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La ville médiévale de Rostov (souvent appelée « Rostov le Grand », (Rostov Veliki) pour la distinguer de la ville méridionale de Rostov-sur-le-Don) bénéficie d'un superbe cadre naturel sur la rive nord du lac Nero. Nulle part cette beauté lyrique n'est plus évidente qu'au monastère Saint-Jacques, situé à l'extrémité ouest de la ville. En 1911, le photographe et chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski en a réalisé plusieurs photographies lors de son passage à Rostov dans le cadre d’un voyage qui visait à documenter la diversité de l'Empire russe au début du XXe siècle. Mes propres photographies du monastère ont été prises sur une période allant de 1992 à 2019.
Rostov, l'une des premières villes de Russie historiquement attestées, est mentionnée pour la première fois sous l'an 862 dans l'ancienne Chronique des temps passés. Tout au long du Xe siècle, des colons slaves - principalement venus des terres de Novgorod - se sont installés dans cette zone, déjà habitée par des tribus finno-ougriennes.
En 988, le prince Vladimir de Kiev, l’homme qui baptisa la Russie, donna les terres de Rostov à l'un de ses fils, Iaroslav, une figure majeure, qui devint plus tard connu sous le nom de « Iaroslav le Sage ». Au milieu du XIe siècle, les terres de Rostov sont passées au fils de Iaroslav, Vsevolod, et des missionnaires chrétiens tels que Léonty de Rostov ont intensifié leurs tentatives de convertir une population locale majoritairement païenne. L'évêque Léonty a connu le martyre pour ses efforts au début des années 1070.
La consolidation de l'autorité de l'Église a été symbolisée par la cathédrale de la Dormition de la Vierge Marie de Rostov, entamée au milieu du XIIe siècle par le prince Andreï Bogolioubski de Vladimir et reconstruite par le prince Konstantin Vsevolodovitch dans les années 1220. Reconstruite une nouvelle fois au début du XVIe siècle, la cathédrale de la Dormition est maintenant en cours de restauration après des décennies de négligence et de dommages.
À l'ouest de la ville, une autre cathédrale aux racines anciennes fait l'objet d'une restauration prolongée pour retrouver une partie de sa gloire du XVIIe siècle. Maintenant connue sous le nom de cathédrale de la Conception de Sainte-Anne, ce monument situé dans le monastère Saint-Jacques a également été photographié par Prokoudine-Gorski dans le cadre de son travail considérable en ces lieux, qui constituent l’un des centres spirituels les plus importants de Russie.
Ce monastère prend ses racines en 1389 lorsqu'un certain Yakov (Jacques), ancien évêque de Rostov, quitte la ville pour s’installer non loin du lac Nero, près de l'église de l'archange Saint-Michel, fondée par l'évêque Léonty au milieu du XIe siècle. Là, Yakov a construit une église en rondins dédiée à la Conception de sainte Anne.
Après la mort de Yakov en novembre 1392, sa dépouille a été enterrée dans l’église de la Conception, où il a été vénéré localement. À la fin des années 1540, il fut canonisé lors de la célèbre convocation de l’Église orthodoxe organisée par le métropolite Macaire de Moscou afin de reconnaître les saints russes.
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Histoire ancienne
Au cours des premiers siècles de son existence, le monastère était connu sous le nom de Conception-Saint-Jacques. Sa première structure en maçonnerie, maintenant connue sous le nom de cathédrale de Conception de Sainte-Anne, était à l'origine dédiée à la Sainte Trinité et a été construite en 1686 sur le site de l'église en bois de la Conception, celle où Saint Jacques avait été enterré.
La cathédrale de la Trinité reflétait l’activité de construction intense du métropolite Jonas de Rostov, créateur de la majestueuse Cour métropolitaine (connue sous le nom de Kremlin de Rostov). En effet, Jonas était présent lors de la consécration de la cathédrale.
À l'extérieur, les façades de la cathédrale sont divisées en trois segments avec une ornementation minimale. Le toit à quatre pentes est couronné de cinq coupoles, culminant sur des cylindres appelés « tambours ». Les contours baroques des coupoles sont le fruit de modifications datant du XVIIIe siècle. Prokoudine-Gorski a photographié une partie de la façade ouest encadrée par le feuillage d'été.
Entre 1689 et 1690, l'intérieur de la cathédrale a été peint avec des fresques par un groupe d'artistes sous la direction du maître-peintre de Iaroslavl Dmitri Plekhanov. Ces fresques ont été « modernisées » en 1778, mais un nettoyage et une restauration cherchent désormais à retrouver une partie de l'œuvre picturale originale.
Au début des années 1760, une iconostase baroque élaborée a été installée, mais elle a été démantelée pendant la période soviétique. Bien que Prokoudine-Gorski n'ait pas photographié l'intérieur, j'ai inclus une sélection de photographies de 2019 pour donner une impression de l'espace.
