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« Fils de pute », c'est ainsi que Fidel Castro a réagi en 1962, lors de la crise des missiles de Cuba, en apprenant que Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du Comité central du Parti communiste soviétique, avait décidé de retirer les missiles balistiques à moyenne portée déployés sur l’île en échange de la promesse des États-Unis de ne pas envahir « l'île de la Liberté ». C'est du moins ce qui est indiqué sur le site des archives d'État de la région de Mourmansk.
Castro n'a pas apprécié le fait que Khrouchtchev ait décidé de faire des concessions aux Américains dans son dos, et le slogan « Nikita, Nikita, lo que se da, no se quita » s'est répandu dans tout le pays, ce qui signifie en espagnol : « Nikita, Nikita, ce qui a été donné ne se reprend pas ».
Khrouchtchev n'avait pas l'intention de se quereller avec Fidel et, en janvier 1963, il a envoyé une lettre au dirigeant cubain, dans laquelle il justifiait la décision de retirer les missiles « uniquement pour des raisons de sécurité internationale », et l'invitait à se rendre en Union soviétique.
Pour amener Castro en URSS, il a été décidé d'envoyer un avion Tu-114D à La Havane via Mourmansk, l’une des villes russes du Grand Nord. Pour ne pas attirer l’attention des Américains, Fidel ne voulait toutefois pas voler à bord de l'avion proposé, et a préféré se rendre dans le pays des Soviets par le biais d’un avion de ligne de la compagnie soviétique Aeroflot.
« Notre Tu-114 [celui d’Aeroflot], prétendument à cause d'un dysfonctionnement, a été refourgué dans une partie éloignée de l'aéroport de La Havane, et la nuit, Fidel avec un groupe de 20 accompagnateurs sont montés dans la cabine non pas par les escaliers, mais par une échelle branlante et par la trappe de la soute. Lorsque Fidel a annoncé dans l'avion le but du voyage – se rendre en URSS en passant par Mourmansk, une hilarité folle a éclaté, renforcée par le fait que presque personne n'avait emporté des affaires adaptées », a déclaré Alexandre Alexeïev, ambassadeur de l'URSS à Cuba.
Selon le site web des archives, le vol a été long. Pendant ce temps, Castro a joué aux échecs, parlé, lu, essayé une chaude chapka et demandé le résultat de la rencontre entre les équipes de baseball des États-Unis et de Cuba, qui s'était tenue au Brésil lors des Jeux panaméricains. Le radionavigant Alexandre Anikine a alors posé la question à Moscou, d'où il a été rapporté que les Cubains avaient gagné, ce à quoi Fidel a répondu : « C'est bien ce que je pensais... ».
Pendant ce temps, à Mourmansk, l’on se préparait à l'arrivée de Castro. L’on essayait d’ailleurs de garder son arrivée secrète, mais le bouche à oreille a fait son œuvre.
« Les clôtures n'avaient jamais été peintes aussi vite dans la ville, et des dizaines de peintres en bâtiment ont inlassablement tout mis en ordre... Une épaisse couche de neige recouvrait encore le sol et l’on peignait les murs jusqu’au niveau atteint par elle. L’on accrochait des drapeaux partout, alors qu’il restait encore beaucoup de temps avant les fêtes de mai. L'orchestre des pompiers de Mourmansk apprenait secrètement l'hymne cubain », se souvient l'officier du KGB Nikolaï Leonov.
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Le 27 avril 1963, l'avion a atterri vers trois heures du matin sur une base aérienne près d'Olenegorsk.
« Les applaudissements ont retenti, étouffant les sons de l'orchestre. Les rafales de vent ont agité les drapeaux nationaux de l'Union soviétique et de la République de Cuba, attachés ensemble. Et voici que sur l’escalier de l’avion s’est montré un homme grand, vigoureux, barbu, dont l’allure vaillante est connue du monde entier », a informé le correspondant du journal Pravda. Il est sorti de l’appareil avec une chapka-ouchanka en fourrure et une veste de camouflage, a écouté les hymnes de Cuba et de l'URSS et est monté dans la voiture, qui a conduit la délégation à un train spécial pour Mourmansk.
Fidel Castro est arrivé à Mourmansk à dix heures du matin. À ce moment-là, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies sur la place de la gare et dans les rues avoisinantes, les écoliers ayant fui les salles de classe et les ouvriers leurs usines pour voir le leader cubain.
