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La révolution française a forcé la plupart des aristocrates à quitter la France et à chercher refuge dans les cours des dirigeants européens. Parmi eux se trouvaient de nombreux représentants de la dynastie dirigeante renversée, les Bourbons, dirigée par un roi sans royaume : Louis XVIII.
Le comte Louis-Stanislas-Xavier s’est proclamé roi de France en 1795, après que le précédent monarque Louis XVII, son neveu de dix ans Louis-Charles, eut été torturé à mort dans la prison du Temple à Paris.
Les dirigeants européens, tout en reconnaissant le statut de l’exilé, n'ont pas pu l'abriter pendant longtemps. La république française pourchassait les Bourbons, qu'elle détestait, et forçait souvent par divers moyens les pays européens à expulser les membres de la cour de Louis de leur territoire.
Le monarque désespéré a trouvé de façon inattendue un nouveau foyer dans la lointaine et froide Russie. Dans le même temps, l'autocrate russe l’a inondé de largesses dont il n’aurait pu rêver.
Versailles en Russie
Initialement, l'empereur Paul Ier a proposé au roi de s'installer dans la ville allemande de Jever, qui appartenait à la couronne russe. Mais comme l’endroit était dangereusement proche de la Hollande occupée par les troupes françaises, la proposition a été déclinée.
En conséquence, Louis XVIII a reçu un palais à Mitau (actuellement Jelgava en Lettonie), où sa cour a déménagé en 1798. Pour sa garde personnelle, Paul lui a remis une centaine de soldats du célèbre Corps du prince de Condé composé de sept mille hommes, qui à cette époque avait également trouvé refuge en Russie.
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Le capricieux monarque, cependant, n'était pas entièrement satisfait des avantages qui lui étaient fournis : « Paul Ier m'a fait installer ici à la va-vite. Les chambres pour moi, la reine et le duc d'Angoulême étaient meublées très luxueusement ; mais entre-temps, ils n'ont pas du tout pensé à préparer de chambres pour ma suite ni ma maison. Dans cet immense château, nous n'avons trouvé que des murs nus... J'ai dû acheter tout ce dont j'avais besoin de ma poche* ».
L'empereur russe s’est senti blessé par une telle ingratitude, et son profond respect pour le monarque français s’en est retrouvé refroidi.
Virage politique
Ce ne sont pas les sentiments personnels qui ont poussé l'empereur Paul à mettre fin à la vie paisible du monarque français dans son « petit Versailles » et à prier Louis de quitter le pays. Les raisons étaient avant tout politiques.
L'empereur russe éprouvait une déception croissante envers ses alliés de la coalition anti-française. En premier lieu, l’irritation a été causée par les Autrichiens, tranquillement assis à l'arrière pendant que les troupes russes versaient leur sang dans les batailles contre les Français dans le nord de l'Italie et les montagnes de la Suisse.
La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut le comportement de la Grande-Bretagne qui, en septembre 1800, ayant évincé la garnison française de Malte, a décidé de garder l'île pour elle-même, au lieu de la rendre à ses propriétaires légitimes - les chevaliers de Malte.
Furieux, Paul, qui était le grand maître de l'Ordre, a pris cette mesure comme une insulte personnelle. Le vecteur de sa politique étrangère a cardinalement changé - la Russie a commencé à rechercher une réconciliation avec la France.
De nouveau sur la route
Le premier consul de la république, Napoléon, en politicien visionnaire, s'est empressé de rencontrer le souverain russe et a libéré six mille soldats de captivité. Une correspondance active a alors commencé entre les deux hommes, des plans d’alliance militaire et même une campagne pour saisir l'Inde britannique ayant été évoqués. « Avec votre souverain, nous allons changer la face du monde ! », a déclaré Napoléon à l'envoyé russe à Paris, ce qui a ravi Paul.
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Dans ces conditions, les perspectives de la cour du roi de France en Russie se sont rapidement assombries. Le 19 janvier 1801, Louis a reçu l'ordre de l'empereur de quitter immédiatement le pays. Louis XVIII a entrepris d'écrire une lettre à Paul, mais la plume lui est tombée des mains.
Privé de logement et de sa garde, le roi quitte Mitau et se dirige vers la frontière occidentale de la Russie. « J'étais en cruelle difficulté. Je n’avais pas d’argent et j’ai dû en obtenir grâce à des marchands qui ont accepté de m’accorder un prêt contre la parole d’honneur du roi* », se souvient Louis XVIII. Au lieu d'un palais, il a dû passer la nuit dans des hôtels en bordure de route, et un jour, un officier russe a même catégoriquement refusé de lui fournir des chambres, quoique sachant très bien que le roi de France se tenait devant lui.
À Varsovie, qui appartenait à l'époque à la Prusse, Louis a appris le meurtre de Paul à la suite d'un complot de la noblesse, dans lequel la Grande-Bretagne avait joué un rôle important. « Je ne puis exprimer ce que j’ai ressenti quand j'ai découvert cet événement... J'ai oublié toutes ses injustices par rapport à moi et je n'ai pensé qu'à la mort qui l’avait emporté* », a écrit le roi.
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Retour en Russie
Alexandre Ier, qui est alors monté sur le trône russe, a renoué avec la politique anti-française et a invité Louis à s'installer de nouveau en Russie. Certes, le roi n'a accepté la proposition qu'en 1804, lorsque, sous la pression de Napoléon, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, « doux et faible, comme la plupart des bonnes gens », lui a demandé de quitter Varsovie.
La cour royale s'installe à nouveau dans le « petit Versailles » à Mitau. Ici, au printemps 1807, une rencontre historique a lieu entre Louis XVIII et l'empereur Alexandre Ier qui, selon l'exilé, a promis qu'il ne l’abandonnerait jamais et qu’il y aurait toujours une place dans son pays, ainsi que dans son amitié.
En fait, Alexandre, contrairement à son père Paul Ier, ne tenait pas le roi français en haute estime. Après une réunion, il a dit à ses compagnons que cet homme insignifiant ne pourrait jamais régner. Il a conservé cette attitude envers Louis XVIII et envers tous les Bourbons tout au long de sa vie.
Les nuages amoncellent à nouveau
L’espoir placé par Louis dans le fait que son « frère » Alexandre écraserait le « Corse » tant honni et lui rendrait le trône s’est effondré avec la défaite de la quatrième coalition anti-française. Les deux empereurs ont fait la paix à Tilsit, et la Russie a de nouveau pris parti pour Napoléon.
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Aguerri par son amère expérience, le roi de France a compris qu'il devrait bientôt plier bagage. Comme l’a noté l'un de ses proches collaborateurs, Ambroise-Polycarpe de La Rochefoucauld, duc de Doudeauville, les relations amicales qui s’étaient nouées après la paix de Tilsit entre les deux opposants récents ont poussé Louis XVIII, attristé, à quitter à nouveau la Russie, cette fois, non pas par la force, mais de manière totalement volontaire.
Le roi errant s’est rendu en Suède, puis en Angleterre, où il demeura jusqu'à son accession au trône français en 1814. En passant, son « ami et bienfaiteur » Alexandre fut le seul, parmi les dirigeants européens influents, à s'opposer au retour des Bourbons au pouvoir.
*Les propos ont été retraduits du russe
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