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Pierre Cubat se retrouva à la cour des Romanov à la suite d'un étonnant concours de circonstances. Issu d’une famille de cuisiniers et originaire de la petite station balnéaire d'Alet-les-Bains, il fit ses études à Carcassonne, puis partit à la recherche du bonheur dans la capitale française.
Le jeune homme travaillait au Café Anglais lorsque, en 1872, la légendaire « rencontre des trois empereurs » – Alexandre II, Guillaume Ier et Otto von Bismarck – eut lieu à Paris. Cubat, qui aiguisait alors son art culinaire depuis cinq ans, participa à la préparation d'un déjeuner pour ces importants personnages, puis se rendit en Russie impériale afin de servir l’un des grands-ducs.
Cependant, le Français ne travailla pas longtemps pour ce nouveau patron – bientôt le monarque russe en personne vint dîner et apprécia tant le talent du maître qu’il l'invita à prendre part au concours de cuisine du palais. C'est ainsi que Cubat commença à officier à la cour, préparant des plats exquis pour l'aristocratie russe.
Malgré les critiques de certains membres de la cour, qui trouvaient ses plats trop sophistiqués et les difficultés liées à la mauvaise aptitude des palais russes à servir rapidement les repas, les Romanov eux-mêmes raffolaient des créations du chef français.
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Le maître était considéré comme particulièrement adroit en matière d’hors-d'œuvre, et en préparait une grande variété. Le cuisinier ne nourrissait par ailleurs pas que les Romanov, mais faisait aussi montre de ses talents lors de grands événements publics, tels qu’un buffet pour 2 500 personnes en faveur de la Croix-Rouge.
Après la mort d'Alexandre II dans un attentat terroriste, le Français continua dans un premier temps à servir son fils, Alexandre III. Deux ans plus tard, il rentra toutefois en France, où il envisagea de se reconvertir dans la vigne. Ce domaine, cependant, ne lui apporta pas le succès escompté, et Cubat fut forcé de regagner la Russie.
Après sa deuxième apparition à Saint-Pétersbourg, il devint propriétaire d'un magnifique restaurant sur la rue Bolchaïa Morskaïa. Auparavant, cet établissement était nommé Café de Paris, mais le nouveau maître des lieux lui donna son propre nom. Les dandies de la capitale impériale commencèrent alors à se réunir depuis tous les coins de la ville pour le petit déjeuner tardif « chez Cubat » et, ici, en compagnie d'élégantes ballerines, déjeunaient les grands-ducs. Dans le restaurant du Français, il était ainsi possible de rencontrer Fiodor Chaliapine, Serge de Diaghilev et beaucoup d'autres figures de l'art russe. En outre, Cubat dirigeait la cuisine de l'un des représentants de la noble lignée des comtes Orlov, qui était captivé par ses talents culinaires.
Pourtant, Cubat aspirait avant tout à la reconnaissance dans son pays d’origine. C'est pourquoi, en 1895, il ouvrit son deuxième restaurant à Paris, dans le célèbre hôtel de la Païva situé sur les Champs-Élysées. À la même époque, il construisit dans sa ville natale d’Alet la Villa Livadia, du nom d'un palais d'été russe, au sein duquel il passait beaucoup de temps avec les Romanov. Peu à peu, le célèbre restaurateur parvint finalement à réorienter son activité professionnelle vers l’Hexagone. Les deux restaurants de Cubat jouissaient d’une grande popularité, alors que souhaiter de plus ?
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Néanmoins, en 1896, le tsar russe Nicolas II se rendit à Paris pour participer à la cérémonie d’inauguration du pont Alexandre II. Il s'arrêta au restaurant de Cubat pour goûter les plats qu'il connaissait depuis son enfance et invita inopinément le maître français à réintégrer le service impérial. Le chef, qui semblait déjà s'être établi en France, n’exprima pas de refus au monarque et céda son entreprise à son frère Louis, pour revenir en Empire russe une troisième fois…
C’est en 1905 que Cubat quitta pour la dernière fois le pays des tsars, où tous ses fils étaient nés et que sa carrière avait connu son apogée. Il décida alors en effet de passer le reste de ses jours à Alet-les-Bains, au sein de sa Villa Livadia. Ce n’est point la Révolution qui l’avait fait fuir, la fin de l’Empire étant encore loin, cependant, les événements fatidiques de 1917 rattrapèrent le vieux cuisinier, même en France. Son ancien patron, Nicolas II, le dernier des tsars, fut exécuté, tandis que Saint-Pétersbourg vit disparaître son luxueux restaurant.
Cubat eut du mal à faire face à ces pertes. Il mourut en 1922 et fut enterré dans le cimetière d'Alet vêtu d’un uniforme de kamer-fourrier (équivalent de lieutenant-colonel), titre qu’il possédait lors de son départ à la retraite.
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