Comment l’URSS s’est-elle remise de la perte de 27 millions de personnes?

Histoire
EKATERINA SINELCHTCHIKOVA
La Seconde Guerre mondiale a emporté un nombre de vies sans précédent et il fallait une solution pour combler ce trou démographique.

L’URSS a mis du temps à reconnaître l'envergure de ses pertes humaines à l’issue de la Grande Guerre patriotique : le chiffre officiel n’a pas cessé d’être revu à la hausse, passant de 7 millions sous Staline à 26,6 millions sous Poutine. D’ailleurs, cette réévaluation n’a toujours pas pris fin.

S’il est toujours difficile d’imaginer qu’un nombre aussi élevé de personnes soient mortes sur le champ de bataille ou à l’arrière, il fut encore plus difficile de combler le trou démographique qui s’est alors formé.

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Comment l’URSS a-t-elle fait pour s’en remettre ? La réponse est simple : c’était impossible. Même 75 ans après la fin de la guerre, le problème subsiste.

Le pays des femmes

Le problème a été aggravé par le fait que la plupart des victimes étaient des personnes en âge d'appel (et donc en âge de procréer), principalement des hommes, si bien que le pays s’est retrouvé confronté à un brusque déséquilibre entre les sexes.

« En Russie, ce déséquilibre était encore plus aigu qu’en Ukraine et en Biélorussie, bien que ces pays aient été entièrement occupés pendant la guerre, alors que dans la Russie soviétique, près d’un quart de la population s’est retrouvée sous l’occupation », note le prêtre Nikolaï Savtchenko qui étudie la question des pertes humaines durant les années de la Grande Guerre patriotique (nom donné en Russie a la Seconde Guerre mondiale).

D’après le recensement de la population réalisé en 1959, le nombre des femmes en URSS dépassait de 18,43 millions celui des hommes et la fécondité a été divisée par deux par rapport à la période d’avant-guerre. « Même l’Allemagne et la Pologne, pays ayant subi des pertes considérables pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, n’ont pas connu de chutes pareilles », constate Mikhaïl Denissenko, expert du centre Carnegie et vice-directeur de l’Institut de la démographie de l’École des hautes études en sciences économiques. La migration ? Peu de gens rêvaient de venir s’installer en URSS et encore moins en avaient le droit.

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Comment l’URSS a géré la question ?

Vers les années 1980, ce déséquilibre s’est considérablement réduit et la croissance de la population suivait déjà un rythme plus ou moins acceptable marqué par des bonds. Ainsi, pendant les années 1980, le nombre des enfants nés en URSS a dépassé de 2,28 millions celui prévu par différents pronostics. [La décennie suivante a par contre été marquée par une brusque chute des naissances, ndlr].

Deux principaux facteurs ont eu pour conséquence des hausses provisoires de la natalité en URSS. L’un d’entre eux plonge ses racines dans les années ayant précédé la guerre : en 1936, Staline a signé la directive interdisant l’avortement et prévoyant des mesures d’aide financière aux mères. Ensuite, une directive secrète ordonnant de retirer de la vente les contraceptifs a vu le jour. Cela étant dit, l’URSS a été le premier pays à légaliser l’avortement, mais les difficultés économiques et la famine des années 1932-33 ont eu un impact sur la natalité et la politique sociale pendant cette décennie a fait un revirement brusque.

Le second facteur – les avantages prévus dans le cadre de l’application de la politique démographique et dont ont pu bénéficier les femmes nées pendant les années 1950-60.

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Quoi qu'instable, la croissance démographique se poursuivait et vers 2010, l’écart entre les hommes et les femmes n’était plus que de 8 millions. 

Mais de toute façon, la situation dans les ex-pays de l’URSS serait très différente si ces près de 27 millions de personnes étaient restées en vie, et les experts continuent de considérer que la Russie « meurt ».

Un nouveau « trou » démographique

En 2017, la Russie a enregistré la plus forte baisse du nombre de naissances de la décennie et depuis la situation ne s’est pas améliorée. Pour changer les choses, l’État a lancé le projet national Démographie prévu à l’horizon 2024 et dont le budget s’élève à plus de 40 milliards de dollars. Sa principale force motrice sont les allocations prévues pour les familles nombreuses.

Mais même cela semble insuffisant et les démographes prédisent un nouveau « trou démographique ». Si les uns critiquent ce projet pour son budget « excessif », les autres, au contraire, considèrent que le financement doit être multiplié au moins par 4 pour qu’il atteigne 2% du PIB. Comme le souligne Sergueï Rybaltchenko, de l’Institut de l’expertise scientifique et publique, « dans les pays européens cet indice constitue 3-4% du PIB et en France même 5-6% du PIB », ce que nous avons aujourd’hui en Russie étant insuffisant.

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