Six affaires de corruption qui ont marqué l'histoire russe

Histoire
KSENIA ZOUBATCHEVA
Depuis les balbutiements de la Russie en tant qu'État, la corruption a prospéré malgré les nombreuses tentatives de différents dirigeants de la juguler. Voici quelques exemples qui montrent les formes qu'elle a prises et comment elle a réussi à survivre si longtemps.

La corruption n'est pas un phénomène typiquement russe. Elle est et a toujours été répandue dans de nombreux pays et, d’un certain point de vue, c’est probablement une tendance naturelle de la nature humaine.

Pourtant, la Russie a toujours eu des caractéristiques uniques en matière de corruption. La plus importante d'entre elles est probablement le système unique de « kormlenia » (du mot « nourrir » en russe) qui s'est formé avec le gouvernement russe lui-même. Gouverner les vastes territoires de la Russie était une tâche complexe car il était physiquement difficile de verser le salaire des fonctionnaires dans des régions éloignées : il était donc plus facile pour les autorités locales et les forces de l'ordre d'échanger leurs services contre des biens fournis par les administrés, le troc étant alors plus répandu que l’argent pour effectuer des transactions.

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De nos jours, cette pratique serait considérée comme un système de corruption, mais à l'époque ce n'était pas le cas et elle est rapidement devenue une tradition. À cette époque - aux XIVe-XVe siècles - les services de l'État n'étaient pas considérés comme une activité financée par l'État, mais plutôt par les administrés. Les employés de l'État ne recevaient pratiquement pas de salaire de l'État, de sorte que les offrandes du public constituaient leur principale source de revenus.

Si nous creusons plus profondément, il y avait de nombreux types différents de pots-de-vin : potchest’ (offres avant un accord particulier), pominki (offres après qu'un accord eut été conclu) et possoul (promesse d'un pot-de-vin pour la décision d'un tribunal en votre faveur). Seul ce dernier était formellement considéré comme illégal.

Dans une telle situation, il était souvent difficile de faire la distinction entre les actions légales et illégales des autorités locales, et l'appareil central ne contrôlait pas tout ce qui se passait dans les nombreuses provinces du pays, loin s’en faut. Dans certains cas particuliers, il y a eu des enquêtes approfondies, mais cela s'est surtout produit lorsque les responsables ont essayé d'exiger plus que ce que le public avait l'habitude de donner.

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Malgré les nombreuses tentatives des dirigeants russes, d'Ivan le Terrible à Joseph Staline, visant à éradiquer cette pratique, elle a survécu à travers l'histoire de la Russie et reste profondément enracinée dans la mentalité des gens jusqu'à ce jour.

Voici six cas célèbres qui illustrent l'histoire de la corruption en Russie avant l'effondrement de l'Union soviétique.

Une oie farcie de pièces de monnaie

La première personne à avoir perdu la vie à cause de la corruption était un diacre qui avait été surpris en train d'accepter une oie frite bourrée de pièces de monnaie comme pot-de-vin. Il a été amené sur la place du marché et écartelé. Cela s'est passé en 1556, quelques années après qu'Ivan le Terrible eut introduit la peine de mort pour corruption en 1550. Après que les mains et les jambes du diacre eurent été arrachées, Ivan le Terrible lui demanda si l'oie était savoureuse.

Au cours de ses 37 années au pouvoir, Ivan le Terrible a exécuté plus de 8 000 employés de l'État, ce qui représente environ 34% de tous les fonctionnaires qui l'ont servi.

Soulèvement anticorruption

Peu de gens savent qu'il y eut une rébellion anticorruption dans l'histoire de la Russie. Aussi connue comme l'émeute de sel, elle a eu lieu en 1648, sous le règne du tsar Alexis Ier (1645-1676), et a été provoquée par une augmentation des impôts et une hausse subséquente du prix du sel. La rébellion a conduit à l'assassinat public de deux fonctionnaires corrompus - Piotr Trakhaonitov et Leonti Plecheïev.

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En tant que chefs de deux organismes d'application de la loi (appelés « prikazi »), ils étaient largement honnis par le public.

