«Les Russes aiment le pho bo»: la propriétaire d’un café vietnamien raconte son histoire

Économie
KSENIA ZOUBATCHEVA
Jinny Lien Ngo, une jeune femme de 29 ans originaire de Hanoi, a vécu la moitié de sa vie à l'étranger. L'année dernière, elle s'est retrouvée en Russie. Elle aurait pu vivre la vie agréable d’une fille de diplomate, mais a décidé de créer son propre petit café.

Tout a commencé avec mes parents qui ont étudié à l'Université d'État de Moscou lorsqu'ils étaient jeunes. Mon père a étudié le droit et ma mère la linguistique. J’ai grandi en écoutant les histoires de mes parents sur la Russie, à quel point le pays était beau et à quel point les gens étaient gentils. Même une partie de mon nom (Jinny Lien Ngo) signifie « Russie »: Lien est une partie de Lien Xo, qui signifie « vieux soviétique » en vietnamien.

>>> Ouvrir un restaurant à Moscou, comment ça se passe?

En 2018, mon père est devenu ambassadeur du Vietnam en Russie. Je suis donc venue avec lui. J'ai étudié les sciences économiques à l'University College de Londres (UCL), j'ai obtenu mon diplôme en 2011 et j’ai commencé à travailler, d'abord pour une société d'investissement à Londres, puis je suis partie en Afrique de l'Ouest pour créer ma propre entreprise d'exportation de bois et de noix de cajou vers le Vietnam. Je suis donc dans les affaires depuis un moment. Quand je suis arrivée en Russie, la cuisine vietnamienne gagnait en popularité, mais les restaurants étaient assez similaires et proposaient à peu près tous les mêmes plats. Nous voulions faire quelque chose d'authentique et fait maison, alors nous avons créé un petit café « Em Oi ». Nous avons du pho bo (soupe avec des nouilles au bœuf), du tom yum et des shake à la mangue, mais il y a aussi des nouilles de riz au bœuf sauté, du porc grillé et du riz au canard grillé ou des crevettes aigres-douces.

J'ai poursuivi mon objectif sans en parler à mes parents, et nous avons ouvert nos portes en janvier de cette année sans rencontrer de problème bureaucratique. La plus grande difficulté que nous ayons eue a été de fidéliser nos clients. Pendant les deux premières semaines, beaucoup de Russes sont venus, mais comme notre nourriture n'était pas parfaite au début, ils venaient une fois et ne revenaient jamais. Il y a deux mois, lorsque nous avons rencontré notre chef actuel, les choses ont vraiment commencé à s'améliorer. Maintenant, les gens parlent de nous à leurs amis et nous avons entre 60 à 70 clients les jours normaux. La majorité d'entre eux sont des étudiants étrangers originaires d'Asie.

L'investissement initial requis pour ouvrir un petit café en Russie est d'environ 20 000 à 30 000 dollars. Le seul problème est le loyer - il est un peu élevé ici. On peut s’attendre à payer entre 5 000 roubles (70 euros) et 14 000 roubles (200 euros) par mètre carré à Moscou.

>>> Un manager italien expatrié dépeint le monde professionnel russe

Notre équipe est jeune mais forte et j’ai une chance incroyable de les connaître car ce n’est pas une aventure dans laquelle on se lance seul. L’équipe principale est composée de six personnes et je suis la plus âgée. Le chef a 27 ans mais le reste de l'équipe a la vingtaine. Nous travaillons tous très dur, parfois 13 heures par jour, et nous sommes très dévoués. Je pense que les gens peuvent le sentir quand ils viennent.

La majorité de l’équipe parle russe, mais pas moi. Ne pas connaître la langue ne me pose pas de gros problèmes, mais parfois je souhaite communiquer avec des clients russes et c’est difficile parce que beaucoup ne connaissent pas l’anglais. Je connais une phrase en russe : « otchen’ vkousno » (très savoureux), alors quand je l'entends, je sais qu'ils ont aimé notre nourriture.

Le pho bo est très populaire ici et l’une des choses les plus étranges est que nous avons beaucoup de clients russes réguliers qui viennent depuis le début juste pour le pho bo. Il y a trois groupes de personnes qui viennent tous les jours pour le pho bo, sauf le week-end, quand ils ne travaillent pas. Un jour, nous avons manqué de pho bo : ils sont venus et sont repartis sans rien essayer d'autre. Nous avons également un client très dévoué qui vient tous les jours. Ainsi, lorsque nous ne le voyons pas, nous savons qu’il est en voyage. Mais quand il est là, il mange du pho bo. C’est assez drôle mais en même temps, il est très réconfortant de savoir que même lors de nos pires jours, ces personnes nous soutiendront.

>>> Citoyen étranger cherche ferme en Russie

Nous avons eu la chance d’avoir trouvé des fournisseurs russes fiables et nous entretenons généralement de bonnes relations avec eux. Au début, il était contrariant de constater que parfois, les partenaires mettaient un temps fou à répondre aux courriels ; nous avons donc progressivement commencé à les appeler pour faire un suivi. De plus, en Asie, nous nous sommes habitués aux livraisons instantanées en une journée alors qu’ici, cela peut prendre plusieurs jours, même si vous commandez quelque chose dans la même ville.

Avant de créer une entreprise en Russie, il y a trois choses à prendre en compte. Tout d’abord, vous avez besoin de quelqu'un qui est ici depuis longtemps, qui comprend les aspects juridiques et culturels du démarrage d’une entreprise ici. Lorsque la partie légale est bien faite, vous pouvez vous concentrer sur tout le reste. Deuxièmement, vous ne devez pas sous-estimer le marché - assurez-vous que votre produit est de bonne qualité, que son prix est raisonnable et que vous connaissez votre public cible. Vous ne pouvez pas simplement espérer que le café va s'ouvrir tout seul et que les gens vont venir comme ça. Troisièmement, soyez patient. Vous devez être patient avec tout ce que vous construisez, en particulier en Russie où l'économie ne va pas très bien en ce moment.

>>> Réussir dans les affaires: les conseils de sept Russes qui sont allés loin

Nous avons tiré des leçons douloureuses en cours de route, mais si j’avais une chance de remonter dans le temps, je le referais parce que j’ai rencontré beaucoup de gens incroyables au cours de ce voyage. Le marché est ouvert à de nouvelles idées, et nous en avons quelques-unes. J'ai donc bon espoir pour l'avenir.

Dans cet autre article, découvrez le témoignage d’un expatrié français, cadre de Leroy Merlin en Russie.