Scène du film La balade du hussard
Eldar Riazanov, 1962/MosfilmSuivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
La recette de cette boisson a été apportée en Russie par des officiers de l’armée russe qui avaient pris part aux campagnes des guerres napoléoniennes. De composition et de technique similaires au punch habituel, elle s’est transformée sous l’influence des hussards et a acquis un nouveau nom, mais a conservé sa force et son effet grisant.
Scène du film La balade du hussard
Eldar Riazanov, 1962/MosfilmÀ proprement parler, on peut dire que la jjonka est une sorte de punch. En 1803, l’historien français Alexandre Grimod de La Reynière, dans son Almanach des Gourmands, décrit l’effet de celui-ci comme suit : « Le punch rend joyeux, réchauffe l’imagination et n’est presque jamais enivrant » (retraduit du russe). L’on pourrait contester cette dernière affirmation – et il en a été ainsi en Russie.
Scène du film La balade du hussard
Eldar Riazanov, 1962/MosfilmAprès être passé entre les mains des officiers russes, la recette a changé et la phrase « n’est presque jamais enivrant » n’était déjà plus applicable. Composée par des hussards, elle devenait également extrêmement spectaculaire : une énorme cuve était remplie de vin, deux sabres croisés étaient posées dessus, sur lesquels l’on plaçait un pain de sucre, qui était arrosé de rhum. Le pain était ensuite enflammé, et le sucre brûlé s’écoulait dans le vin avant d’être éteint avec du champagne. C’est ce « feu » qui a donné son nom à la boisson, « jjonka » étant un dérivé de « jjony », « brûlé » en russe.
Scène du film La balade du hussard
Eldar Riazanov, 1962/MosfilmLa recette cependant, possédait plusieurs variantes : parfois, le rhum était remplacé par du cognac, le vin était utilisé aussi bien en rouge qu’en blanc, et des fruits pouvaient également être ajoutés. Dans les conditions de campagne militaire, la jjonka était préparée avec ce qui tombait sous la main, principalement pour se réchauffer en hiver et pour se donner du courage avant un combat. En temps de paix, cependant, sa préparation est devenue un véritable rituel.
Ancien hussard, le comte Osten-Saken a ainsi témoigné de la tradition des officiers : « La beuverie à la jjonka avait toujours une allure belliqueuse : on dispose des tapis dans la salle ; au milieu, sur le sol, dans quelque récipient, brûle du sucre dans du rhum, ce qui représente un feu de bois dans les bivouacs ; tout autour sont assis sur plusieurs rangs les fêtards, pistolet à la main ; on scelle les canons avec de la cire à cacheter. Lorsque le sucre a fondu, le champagne est versé dans le récipient et les pistolets sont remplis de jjonka prête, et la beuverie commence ».
Sous-officiers du régiment de hussards de la Garde, 1838
Domaine publicLa jjonka était surnommée « de hussard » parce que les descendants de familles riches et éminentes, la « jeunesse dorée » du XIXe siècle, servaient dans les régiments de hussards. Or, les hussards étaient parmi les rares à pouvoir se permettre un divertissement aussi coûteux : le salaire d’un officier était d’environ 395 roubles par an – avec cet argent, il devait payer un appartement, entretenir un cheval, acheter des uniformes coûteux et aussi dépenser de l’argent pour la nourriture. Une bouteille de champagne coûtait 2 roubles, le vin français 50 kopeks et un poud de sucre (environ 16 kilos) près de 40 roubles. Cette boisson était donc très chère et, compte tenu de la réputation de têtes brûlées et de lovelaces des hussards, il était facile d’imaginer les sommes dépensées pour de telles réjouissances.
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Ivan Liprandi
Domaine publicLa mode de cette boisson s’est toutefois répandue au-delà du régiment de hussards, dans les milieux littéraires et estudiantins. Alexandre Pouchkine était un grand amateur de jjonka. Ivan Liprandi, un ami du poète, s’est souvenu dans ses mémoires d’une telle occasion : lui, Pouchkine et les colonels Orlov et Alexeïev s’étant réunis en compagnie amicale se sont rendus dans une salle de billard et ont décidé de boire de la jjonka. Au total, trois coupes ont été bues, ce qui a eu un effet prévisible sur le poète : « Pouchkine s’est égayé et a commencé à s’approcher des côtés de la table de billard et à perturber le jeu. Orlov l’a traité d’écolier, et Alexeïev a ajouté que les écoliers recevaient une leçon... Pouchkine s’est précipité loin de moi et, mélangeant les boules, n’a pas tardé à lui rendre la monnaie de sa pièce ; cela s’est terminé par le fait qu’il a convoqué les deux à un duel, et qu’il m’a invité en tant que témoin ».
Grâce à la médiation de Liprandi, la querelle a cependant pu être apaisée : Orlov et Alexeïev se sont excusés auprès de Pouchkine et le duel a été annulé.
Mikhaïl Lermontov, qui avait appris à préparer cette boisson alors qu’il était encore étudiant dans une école militaire, a également écrit sur la jjonka avec amour, tandis que Nicolas Gogol en préparait personnellement pour ses invités. La jjonka est restée populaire pendant tout le XIXe siècle – dans son livre Passé et Pensées publié en 1870, Alexandre Herzen a noté que durant ses années estudiantines, il avait un peu trop forcé à la fête d’un ami : « Le lendemain, j’ai eu mal à la tête et la nausée. De toute évidence, cela était dû à la jjonka – un mélange ! Et puis une décision sincère de ne plus jamais boire de jjonka, c’est du poison ».
Groupe d'officiers de régiment de hussards, années 1900
Domaine publicÀ la fin du XIXe siècle, la popularité de la jjonka a néanmoins commencé à s’estomper : la mode est passée, et la structure des régiments d’officiers a fortement changé, peu de gens pouvaient désormais se permettre un tel plaisir coûteux. Au XXe siècle, la jjonka a commencé à être utilisée uniquement lors de la cérémonie d’initiation des hussards, et après la Première Guerre mondiale, la boisson a été complètement oubliée.
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