Français au service de l'Empire russe: Auguste Montferrand, grand architecte de Saint-Pétersbourg

Pixabay, Legion Media, Archives
Se mettre au service des tsars russes était une décision hasardeuse, faisant miroiter tant de vertigineuses perspectives de carrière qu’un véritable test de résistance. Les plus chanceux, ayant réussi à obtenir la reconnaissance de l'Empire russe, sont restés dans le pays pendant de nombreuses années et ont laissé une marque notable dans son histoire et sa culture. Dans cet article, c’est à l'architecte français à l’origine de la transfiguration de la capitale du Nord que nous nous intéressons.

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Imaginons qu'Auguste Montferrand n'a jamais été au service des Romanov, sous nos yeux, Saint-Pétersbourg perdrait immédiatement de son faste. Ce Français, architecte talentueux, dont le nom est peu connu dans son pays natal, a en effet offert à la Venise du Nord sa carte de visite principale – la grandiose cathédrale Saint-Isaac, et a également décoré la place du Palais avec le plus haut monument monolithique du monde. Ainsi, les touristes français qui se promènent dans le centre historique de la ville ont-ils le droit d'être fiers de leur compatriote.

Entrée du tsar Alexandre Ier à Paris, 1814

Ancien soldat napoléonien, Montferrand se retrouva dans l'Empire russe par la volonté du destin. Au printemps 1814, les troupes russes dirigées par l'empereur Alexandre Ier entraient triomphalement à Paris. Montferrand, qui pendant la guerre, avait étudié par intermittence l'architecture et, nourrissant l’espoir de percer dans cette profession, parvint alors à attirer l'attention du monarque, lui présentant un album de ses croquis. Alexandre apprécia tellement les esquisses de cet entreprenant jeune homme qu’il l’invita en Russie.

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D'après des témoins oculaires, Montferrand était effectivement incroyablement talentueux, si bien que des rumeurs d'un « petit dessinateur » étonnant se répandirent bientôt au sein de la chancellerie locale. « N'est-il pas vrai que nous ne devrions pas laisser cet homme sortir de Russie ? », s’exclama, impressionné par l’allure de ses travaux, Augustin de Betancourt, architecte d'origine espagnole au service des Romanov, qui bénéficiait d’une confiance particulière du souverain.

L’on se précipita d’offrir au Français, doté d’un sens du goût remarquable, une place à l'usine de porcelaine, mais il la refusa. Plus tard, il reçut un poste de dessinateur technique en chef. À cette fonction, il ne recevait pas de salaire, mais il bénéficiait d’un logement et d’une indemnité. Néanmoins, pour atteindre ses objectifs, l'ambitieux Français était prêt à se contenter de petites choses. « Sans sortir de son modeste rôle, Montferrand travaillait secrètement sur quelque chose d'important », écrivit le célèbre mémorialiste russe Filipp Miguel, qui avait on ne peut plus raison. En 1818, deux ans à peine après son arrivée en Russie, Auguste participa à la conception de la nouvelle cathédrale Saint-Isaac. 

À cette époque, le bâtiment avait d’ores et déjà été reconstruit trois fois, mais l'empereur n'aimait toujours pas son apparence. Montferrand comprit que pour obtenir la charge d’un projet d'une telle envergure, il fallait agir. Il s'assit à la bibliothèque, étudia les images de temples de différentes époques et de divers styles architecturaux, et finit par dessiner vingt-quatre esquisses miniatures de l'apparence possible de la cathédrale. Betancourt remit l'album de Montferrand à Alexandre Ier, et voici que le bureau de la cour reçut pour décret d'accorder au Français le titre d'architecte impérial.

Beaucoup furent surpris par cette nomination, car, malgré ses grandes capacités, Auguste manquait encore d'expérience. Malheureusement, ces craintes étaient destinées à être justifiées, et par la suite Montferrand passa de nombreuses années à corriger les erreurs commises lors de la conception. En effet, la construction, qui débuta en 1819, fut suspendue un an plus tard, pour ne reprendre qu’en 1822. La commission rattachée au site était extrêmement insatisfaite de ce Français trop sûr de lui et même accusé de corruption. L'empereur ne nomma toutefois pas d’autre architecte en chef

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Parallèlement à la construction de la cathédrale Saint-Isaac, Auguste participa à de nombreux autres travaux architecturaux – l’aménagement paysager du parc Catherinehof, le remodelage de l'intérieur du palais d'Hiver, la finition de la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan. Cependant, c’est bien la colonne d’Alexandre qui est considérée comme la deuxième création la plus significative du Français. Le monument, situé au centre de la place du Palais, était voué à devenir le symbole de la victoire du tsar russe sur Napoléon. Pour souligner l'importance de la structure, Montferrand proposa de le construire plus haute que la colonne Vendôme de Paris. Lors de la conception du monument, l'architecte français s’inspira de la colonne Trajane de Rome, mais décida de ne pas utiliser de bas-reliefs et de concevoir une colonne monolithique. Le monument de 47,5 mètres de haut qui en résulte est aujourd'hui la plus haute colonne en granit massif du monde, tandis que son monolithe de 25,5 mètres est le plus grand jamais érigé.

Érection de la colonne d'Alexandre en 1932

L’inauguration se tint en 1834 en présence de la famille impériale et d'invités étrangers de haut rang. « La Russie a été décorée du seul grand événement qui a rendu nos vies heureuses d'un souvenir mémorable », fit part l'économiste russe Alexandre Boutovski à propos de cette journée.

Entretemps, la cathédrale Saint-Isaac devint le long chantier le plus célèbre de son époque. Il fallut environ 40 ans pour l’achever, et même après son inauguration, des échafaudages y firent régulièrement leur apparition. Dans la ville, couraient par ailleurs des rumeurs quant au fait que l'architecte en chef serait maudit et mourrait immédiatement après l'achèvement des travaux. On ne sait pas à quel point cette légende urbaine était fondée, mais le pauvre Montferrand, qui avait consacré plus de la moitié de sa vie à ce projet, mourut exactement 27 jours après que la consécration du lieu de culte, en 1858. Les mauvaises langues attribuèrent à sa mort d'autres causes. L’on affirme par exemple que durant les dernières années, l'empereur avait négligé l'architecte français, ne lui pardonnant probablement pas les erreurs qu'il avait commises pendant la construction. L’on pense d’ailleurs que c'est pourquoi Alexandre Ier n'accomplit également pas la volonté de Montferrand, qui, bien que catholique, souhaitait que ses cendres reposent dans la cathédrale.

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Malgré l’insatisfaction du tsar à l’égard de l'architecte, la beauté de la cathédrale racheta néanmoins la culpabilité de Montferrand devant ses contemporains. Venu en Russie à cette époque, Théophile Gautier se montra admiratif devant ce majestueux monument, qui devint un ornement unique de la Venise du Nord. « M. de Montferrand n’a pas cherché le curieux, il a cherché le beau, et certainement Saint-Isaac est la plus belle église moderne. Son architecture convient admirablement à Saint-Pétersbourg, la plus jeune et la plus neuve des capitales », rédigea-t-il dans son livre Voyage en Russie.

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