Comment un officier soviétique a transformé un camp de prisonniers en nid de résistants en France

Histoire
DARIA GRIDIAÏEVA
Surveillant du camp nazi de Beaumont-en-Artois (France), Vassili Porik a caché son détachement partisan directement sur son territoire. Il est devenu le seul officier soviétique à recevoir à titre posthume le titre de héros de l'URSS pour ses exploits dans les rangs de la Résistance française.

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En juillet 1944, des résistants français organisent un rassemblement illégal à Loos-en-Gohelle pour célébrer le 14 juillet*. Depuis deux ans, dans le pays occupé par les troupes allemandes, la fête nationale a été retirée du calendrier. Soudain, un groupe de soldats soviétiques brandissant un drapeau écarlate dirigé par un lieutenant de l'Armée rouge apparaît devant le public. L’assistance se fige, frappée par l’audace de cet homme osant se promener au nez et à la barbe des nazis en uniforme soviétique.

« Au nom des patriotes soviétiques en France, permettez-moi de vous transmettre mes salutations de résistant !, a-t-il lancé. Nous ne restons pas à l'écart de la bataille menée par notre pays, et avec les patriotes français, nous avons combattu et combattrons les nazis jusqu'au bout ». L'orateur s'appelait Vassili Porik. La Gestapo traquait depuis longtemps cet officier soviétique, commandant d'un détachement de partisans sur le territoire de la France occupée.

Chef de prisonniers de guerre et résistant

Le fait que Vassili se soit adressé aux Français au nom des partisans soviétiques combattant dans les rangs de la Résistance n’avait rien d’un hasard. À 24 ans, il était déjà l'un des chefs du Comité central des prisonniers de guerre soviétiques en France, qui avait réussi à former 20 unités composées de prisonniers de guerre originaires d’URSS luttant contre les occupants allemands dans tout le pays.

Fait étonnant, pendant longtemps, cet ardent chasseur de nazis avait été considéré comme un fidèle soutien du Troisième Reich... Vassili a été capturé par les Allemands sur le front sud-ouest près d'Ouman (actuelle Ukraine), où il avait été envoyé immédiatement après reçu son diplôme de l'école militaire de Kharkov. Après être tombé en captivité, il a été transporté par les nazis en Pologne avec d'autres prisonniers de guerre soviétiques, puis de là en France, dans le département du Pas-de-Calais. Alors qu'il était emprisonné dans le camp de Beaumont-en-Artois, il a réussi à gagner la confiance des Allemands et même à accéder au poste de surveillant.

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« Vassili occupait une position beaucoup plus élevée qu'un simple prisonnier. Il avait la possibilité de sélectionner des personnes fiables, de former des groupes clandestins et de les empêcher d'aller travailler, les envoyant réaliser des missions à l'extérieur du camp. Pendant longtemps, les Allemands n'ont jamais pensé à rechercher des résistants à l'intérieur du camp de prisonniers », explique Sergueï Dybov, chef de l'association Mémoire Russe, chargée de préserver la mémoire des compatriotes décédés en France.

Cependant, au fil du temps, il est devenu trop difficile de cacher le subterfuge - à la suite d'actions ratées, certains résistants sont morts ou ont été capturés à nouveau. La Résistance a été forcée d'organiser l'évasion de Vassili et de ses assistants les plus actifs au sein du camp. Un détachement de partisans français s’est alors approché des murs de Beaumont-en-Artois, et en a ouvert les portes. Ses membres ont pénétré dans le camp, ont désarmé les gardes et ont libéré les hommes. « Le commandement allemand était furieux », explique Dybov.

Ennemi mortel de la Gestapo

Après s'être échappé du camp de Beaumont-en-Artois, Vassili Porik a poursuivi ses activités clandestines. Son détachement, divisé en petits groupes de plusieurs personnes pour plus de discrétion, combattait activement les envahisseurs dans le nord du pays. Les résistants démontaient les rails, faisaient dérailler le train, endommageaient les locomotives, coupaient les câbles. « Le travail résistants était beaucoup plus large et ne se réduisait pas aux seuls affrontements, commente Sergueï Dybov. À l'époque, détruire une ligne téléphonique était beaucoup plus important que de tirer sur un soldat allemand ».

