Peut-être qu'aucun groupe d’athlètes n'a autant souffert en Union soviétique que les bodybuilders (sauf peut-être les karatékas). Ils devaient s’entraîner dans les sous-sols d'immeubles résidentiels. Au lieu d’haltères normales, ils soulevaient des morceaux de fer, comme des rails, ou découpaient des poids illégalement dans des usines en échange d’une bouteille de vodka. Oui, faire pousser ses muscles dans un pays où l'idéologie communiste accordait de l’attention à tout n'était pas facile... Au fond, les bodybuilders et le communisme se mariaient très, très mal.
Tout a commencé dans les années 1960, lorsque le film hispano-italien Les Travauxd’Hercule a été projeté dans les cinémas soviétiques, Hercule étant interprété par Steve Reeves. Ses muscles, selon les normes actuelles, n'auraient pas impressionné un seul culturiste, mais pour les « novices » de l'URSS, cela suffisait déjà. Les Travaux d’Hercule ont attiré 36 millions de spectateurs, et parmi elles, il était prévisible que beaucoup souhaitaient ressembler à Reeves.
Outre Hercule, mais un peu plus tard, Gojko Mitic, acteur et gymnaste yougoslave devenu célèbre dans des rôles de « noble Indien » dans les films produits par la RDA, est devenu une icône des bodybuilders. Tout le monde voulait être comme Gojko à la fin des années 70 et au début des années 80. Et même l'interdiction de l'État n'a pas changé cela…
Le fait est que le bodybuilding a été mis hors la loi pour des raisons idéologiques. « Culturisme ? Gonfler ses muscles et poser devant un miroir ? Et pourquoi est-ce qu’un citoyen soviétique devrait s’admirer devant son reflet ? », a-t-on déclaré au printemps 1973 lors d'une réunion du Comité des sports de l'État (ministère soviétique des Sports). Le gonflement de muscles, vide et sans principes, juste pour paraître spectaculaire, était considéré comme une occupation antisoviétique. Les bodybuilders ont été officiellement interdits.
Les seuls hommes forts légaux étaient les artistes de cirque. L’un d’eux est l’acrobate aérien Alexandre Chiraï, dont le physique de rêve a servi de modèle pour sculpter et peindre les ouvriers, les mineurs et les athlètes à partir des années 50.
Tous les autres devaient se cacher dans les sous-sols. « À l’époque, c’étaient des caves d’immeubles que nous nettoyions nous-mêmes et transformions en salles de gonflette », a déclaré le carrossier Alexandre Sidorkine.
Occuper un sous-sol, bien sûr, était illégal. Les immeubles étaient toujours sous la surveillance de certaines organisations de logement et communales. Mais ces dernières fermaient les yeux sur les bodybuilders, contrairement à la police et au Komsomol (jeunesse communiste), qui organisaient périodiquement des raids.
Les poids et les haltères étaient chers, car il n'y avait pas encore de kits en vente. Tout cela devait être trouvé quelque part. Un autre problème était la nutrition. « Nous allions au Dietsky mir (Le Monde des enfants, grand magasin central à Moscou ndlr), au département des aliments pour bébés. Une marque était pour prendre du gras, et une autre pour les protéines, pour ceux qui voulaient sécher », a déclaré Sidorkine.
Non loin de là, rappelle-t-il, se trouvait une ferme d’État où les porcs étaient nourris avec de la protéine de soja : « Nous y avons pris des sacs de 25 kilogrammes de protéine de soja, que l’on coupait directement dans la salle de muscu. Bien sûr, cela avait un goût désagréable, et ça se mélangeait mal. Mais on le buvait normalement, et le résultat était au rendez-vous ».
« Séchage » du corps, nourriture, équipement - de nombreux bodybuilders soviétiques ont appris tout cela... d'un prisonnier réhabilité, compagnon de cellule d'Alexandre Soljenitsyne au goulag - Gueorgui Tenno. En 1968, son livre Athlétisme, qui devint pendant des années la « Bible des bodybuilders », a été publié. Tenno connaissait bien l'anglais et lisait de la littérature étrangère sur le sujet.
L'interdiction de la musculation a été levée sous la Perestroïka depuis 1987. Ensuite, on a commencé en URSS à organiser des championnats officiels de bodybuilding, alors que les bodybuilders eux-mêmes avaient de nouveaux héros : Arnold Schwarzenegger, Bruce Lee et Sylvester Stallone.
Mais avec la libéralisation de la gonflette, une pluie de stéroïdes, de produits pharmaceutiques et d’injections de synthol meurtrières venue de l’Ouest s’est abattue sur le pays. Toutes ces méthodes sont toujours vivantes et populaires.
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