovitch un poste clé : la direction du département de propagande lors de la formation de l’Armée rouge.
Tout au long de la guerre civile, Kaganovitch s’est chargé de la propagande et, une fois le pouvoir bolchévique définitivement consolidé, un autre poste de responsable lui a été confié – la direction du département d'organisation et de répartition du Comité central, autrement dit, il est devenu le manager du Parti. C’est justement lui qui a eu l’idée d’établir les listes de postes au sein du Parti, créant ainsi la fameuse nomenklatura soviétique.
En 1925, sa carrière a pris un envol encore plus impétueux : en s’entourant d’alliés après la mort de Lénine, Joseph Staline a proposé sa candidature au poste de secrétaire général du Parti en Ukraine. Kaganovitch avait donc à développer l’industrie et il a agi avec détermination. L’extraction du charbon a été l’un de ses axes privilégiés, mais les accidents dans les mines se multipliaient, ce qui était incompatible avec les nouvelles tâches de l’industrialisation. En 1928, il a donc initié le Procès de Chakhty – les chefs de plusieurs mines du Donbass ont alors été accusés de nuisance et condamnés à morts. Des dizaines d’autres responsables se sont retrouvés derrière les barreaux.
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L’un des responsables de la collectivisation
Toujours en 1928, Staline a confié une nouvelle tâche à Kaganovitch : renforcer les kolkhozes et écraser les « koulaks », ces paysans aisés. Leurs biens et bétails étaient confisqués, quant aux koulaks eux-mêmes, nombre d’entre eux ont été arrêtés.
En 1932, a vu le jour le projet de l’augmentation de la collecte du blé. Les paysans se sont vu obliger de céder la majeure partie de leurs récoltes à l’État afin que ce dernier puisse fournir du pain à prix fixe dans l’ensemble des territoires. Le volume des céréales a été surévalué et ne prenait pas en compte les mauvaises récoltes et les exportations. En conséquence, beaucoup de villages ne sont pas parvenus à réaliser le plan. Kaganovitch a alors introduit la « liste noire » des villages. Ceux qui s’y retrouvaient perdaient le droit au commerce, aux crédits, et se voyaient privés de biens de consommation. En outre, on y cherchait encore plus minutieusement« leséléments hostiles » et arrêtait ceux qui étaient prétendument coupables de l’échec du plan.
En réalité, ces villages étaient véritablement abandonnés à leur propre sort. On considère que cette politique a mené à la famine qui s’est produite dans plusieurs coins de l’Union soviétique, y compris en Ukraine. Dans ce pays, cette page de l’histoire a été baptisée « holodomor » (« extinction par la faim ») et l’on y considère qu’il s’agissait d’un génocide ciblant les Ukrainiens. En 2009, l’Ukraine a ouvert une enquête pénale sur les actes de Kaganovitch et d’autres dirigeants du Parti.
Le principal cheminot de l’Union soviétique
En 1934, Staline l’a nommé commissaire du peuple (en quelque sorte « ministre ») aux Chemins de fer. Désormais, Kaganovitch avait à mettre de l’ordre dans le domaine des transports, plongé dans le chaos et en proie à des accidents permanents. Il a alors introduit la responsabilité personnelle pour chaque incident, autrement dit des répressions. Toutefois, c’est justement sous lui que les trains en URSS ont commencé à respecter strictement les horaires et à arriver sans retard. Pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, il a organisé d’une manière très efficace l’évacuation de villes et usines entières, et ce, par le biais des voies ferrées.
C’est toujours à lui qu’appartient l’idée de créer dans le pays le chemin de fer pour enfants afin de former les futurs cadres. Dans la ville de Kratovo, dans la région de Moscou, une ligne complètement gérée par des enfants fonctionne encore.
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Il a conquis la triste renommée de « destructeur de Moscou »
Outre son poste de commissaire du peuple aux Chemins de fer, il a dirigé l’antenne moscovite du Parti. En 1935, Staline a approuvé le Plan général de reconstruction de Moscou et a confié son exécution à Kaganovitch.