M. Plecheïev avait accepté des pots-de-vin de ceux dont il jugeait les affaires devant le tribunal et créé un groupe d'informateurs qui formulait de fausses accusations contre des personnes innocentes qui étaient ensuite emprisonnées afin qu’on leur extorque de l'argent. Trakhaonitov, pour sa part, était tristement célèbre pour le traitement impitoyable qu’il infligeait à ses employés, auxquels il ne versait pas de salaire.

L’arroseur arrosé

Sous le règne de Pierre le Grand (1689-1725), la lutte contre la corruption était également une priorité majeure. Un exemple parlant est le cas d'Alexeï Nesterov, un surintendant chargé de surveiller secrètement le travail de l'appareil d'Etat et de découvrir les cas de corruption. Après avoir informé le tsar à propos d'un gouverneur en Sibérie qui avait autorisé le commerce illégal du tabac et l'exécution subséquente de ce gouverneur à Saint-Pétersbourg, Nesterov lui-même a été visé par des accusations de corruption.

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Après avoir été dénoncé, il a été torturé et a admis avoir accepté des pots-de-vin sous forme d'argent et de biens de diverses personnes afin de leur trouver des postes dans l'appareil d'État. Il a également reconnu avoir touché de l'argent de producteurs d'alcool. Le tsar lui-même a observé l'exécution. Les deux plus hauts subordonnés de Nesterov ont été exécutés avant que ce dernier soit torturé avec une roue de Catherine puis décapité. Les têtes des condamnés furent plantées sur des lances de fer et leurs corps attachés à des roues.

Envoyé en Sibérie

Catherine II était une autre dirigeante qui a tenté d'extirper la corruption dans le pays, bien qu'une histoire suggère que son attitude vis-à-vis de ce fléau était moins impitoyable que celle de ses prédécesseurs. « Notre cœur a frémi quand nous avons appris qu'un certain greffier, Iakov Renberg, avait pris de l'argent de chaque personne qui avait été amenée à prêter allégeance, écrit-elle. Nous avons envoyé Renberg dans un exil éternel et un travail acharné en Sibérie, seulement par pitié. Pour une violation aussi grave de la loi, la justice exige qu'il soit puni de la peine de mort ».

Corruption dans les provinces

Les mémoires du XIXe siècle fournissent beaucoup de comptes rendus de première main sur la façon de donner ou de recevoir des pots de vin. Un de ces comptes rendus est un document sur la corruption dans la province de Perm à partir des archives des Golitsyne, une famille noble qui avait un domaine là-bas.

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Leurs archives montrent que même les nobles ne pouvaient pas éviter de payer les autorités - preuve supplémentaire qu'il s'agissait d'une tradition répandue et de longue date. Au début du XIXe siècle, les fonctionnaires locaux prenaient pour la plupart des pots de vin sous la forme de produits naturels comme la farine, le pain, le sucre, les fruits, le blé et d'autres choses. Plus tard, au milieu du siècle, ces offrandes publiques aux autorités étaient principalement constituées d’argent. Les Golitsyne ont réalisé de tels paiements à la majorité des hommes d'État locaux pendant des années, allant des fonctionnaires de province aux tribunaux, qui représentaient souvent une part importante (37-38%) de ces dépenses.

Scandale du coton

La corruption existait aussi en Union soviétique, et il y avait dans l'appareil d'État des postes qui permettaient de gagner de l'argent facilement. Sous le règne de fer de Joseph Staline, la corruption a été quelque peu réduite mais est ensuite revenue et a continué à prospérer. L'un des exemples les plus célèbres était l'affaire du coton, également appelée affaire ouzbèke, qui concernait 18 000 personnes ayant donné et reçu des pots-de-vin.

Au total, 800 affaires pénales ont été examinées et plus de 4 000 personnes ont été envoyées en prison. Cette énorme affaire de corruption était centrée sur le coton que la république soviétique d'Ouzbékistan fournissait dans toute l'Union soviétique. Il s'est avéré que les trains censés transporter du coton de la plus haute qualité étaient souvent vides ou remplis de produits de mauvaise qualité. Les responsables ouzbeks payaient ceux qui étaient censés recevoir les commandes de coton et prenaient l'argent du Kremlin en échange de livraisons fictives.

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