En mars 1938, le monde a changé lorsque les Américains ont découvert du pétrole en Arabie saoudite. Les représentants de la California Arabian Standard Oil Company (Aramco) ont mis au jour un puits assez important pour lancer de la production commerciale.
Ce n’était pas une mince affaire : la découverte n’a eu lieu qu’après plusieurs années de forages qui semblaient totalement infructueux. À ce moment-là, « la question commençait à inquiéter les dirigeants à San Francisco : la société devait-elle se retirer complètement d'Arabie saoudite ? Elle avait déjà déboursé des millions de dollars pour faire des trous dans le désert », lit-on dans les pages d'une édition de Saudi Aramco Worlddatée de 1963. Mais ils ont persisté et leur ténacité a fini par payer.
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Les pétroliers américains ne foraient pas seuls dans le désert : ils avaient signé un accord de concession pétrolière avec le gouvernement du roi Abdulaziz Al-Saoud (connu à l'ouest sous le nom d'Ibn Saoud). Cela a eu des effets à long terme : l’Arabie saoudite est devenue l’un des principaux producteurs de pétrole au monde (La « Mecque » de la production d’or noir) et le pays reste un allié proche des États-Unis au Moyen-Orient. Mais que serait-il arrivé si un autre État, en l’occurrence l’Union soviétique, avait mis en valeur les champs pétrolifères de l’Arabie saoudite ?
Fondation de l'État saoudien
Dans les années 1930, l'Arabie saoudite était un pays du tiers monde situé dans une région très périphérique du globe, la péninsule arabique. Ibn Saoud, à la tête d’ une armée de bédouins, a conquis l'État de Hijaz (qui abritait les villes sacrées islamiques de La Mecque et de Médine) et proclamé son autorité en 1926.
Et surprise, l’URSS a été le premier État à reconnaître le nouveau royaume (le nom d’Arabie saoudite arriverait plus tard, au début des années 1930). « Le gouvernement soviétique, respectueux du peuple hijazi, vous reconnaît comme le roi de Hijaz et l'émir de Nejd », indiquait la note remise par l'envoyé soviétique à Ibn Saoud, qui a à son tour remercié l'URSS : « Nous sommes prêts avoir avec le gouvernement soviétique les relations que les puissances amies entretiennent… ».
Un tel succès diplomatique est devenu possible grâce au consul général Karim Khakimov, diplomate soviétique qui s’était lié d'amitié avec Ibn Saoud et l'a totalement subjugué. Musulman d'origine bachkire, Khakimov travaillait en Iran et connaissait bien la culture et la langue arabes. Les Arabes l’appelaient même le « pacha rouge », utilisant un titre honorifique symbolique.
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Bons débuts
Ibn Saoud et ses sujets étaient wahhabites, des adeptes d’une mouvance extrémiste au sein de l'islam. Comment se fait-il qu'ils ont été en bons termes avec les Soviétiques, qui ne vénéraient que Karl Marx et Vladimir Lénine, et défendaient la révolution internationale athée ? Tout était une question de politique : pour les Soviétiques, il importait de soutenir les États arabes indépendants qui s'opposaient aux Britanniques dans la région. Ils ont donc préféré passer sous silence l'athéisme et la révolution.
« Il n’existait pas de "ligne du Komintern" (politique soviétique de soutien aux révolutionnaires communistes) en Arabie saoudite, ce qui s'expliquait par le fait que la société saoudienne n’était pas prête à accueillir de telles idées, et la Russie soviétique conférait plus d’importance au potentiel antibritannique du pays », écrit Vitali Naoumkine, directeur de l’Institut des études orientales de l’Académie des sciences de Russie. Le pragmatisme règne décidément sur le monde !
Ironiquement, au début des années 1930, l’URSS aidait l’Arabie saoudite à se procurer de l’énergie : le successeur de Khakimov, Nazir Tiouriakoulov (un autre diplomate soviétique musulman) et Ibn Saoud se sont mis d’accord sur la livraison de gaz et de kérosène. À l'époque, les Saoudiens ne savaient pas qu'ils marchaient sur du pétrole. En 1932, le prince Faisal bin Abdulaziz (roi de 1964 à 1975) s’est même rendu à Moscou.
Visite princière
La visite de Faisal n’a cependant pas été couronnée de succès : il souhaitait que Moscou prête des sommes considérables à Riyad, et le gouvernement soviétique a poliment rappelé que les Saoudiens n’avaient pas encore payé pour l’essence et le kérosène. L’autre problème était que le gouvernement soviétique ne permettrait jamais à ses citoyens musulmans de faire le pèlerinage à La Mecque et à Médine (contrôlés par l’Arabie saoudite). C'était inacceptable pour un pays communiste.
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Néanmoins, les deux parties ont salué la visite. Le journal soviétique Ogonioka écrit: « L’importance de la péninsule arabique augmente d’année en année. Il est évident que l’existence d’un État national indépendant y est très importante… ». Néanmoins, les relations se sont brusquement détériorées cinq ans plus tard…
Fin amère
Karim Khakimov et Nazir Tiouriakoulov, diplomates soviétiques ayant noué des liens étroits avec Riyad et entretenant d'excellentes relations avec les dirigeants saoudiens, ont été rappelés à Moscou en 1937-1938, à l'époque de la Grande Terreur, lors de laquelle environ 600 000 personnes (selon les estimations les plus prudentes) ont été exécutées en URSS. Khakimov et Tiouriakoulov ont été reconnus coupables d'espionnage et exécutés. Tous deux ont été réhabilités à titre posthume dans les années 1950.
Le roi saoudien, très mécontent d'apprendre que ses amis avaient été exécutés à Moscou, a refusé d'accueillir d'autres diplomates soviétiques sur le sol saoudien. À partir de 1938, les relations entre l'Union soviétique et l'Arabie saoudite ont pratiquement cessé. La même année, les Américains prennent l'initiative dans le royaume et y trouvent du pétrole. À partir de ce moment-là, le royaume, autrefois perdu au milieu de nulle part et dirigé par des nomades du désert, obtient une importance stratégique.
Plus tard, en 1985, la décision de l’Arabie saoudite d’augmenter sa production de pétrole a gravement porté atteinte à l’URSS (un autre important exportateur de pétrole). « Les prix du pétrole ont quasiment quadruplé, ce qui a coûté 20 milliards de dollars à l'URSS », écrivait Egor Gaïdar, premier ministre par intérim de la Russie en 1992, dans son livre sur les causes de l'effondrement économique de l'URSS.
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Gaïdar a estimé que c’est le « dumping » saoudien sur le marché pétrolier qui a précipité l’effondrement de l'URSS - et bien que cette version puisse être considérée comme trop simpliste, la politique saoudienne a effectivement aggravé l'état d’une économie soviétique déjà en difficulté. Si Joseph Staline avait soupçonné un tel résultat, il aurait probablement traité ses diplomates avec beaucoup moins de cruauté.
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