Dans la ville, où le nombre de résidents et d’automobiles allait croissant, il était indispensable d’élargir la chaussée et de construire de nouveaux immeubles résidentiels. Les Moscovites n’ont pas pu lui pardonner la démolition de la Cathédrale du Christ-Sauveur sur l’emplacement de laquelle devait être érigé le Palais des Soviets. Dans Ainsi parlait Kaganovitch, ce livrede Felix Tchouïev basé sur les entretiens enregistrés pendant 5 ans, Kaganovitch disait lui-même que l’initiative de la démolition avait appartenu à l’Union des architectes et que ce sont ces derniers, dont le célèbre Alexeï Chtchoussev, qui avaient dit que la cathédrale ne présentait aucune valeur artistique.
« On dit que j’ai démoli les valeurs de Moscou. C’est un mensonge. Je ne vais pas me justifier car cela n’a pas eu lieu. On venait avec moi pour choisir les édifices qui gênaient la circulation », a insisté Kaganovitch. La cathédrale a toutefois été reconstruite pendant les années 1990.
Il a construit le métro à Moscou
Le plan de reconstruction de la capitale comprenait la mise en place du métro. Le reporter du journal Vetcherniaïa Moskva Khrabovitski disait que Kaganovicth est même allé à Berlin voir comment leur métro y était organisé et, à son retour, aurait dit à Staline : « À Berlin, les sorties du métro sont un simple trou dans la terre. Chez nous, elles doivent prendre forme de beaux pavillons ». Il est ensuite descendu en personne dans les puits pour superviser le cours des travaux. C’est toujours lui qui a approuvé le design des stations souterraines. Selon des témoins, les constructeurs du métro aimaient Kaganovicth qui, quant à lui, connaissait le nom de tous les brigadiers.
Le 15 mai 1935, a été ouverte la première ligne du métro, reliant Sokolniki à Okhotny RIad avec un embranchement menant jusqu’à Park koultoury et Smolenskaïa. Jusqu’en 1955, le métro a d’ailleurs porté son nom, avant de se voir rebaptiser en honneur de Vladimir Lénine.
Enfin, c’est également lui qui a lancé la toute première ligne de trolleybus de la capitale.
Activiste des répressions et combattant contre les saboteurs
Communiste et staliniste juré, Kaganovitch était persuadé que les répressions étaient nécessaires pour maintenir l’ordre public et obtenir le résultat souhaité. En 1937, il a prononcé un discours lors d’une réunion plénière du Parti, où il a abordé l’importance de la lutte contre les « saboteurs ». Il considérait que des agents nippons, allemands et trotskistes, ainsi que des espions, sévissaient dans de nombreux domaines de l’industrie, du bâtiment et de l’exploitation des chemins de fer.
Kaganovitch a donc proposé de tous les arrêter. « Bien entendu, nous devons donc les éradiquer, les démasquer drastiquement. Il ne faut pas se lamenter à cause des arrestations : les innocents n’existent pratiquement pas ».
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Cette même année ont commencé les Grandes purges. Aux tribunaux ont été transmises les listes de ceux qui devaient être sujets à des répressions avec l’aval des autorités suprêmes. Selon les données de l’organisation Mémorial, la signature de Kaganovitch figure sur 188 listes qui ont mené à la fusillade de 19 000 personnes.
En 1941, une affaire visant l’un des frères de Kaganovitch, Mikhaïl, a été ouverte. Occupant le poste de commissaire du peuple à l’Industrie d’aviation, il a été soupçonné de lien « avec les ennemis du peuple ». Les rumeurs couraient que Lazare ne serait pas intervenu pour prendre la défense de son frère et aurait pris le parti de Staline. Dans ses entretiens, Kaganovicth l’a nié, affirmant qu’il avait dit à Staline que c’était un mensonge et avait demandé une mise face à face. Sans attendre son arrestation, Mikhaïl s’est suicidé par balle.
« Nous sommes coupables d’avoir mis trop de sel, nous avons cru que les ennemis étaient plus nombreux qu’ils ne l’étaient dans la réalité. Si nous n’avuons pas éradiqué cette cinquième colonne, nous n’aurions pas remporté la guerre. Les Allemands nous auraient écrasés », disait-il.