« Les gens étaient assis sur les toits, accrochés à des poteaux, tous ont accueilli les Cubains avec fougue. Certains avaient même les larmes aux yeux. Tout le monde criait à la gloire de Cuba et de son leader, tous scandaient "Viva Cuba !" », cite Aliona Alatalo, une résidente de Petrozavodsk, une lettre de son père, qui a été témoin de l'arrivée de Castro. Selon sa description, Fidel était « avec des yeux fatigués mais heureux, était très humble et a plu à tout le monde ».
« La température ici, à laquelle nous ne sommes pas habitués dans notre pays, est froide. Mais dans vos cœurs il y a une chaleur. Et cette chaleur est ressentie par nous, tous les Cubains qui sont venus sur votre terre », a alors déclaré Fidel dans son discours de salutation.
Après la rencontre, Castro s'est rendu à la datcha locale de Khrouchtchev, qui est devenue sa résidence lors de ce voyage. Fidel se réjouissait de la neige – il la lançait en l'air, s'en saupoudrait, la goûtait et marchait sur les congères, en s’y enfonçant presque jusqu’à la taille. Il a également essayé d’avancer à skis, mais il en tombait tout le temps.
Ensuite, Castro a visité le brise-glace Lénine, le port de pêche de Mourmansk et une usine de poissons. Il a mangé un morceau de poisson-loup grillé, a goûté au flétan, à la perche fumée à froid et à d'autres plats. Il a surtout apprécié les ravioles de poisson. En signe d’adieu, on lui a ici donné un énorme flétan, qu’il avait presque du mal à soutenir dans ses mains.
« Quand Castro a quitté l'usine de poissons, des gens l’attendaient là aussi. Il y avait un tas de barils sur le quai. Les gens étaient assis et debout dessus. Les jeunes femmes ont commencé à demander à être photographiées avec lui. Castro est rapidement monté sur un tonneau et tous ont été pris en photo en guise de souvenir », a écrit le père d'Aliona Alatalo.
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Dans la matinée du 28 avril, Fidel Castro est venu voir la Flotte soviétique du Nord et est monté à bord d'un destroyer d’escadron. Pour réchauffer le leader cubain, l’on a remis à Castro une veste noire à fourrure blanche (telle qu'elle était alors portée par les marins militaires) et une chapka-ouchanka d'officier. C’est ainsi vêtu qu’il a passé la journée tout entière.
Castro est descendu du navire et a observé le « salut des nations » en son honneur – 21 salves d'artillerie. On lui a ensuite montré un sous-marin doté de missiles balistiques. Castro a demandé à ce que l’on ouvre les écoutilles et que l’on lève l’un des missiles en position de lancement.
« Applaudissons, camarades, ce miracle de la technologie – l'exploit des scientifiques et des concepteurs soviétiques. Ce missile protège la paix et la tranquillité de nos pays et de nos peuples », a déclaré Castro à propos du missile.
Selon Nikolaï Leonov, Castro s’était rendu à la Flotte du Nord uniquement dans ce but.
« Sa tâche principale était de s'assurer que l'Union soviétique disposait des moyens adéquats pour répondre à la menace nucléaire des États-Unis », a assuré Leonov.
Puis, Fidel a été emmené à l'aérodrome militaire de Severomorsk-1, où il n'est pas resté longtemps. Immédiatement après l'excursion d'introduction, il s'est rendu à Moscou à bord d'un IL-18. Pour retourner à Cuba, il est ensuite de nouveau passé par la péninsule de Kola, où se trouve Mourmansk.
Plus de 50 ans se sont écoulés depuis la visite de deux jours de Fidel à Mourmansk, mais les habitants locaux se souviennent encore avec chaleur de la visite du leader cubain. Par exemple, le site web des archives contient un tel commentaire d'une habitante de la région :
« L'un de mes premiers et plus forts souvenirs d'enfance est mes larmes de ne pas avoir vu Fidel Castro descendre la rue Lomonosov. Il y avait beaucoup de gens, l’on brandissait des petits drapeaux soviétiques et cubains... Castro est passé rapidement. J'ai été distraite, je me suis mise à jouer avec une fillette sur la pelouse. Et j'ai tout raté. Ma mère m'a réconfortée en m'expliquant : personne n'a vu Fidel Castro, seulement une main tendue de la voiture, avec laquelle il a salué les habitants de Severomorsk ... "Cuba est mon amour !" ».
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