Destins russes dans la Résistance française

L'Humanité, 9 mai 1945.

L'Humanité, 9 mai 1945.

Maria Tchobanov
Lors des Journées européennes du patrimoine, une exposition unique s’est tenue dans les murs de la Résidence de l'Ambassadeur russe à Paris, l’Hôtel d’Estrées.

Les 19 et 20 septembre 2015, lors des Journées européennes du patrimoine, la Résidence de l'Ambassadeur russe à Paris, l’Hôtel d’Estrées, a accueilli plus de 5 000 visiteurs. N’étant ouvert au grand public qu’une fois par an, la résidence a attiré les curieux non seulement par son splendide intérieur mais aussi avec une exposition unique tenue dans ses murs. « Les Russes dans la Résistance française » : tel est le nom de cette chronique qui relate, à travers des photographies et des documents d’archives, des dizaines de vies russes faisant partie de l’histoire de France. Voici trois d’entre elles.

Maquisard de la Gironde

Crédit : Maria Tchobanov

La guerre a surpris Oleg Ozerov à 4 heures du matin le 22 juin 1941 à la frontière ouest de la Russie, où il servait dans l'Armée rouge. Avec d’autres prisonniers de guerre Oleg Ozerov a été transféré en France en 1943. « Tôt le matin, j’ai vu à travers de la fenêtre du train un homme en casquette ronde et j’ai pu reconnaître l’uniforme français. J’ai levé le poing et l'ai salué, comme il était de coutume chez les antifascistes, "Rotfront !" – raconte-t-il. Il a fait un pas de côté, a sorti un drapeau rouge de cheminot et l’a agité. Ainsi je me suis rendu compte que nous étions en territoire ami».

Oleg Ozerov s’était retrouvé à Bordeaux, affecté à la construction d’une base pour la réparation des sous-marins allemands. Grace à l’aide de Fiodor Voroniché, du nom de Paul, membre de l'organisation clandestine du Parti communiste français, Oleg Ozerov avec cinq autres camarades s’est évadé du camp. Ayant échappé de justesse aux poursuites, passé par nombreuses adresses clandestines, il a rejoint le groupe du maquis de Lorette qui menait ses actions dans les départements du Lot-et-Garonne et de la Gironde.

« Les maquisards avaient beaucoup de respect pour les Russes, qui ont amené la discipline, l’expérience de guerre et des camps de travail », témoigne Oleg Ozerov. Avec son groupe, il participait à des actes de subversion et des embuscades sur les routes, les voies ferrées et les ponts, affrontant la police de Pétain. Après le débarquement des Alliés en Normandie en juin 1944, les maquisards ont intensifié leurs actions et n’hésitaient plus à s’engager dans des combats ouverts et à participer à la libération des villes du sud-ouest de la France : Saint-Basle, Marmande, la Réole, Langon, Bordeaux.

Survie miraculeuse

Gleb Plaksine. Crédit : Maria Tchobanov

C’est un chemin très différent qui a amené Gleb Plaksine dans la Résistance. Fils d’émigrés russes, Gleb est né à Lyon. Le garçon avait un talent exceptionnel, à trois ans il a commencé à jouer du piano. Chaliapine et Rachmaninov lui promettaient un avenir brillant en tant que musicien. En 1943, dix jours avant l'examen final au Conservatoire russe de Paris, Gleb a dû fuir Paris pour partir en Bretagne, sans papiers ni argent, prévenu par la voisine que la police et un homme de la Gestapo l’attendaient chez lui. Il rejoint ensuite un groupe de maquisards à Nantes. Dans les Maquis, il croisait souvent des soviétiques évadés des camps allemands. Selon lui, ils servaient d’exemple d’héroïsme et de courage aux Français, ils se battaient avec l’acharnement.

Un jour, il a miraculeusement survécu au bombardement de la ville par les Américains : dans toute la rue, une seule maison est restée intacte, celle où il se trouvait. « Quand j’ai aperçu une bombe qui s’approchait, j’ai revu toute ma vie en quelques secondes, depuis mes deux ans, quand mon père a construit une radio pour écouter Moscou, et que je n’arrivais pas à comprendre d’où venait la voix », racontait Gleb Plaksine lors de son dernier voyage à Paris en 2004.

Gleb Plaksine a fini la guerre en tant que soldat du 331e régiment de la 83e division de l'armée américaine. Parlant six langues européennes, il a été engagé comme traducteur pour le commandement américain. En 1955, la famille de Gleb est rentrée en Russie.

Partisan de dix ans

Igor Lopatinsky (à gauche). Source : archive personnelle

Igor Lopatinsky n’avait que 10 ans quand son frère aîné a rejoint le mouvement de la Résistance. C’est lui qui a entraîné le père, fis d’un officier de l’Armée blanche, et, finalement, Igor, dans les opérations de sauvetage des soldats et officiers soviétiques, prisonniers de guerre, qui se sont retrouvés dans les camps de travaux forcés en France. L’appartement des Lopatinsky à Montparnasse, parmi d’autres adresses clandestines, servait aux prisonniers évadés de refuge intermédiaire avant leur transfert vers les détachements des partisans. « Chaque soir, à cinq heures, je devais appeler le siège des partisans, qui se trouvait dans la banlieue de Paris, à Levallois. Le plus souvent j’entendais : "Rien" et je raccrochais. Mais si on me disait "Demain", le lendemain, je devais accompagner les fugitifs, qui se cachaient chez nous, en général, deux ou trois personnes », raconte Igor Lopatinsky. Le petit Igor devait accompagner à pied les camarades, sans se faite repérer, de Montparnasse à la place Clichy, au nord de Paris, ou les résistants français les attendaient.  Le garçon de 10 ans avait plus de chances de traverser la ville sans attirer l'attention des patrouilles allemandes. Il a ainsi aidé une trentaine de personnes, qui, comme il l’a appris plus tard, ont toutes étaient accusés de trahison par Staline.

Aujourd’hui à la retraite, Igor Lopatinsky préside l’Organisation interrégionale des partisans soviétiques et russes en France « Les soldats et les volontaires » et s’occupe de ses importantes archives, qui contiennent des documents uniques sur l'histoire de l'émigration russe.

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