Au XVIIIe siècle, le monastère connut une transformation liée à l'arrivée en 1702 du métropolite Dmitri (Touptalo), prélat ukrainien très estimé pour son érudition et nommé par le tsar Pierre Ier (le Grand) au poste de métropolite de Rostov.
Dès son arrivée au monastère Saint-Jacques, Dmitri a proclamé son souhait d’être inhumé dans la cathédrale de la Trinité plutôt que dans la cathédrale de la Dormition située au centre de Rostov, où les prélats de la région étaient traditionnellement enterrés. L’enterrement de Dmitri en 1709 a été un moment déterminant dans l’ascension du monastère. En 1725, une église dédiée à Saint-Jacques a été construite près de la façade nord de la cathédrale de la Trinité.
En 1752, les restes de Dmitri ont été découverts lors de réparations du sol de la cathédrale de la Trinité. Deux ans plus tard, la cathédrale a été consacrée à la Conception de Sainte-Anne en l'honneur du sanctuaire monastique original construit par Jacques.
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Prisé de la noblesse
Avec la canonisation de Dmitri de Rostov en 1757, l’impératrice Élisabeth (la fille de Pierre le Grand) a fait de somptueuses donations, dont un sarcophage en argent destiné à contenir les reliques du saint dans la cathédrale de la Conception (cet objet remarquable a été fondu par les bolcheviks en 1922).
Un renforcement majeur du prestige du monastère s'est produit sous le règne de Catherine II (la Grande), qui l’a choisi pour son premier pèlerinage en tant qu'impératrice à la fin du mois de mai 1763. L'année suivante, le monastère a vu son statut rehaussé pour être supervisé directement par le Saint-Synode, principal organe directeur de l'Église orthodoxe russe de 1721 à 1917. Cela lui a assuré un soutien financier considérable.
En 1764, le monastère obtint également la propriété du monastère de la Transfiguration du Sauveur adjacent. En l'honneur de la fusion, le monastère fut renommé en 1765 monastère du Sauveur-de-Saint-Jacques, une désignation qu'il a conservée jusqu'en 1836, quand il a été rebaptisé une fois de plus pour honorer Saint Dmitri de Rostov.
Le plus grand hommage au prélat fut la construction en 1795-1801 de la grande église néoclassique de Saint Dmitri, métropolite de Rostov. Le financement de la construction de cet édifice a été fourni par le comte Nicolas Cheremetiev (1751-1809), petit-fils du maréchal Boris Cheremetiev (1652-1719), principal commandant de l'armée de Pierre le Grand et contemporain de Dmitri (Touptalo).
Nicolas Cheremetiev souhaitait élever un sanctuaire imposant pour contenir les reliques du prélat. Les autorités ecclésiastiques, cependant, s’y sont opposées, au motif que Dmitri avait clairement exprimé son désir d'être enterré dans la cathédrale de la Conception.
Néanmoins, l'église (ou cathédrale) de Saint-Dmitri était achevée, et un siècle plus tard, après le bicentenaire de la mort de Saint-Dmitri, une situation inhabituelle a surgi : un deuxième sarcophage en argent a été réalisé pour les reliques du saint, qui ont été transférées chaque été de la cathédrale de la Conception à la cathédrale Saint-Dmitri. Ce deuxième sarcophage a également été fondu pour son argent par les bolcheviks en 1922.
En 1824, l'abbé Inokennty ordonna de raser la modeste église Saint-Jacques, attachée à la façade nord un siècle plus tôt. Son projet consistant à ériger un édifice plus imposant a été rendu possible grâce à la somme mirobolante de 75 000 roubles offerte par la comtesse Anna Orlova-Tchesmenskaïa (1785-1848), fille unique du comte Alexis Orlov, l'un des proches collaborateurs de Catherine la Grande. Figure énigmatique dont la vie et la mort ont été entourées de légendes et de rumeurs, Orlova a légué l'essentiel de son énorme richesse à l'Église orthodoxe. Ce projet comprenait la création d'un grand narthex (vestibule) de style éclectique qui reliait les deux structures sur la façade ouest.
Du milieu du XIXe siècle au début du XXe, le monastère a reçu tous les tsars à l'exception d'Alexandre III, ainsi que de nombreux autres membres de la famille royale. Sa prospérité a brusquement pris fin avec l’arrivée au pouvoir des bolcheviks. Après la fermeture du monastère en 1923, certains de ses trésors artistiques ont été conservés par le musée de Rostov, mais le monastère a dans l’ensemble été saccagé et défiguré par une reconversion en vue d’un autre usage. L'ampleur des dégradations ressort clairement de mes photographies du début des années 1990, après la restitution du monastère à l'Église orthodoxe en avril 1991.
La transformation récente du monastère a été impressionnante, mais beaucoup reste encore à faire pour restaurer l’héritage artistique de ce centre historique de la culture spirituelle russe.
Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.
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