Restaurant NKVD à Moscou.
Anastasia SalyaevaUn portrait de Joseph Staline en veston blanc trône au beau milieu du mur au-dessus d’une cheminée électrique. Le menu est orné d’une faucille et d’un marteau et de l’inscription NKVD, ministère de l’Intérieur soviétique de 1934 à 1946, qui assumait les fonctions de la police politique. Le serveur, lui aussi en veston blanc, insiste sur une autre façon de décrypter cette abréviation : Cuisine populaire d’une grande puissance.
Situé à deux kilomètres du Kremlin, le restaurant semble avoir entamé sa métamorphose en musée du stalinisme. Deux portraits du grand chef, Félix Dzerjinski (le premier ministre de l’Intérieur) tout sourire ainsi que les « zakouskis à la stalinienne ». C’est tout. Pour le reste, un restaurant du centre-ville de Moscou comme un autre : une tête de cerf aux longues cornes sur le mur, des meubles en bois massif et une salade César à 6 euros. Le ticket affiche encore la vieille appellation du restaurant, Terre et mer.
Le fait que l’abréviation NKVD s’associe à de tristes souvenirs ne le décontenance pas. « Est-ce que tout était vraiment si mauvais ? Est-ce qu’il y a vraiment eu des exécutions ? » demande-t-il. Mais il n’est pas d’humeur à discuter d’histoire et propose de passer commande.
Le premier à attirer l’attention sur l’appellation provocatrice du restaurant a été l’avocat Marc Feïguine qui a pris l’enseigne en photo et l’a publiée le 9 décembre sur Twitter. « Plus cool, on ne pouvait faire que Barbecue Cinq exécutions », a-t-il écrit.
Cerise sur le gâteau : durant les années de la répression stalinienne, quatre locataires de la maison qui abrite aujourd’hui le restaurant (8, rue Ostojenka) furent fusillés. Leur liste a été publiée sur Facebook par l’utilisateur Therese Philosophe. Ces quatre personnes ne constituent que quelques grains de sable parmi toutes les victimes de Staline : selon l’historien Alexeï Litvine, plus de 700 000 personnes ont été exécutées par le régime stalinien. Et le NKVD en tant que ministère de l’Intérieur n’est pas resté à l’écart.
Restaurant NKVD à Moscou. Crédit : RBTH
Les réseaux sociaux ont réagi instantanément. « Dites, les Moscovites, ça ne va pas ? » demande David Khomak, fondateur du site Lurkmore, tandis que l’écrivain Elena Tchoudinova suppose que l’établissement doit sans doute servir de la chair humaine. Parmi d’autres plaisanteries macabres : « au NKVD il faut dîner non pas aux bougies, mais sous une lampe très puissante », ou encore « Il est temps de déverser du sang dans la salle et d’attacher les clients aux chaises ».
Toutefois, l’enseigne est loin de scandaliser tout le monde. Les sympathisants du Petit père des peuples et du régime soviétique sont en général calmes, voire satisfaits face à ce coup pub. L’utilisateur Ivan Rakhmetov écrit : « Je ne suis pas staliniste, mais j’irai au restaurant NKVD par principe ».
Pour l’historien et journaliste Nikolaï Svanidze, l’appellation NKVD n’a rien à voir avec le souhait de perpétuer la mémoire des bourreaux staliniens, le propriétaire étant tout simplement avide de gain. « L’appellation Chez oncle Vassia est trop simple. Avec NKVD, les clients pourraient venir rien que pour voir ce que c’est », a-t-il dit à RBTH.
Les inventeurs de cette enseigne se soucient peu des émotions que celle-ci fait naître, a poursuivi Nikolaï Svanidze. « L’intérêt peut être négatif en cas d’indignation, neutre en cas de simple curiosité ou positif en cas d’admiration pour Staline ». Dans tous les cas, la décision de donner au restaurant cette appellation est un geste commercial et non politique, a-t-il affirmé.Le journaliste du quotidien russe Kommersant Stanislav Koutcher est du même avis. « C’est du commerce pur et dur. À mon avis, c’est une réaction monstrueuse, mais naturelle au regain de popularité par la mythologie soviétique », a-t-il souligné dans une interview à Kommersant FM. Selon lui, quand il s’agit de faire de l’argent, les affairistes se moquent bien de l’époque qu’ils glorifient : l’Union soviétique, les années 1990 ou l’ère Poutine.
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