Le partisan le plus dévoué de Staline
N’ayant pas fait d’études, Kaganovitch est parvenu à devenir l’une des principales personnalités politiques du pays. Ses contemporains assuraient qu’il était assez cultivé, mais écrivait avec des fautes. Cependant, Staline appréciait d’autres qualités chez lui : sa capacité à exécuter efficacement les ordres, son sens de la gestion et son dévouement.
« Ayant relu ma lettre, je constate que je n’ai pas accompli votre directive de maîtriser la ponctuation, j’ai commencé sans réussir. Malgré toute mon occupation, c’est faisable. Je tâcherai que les prochains courriers contiennent des points et des virgules », écrivait-il à Staline en 1931. Plus tard, il accomplira cette directive comme toutes les autres émanant de Staline.
Kaganovitch voyait en Staline un grand homme, c’est lui qui a commencé à l’appeler « guide » (mais aussi « maître », « grand ami », « père »). Dans ses nombreux discours il mentionnait son amour pour le leader.
En 1987, le livre Loup du Kremlin, signé par Stewart Kagan, est sorti aux États-Unis. L’homme, qui se présentait comme le neveu de Lazare, affirmait qu’il avait rendu visite aux Kaganovitch et rédigé son livre en s’appuyant sur leurs discussions et des archives familiales. Par le biais de son ouvrage, il a lancé une rumeur expliquant que le rapprochement entre Staline et Kaganovitch était, entre autres, dû au fait que la sœur de ce dernier était devenue l’amante du « petit père des peuples » après la mort de sa femme, Nadejda Allilouïeva. Lazare Kaganovicth l’a nié et après sa mort, ses proches ont également déclaré que Stewart non seulement n’était pas son neveu, mais ne s’était jamais présenté chez eux.
Il a contribué à la promotion de Khrouchtchev avant de devenir sa victime
Vers la fin de l’ère de Staline, Kaganovitch ne comptait plus parmi ses favoris : le leader était entouré du trio Khrouchtchev-Malenkov-Beria. Mais c’est justement à Kaganovitch que Khrouchtchev doit sa carrière. C’est lui qui a activement engagé cet industriel ukrainien dans la construction du métro et le réaménagement de Moscou.
« Promouvoir des ouvriers, c’était mon faible, car à l’époque il y avait peu de personnes douées. C’est un ouvrier de talent, sans aucun doute », disait Kaganovicth. Il considérait que Khrouchtchev avait perdu la tête une fois arrivé au poste de secrétaire du Comité central du PCUS.
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Kaganovitch a soutenu l’arrestation et la fusillade de Beria, mais il était opposé au discours de Khrouchtchev dédié aux crimes de Staline et à la déstalinisation. En 1957, Khrouchtchev a déclaré que le groupe Malenkov-Kaganovitch-Molotov était opposé au Parti, a privé son ancien chef de tous ses postes et l’a « exilé » dans l’Oural pour diriger une usine.
30 ans de vie solitaire
En 1961, la vie lui a porté deux coups : il a été expulsé du Parti et a perdu sa femme. Pendant le dégel, lorsque l’on s’est mis à dénoncer les crimes de Staline à haute voix, tout le monde a tourné le dos à Kaganovitch. Des rumeurs assuraient que, même lorsqu’il s’est retrouvé à l’hôpital, les soins dus lui auraient été refusés.
Ancien commissaire du peuple et proche de Staline, il vivait d’une pension minuscule dans un modeste appartement moscovite. Il n’avait ni de véhicule de service, ni de datcha, ni d’argent qu’il pouvait léguer à ses descendants. Mais il en était fier, car persuadé que c’est justement ainsi que devait vivre un communiste.
Il a été témoin de la perestroïka et de la glasnost’ et réitérait des lettres dans lesquelles il priait de le réadmettre au sein du Parti. Jusqu’à la fin de sa vie, cet homme est resté fidèle à Staline. Il est mort à l’âge de 97 ans, en 1991, à quelques mois seulement de l’effondrement de l’Union soviétique.
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