L'épisode le plus célèbre de l'affrontement entre Porik et les Nazis est peut-être l'évasion de la prison Saint-Nicaise, à Arras). Nous connaissons les événements de cette journée grâce aux notes de journal laissées par Vassili. Les soldats de la Gestapo ont emprisonné Vassili blessé dans une cellule et l'ont torturé pendant longtemps, cherchant à obtenir de précieuses informations. Mais même dans une situation aussi terrible, le partisan ne voulait pas abandonner sans se battre. « J'ai décidé de mourir en luttant. La nuit, j'ai réussi à retirer un clou de la fenêtre... », se souvient-il avec enthousiasme dans son journal. Ayant tué un garde avec son clou, Porik a fait une corde avec des couvertures a réussi à sortir. Les médecins de la résistance sont parvenus à le guérir.

Mais le vent a fini par tourner pour Porik. Le commandant insaisissable a finalement été capturé et exécuté par les Allemands le 22 juillet 1944. Trois mois plus tard, la région était libérée par les forces alliées... « Il n'y a pas de chiffres exacts sur les résultats complets de l'activité du détachement de partisans, en particulier pendant la période où il était dirigé par Vassili Porik, explique Dybov. Mais après la libération de la France, le Comité central des prisonniers de guerre soviétiques a dévoilé les résultats obtenus dans le nord du pays : 400 soldats et officiers ennemis abattus, 229 faits prisonniers, 19 convois avec une cargaison militaire ont déraillé, 11 locomotives à vapeur ont été endommagées, etc. »

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Héros de l'URSS et de la France

Malgré le fait que plus de 30 000 citoyens soviétiques aient été comptabilisés dans les rangs de la Résistance, ces personnes combattaient de différentes manières, qui ne ressemblaient pas toutes à celles de Porik. « La plupart d'entre eux étaient des transfuges venus de l'autre bout du front, d'anciens soldats de Vlassov, des Cosaques, des membres des légions SS du Turkestan, d’Azerbaïdjan, d’Arménie, tatare, etc., explique le fondateur de l’association Mémoire Russe. Pour cette raison, dans les années 1940, seulement 2 000 personnes avaient le statut officiel de partisan soviétique combattant en France ».

L'histoire de Vassili n’est devenue largement connue que dans les années 1960, « lorsque la détente a commencé et que la France a été son principal initiateur, s’imposant comme le principal allié de l'URSS » en Occident. Pour ses activités dans les rangs de la Résistance, Porik a reçu à titre posthume le titre de Héros de l'URSS : c'est le seul cas où une telle reconnaissance a été reçue par une personne ayant combattu les nazis en France.

Dybov explique qu'en France, la mémoire de Porik est toujours vivante. « Il y a un mois, dans la ville de Grenay, un square portant son nom a été inauguré. Pour l'ouverture, on avait réuni des enfants des écoles locales, explique-t-il. Il est prévu de mettre une plaque commémorative sur la maison où il était caché. Il y a une rue qui porte son nom. Des cérémonies commémoratives ont lieu sur sa tombe chaque année le jour de sa mort. Elles sont menées par les autorités de la ville et les sociétés d'amitié ».

« Un homme seul sur le champ de bataille n’est pas un guerrier »

Dybov lui-même ne cache pas son admiration pour les hauts faits de l'officier soviétique. « Porik était une personnalité incroyablement forte et tenace. Imaginez : dans les conditions de travail forcé les plus difficiles, en captivité, dans un pays étranger, il ne s'est pas laissé aller, il n'a pas baissé les bras, et a même incité les autres au combat ! », s’émerveille-t-il.

Dans le même temps, le fondateur de Mémoire Russe rappelle que comme le dit l’adage russe : « Un homme seul sur le champ de bataille n’est pas un guerrier ». « Porik a obtenu la gloire, il est célèbre. Mais des exploits à si grande échelle ne se font pas seul », précise-t-il. Selon lui, Mémoire Russe est en train de reconstituer le destin du camarade d'armes du héros, Alexander Tkatchenko, qui a préparé l'évasion de Beaumont-en-Artois. « Nous essayons également de comprendre le sort de Mark Slobodinski, l'un des organisateurs du comité des patriotes soviétiques, sur la base duquel le Comité central des prisonniers de guerre soviétiques est apparu plus tard. Après la mort de Vassili, il est devenu commandant de son bataillon. Il a survécu et est retourné en URSS, mais sa trace est ensuite perdue », explique Dybov.

Dans cet autre article, nous vous dressons le portrait d'Anna Marly, voix russe de la Résistance française.

* Les événements sont décrits sur la base du journal et du texte du discours de Vassili Porik publiés dans le livre Les Héros morts parlent. 1941-1945, ainsi que sur le livre Duel avec la Gestapo V. Travinski, M. Fortus