Pourquoi la Russie tsariste construisait des cuirassés «ronds» en Crimée

N.P.Krasovskii
À la fin du XIXe siècle, les premiers et derniers cuirassés «ronds» de l’histoire du pays, baptisés «Popovka» par le peuple, firent leur apparition dans la mer Noire.

Selon les termes du Traité de Paris de 1856, qui mit fin à la guerre de Crimée perdue par la Russie, Moscou n’avait pas le droit de déployer sa marine en mer Noire. Le gouvernement impérial en était fort insatisfait et, dès 1871 (moment de dénonciation du traité et de reprise du droit de déployer des navires en mer Noire), le programme de construction de moyens de défense côtière en Crimée, qui ne relevaient pas de l’interdiction imposée par le pacte, battait son plein en Russie.

« C’est ainsi que fut prise la décision de construire des navires dans des matières +autres que le bois+. Le tirant d’eau d’un tel engin flottant devait être de 3,3 mètres et le calibre des canons devait être de 280mm minimum. La cuirasse était l’un des critères importants pour ces +navires+ et devait être +plus épaisse que sur les navires étrangers+ », nous raconte Mikhaïl Khodarenok, ancien rédacteur en chef de la revue Courrier militaro-industriel.

Les cuirassés ronds conçus par l’amiral Andreï Popov, à qui l’on doit le nom « Popovka », étaient les seuls à répondre à ces critères. « Comme la Russie manquait d’argent et n’avait pas le droit de disposer d’une vraie flotte dans la mer Noire, il a fallu expérimenter », ajoute Khodarenok.

Durant cette période, la Russie a testé différents types de navires pontés blindés qui étaient équipés de canons de 152 et 203mm, très puissants pour l’époque. Ainsi, pendant une décennie, le pays testa la viabilité des navires « ronds ».

Novgorod et Vice-amiral Popov

Le premier navire, baptisé Novgorod, fut mis à l’eau en présence de l’empereur le 21 mai 1873. Le deuxième, qui portait le nom de son créateur, fut lancé le 25 septembre 1825.

Contrairement au Novgorod, le nouveau Popovka était équipé d’une cuirasse à deux couches plus épaisse, d’un moteur plus puissant et d’une plus grande superstructure sur le pont. Le projet s’avérera insatisfaisant.

Crédit : Igor Zarembo / RIA NovostiCrédit : Igor Zarembo / RIA Novosti

« Les Popovka se sont avérés incapables de naviguer en pleine mer et étaient plus lents que des tortues. Pis, l’impulsion du recul des canons retournait les navires. Ils auraient peut-être pu jouer un rôle significatif comme moyens isolés de défense côtière, mais sans être pleinement opérationnels », nous explique Igor Kassatonov, ancien commandant en chef de la flotte de la mer Noire.

Ainsi, tout au long de la guerre russo-turque de 1876–1877, le Vice-amiral Popov et le Novgorod stationnèrent à Odessa et ne firent que trois sorties en mer sans jamais participer à un seul combat.

Toutes les tentatives d’Andreï Popov de sortir ses navires en mer se heurtaient à l’opposition de l’Amirauté, qui n’y voyait aucun potentiel. Par ailleurs, d’autres lacunes des navires furent découvertes sur le terrain, comme l’absence totale d’autonomie de navigation et les mauvaises conditions de vie de l’équipage.

Avec la fin de la guerre, le Vice-amiral Popov fut modernisé et équipé d’un nouveau système de ventilation et d’armes d’artillerie et son moteur fut également remplacé. Cela permit d’améliorer considérablement sa stabilité sur les vagues et ses qualités nautiques, mais ni le Vice-amiral Popov ni Novgorod ne participeront jamais aux combats.

Quel fut le sort des Popovka ?

L’idée des cuirassés ronds continua cependant son petit bonhomme de chemin. Après le naufrage du yacht impérial Livadia en 1878, la cour impériale leur témoigne également un intérêt. Le nouveau projet de Popovka tient compte des failles des bâtiments précédents. Le corps du navire est plus plat, alors que la vitesse maximale atteint 15 nœuds avec un tirant de 1,8 mètre. Le navire devait, par ailleurs, être construit en Grande-Bretagne d’après des dessins russes.

Le 24 septembre 1880, le Livadia quitte le chantier naval. Le navire affiche des équipements de pointe pour l’époque, dont les « bougies Yablotchkov » (premières lampes électriques à arc et au charbon) et l’eau courante. Grâce à sa nouvelle construction, le Livadia avait également de bonnes qualités nautiques.

Pourtant, avec l’ascension au trône d’Alexandre III en 1881, Popov tombe en disgrâce, alors que l’Empire russe, qui avait augmenté les capacités de ses chantiers navals, lance la création d’une véritable flotte dans la mer Noire. Ainsi, l’intérêt pour les navires ronds peu maniables disparaît complètement.

Le Livadia est alors transformé en bateau à vapeur Opyt, qui restera un long moment à quai à Saint-Pétersbourg, puis sera transféré à Sébastopol pour être définitivement mis hors service en 1926. Les autres Popovka connaîtront un destin similaire. Le Novgorod et le Vice-amiral Popov resteront à quai à Odessa jusqu’en 1913 avant d’être revendus à des particuliers.

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