Leonid Brejnev en été 1971.
AFP / EAST-NEWS« Quand Brejnev est mort, on avait le sentiment que le monde s’était scindé en deux », raconte la juriste Irina Solovieva. Le 10 novembre 1982, le jour du décès du secrétaire général du Parti communiste (PCUS), elle avait 18 ans. Elle avait vécu toute sa vie sous Brejnev.
« On avait l’impression qu’il était éternel, qu’il serait toujours là, se souvient Irina. Le communisme, les foulards rouges et Brejnev faisaient partie intégrante de notre univers soviétique ».
Leonid Brejnev en 1971.
Leonid Brejnev arriva à la tête du Comité central du PCUS, et donc de l’URSS dans son ensemble, en 1964, quand la direction du parti écarta du pouvoir Nikita Khrouchtchev, le dirigeant précédent. L’excentrique Khrouchtchev avait alors la réputation d’un responsable erratique coupable d’avoir plongé le pays dans une crise profonde.
D’après ses contemporains, Brejnev était l’opposé de Khrouchtchev : un homme de parti responsable et prévisible.
« C’était un homme de l’appareil, un vrai serviteur du système », disait son assistant Alexandre Bovine. L’ascension de Brejnev au sein du parti se fit progressivement : né en Ukraine, il travailla comme ingénieur, fit la Seconde Guerre mondiale, puis travailla dans la direction du parti. Brejnev n’était pas une personnalité forte, mais il travaillait consciencieusement.
Alexandre Filippov, auteur du livre Histoire récente de la Russie. 1945–2006, souligne que l’élection de Brejnev au poste de dirigeant du Comité central du parti s’expliquait pas sa neutralité : en réalité, les différents groupes du parti comptaient le manipuler. Cependant, Brejnev s’avéra être une figure indépendante. Un groupe de partisans se forma autour de lui aux principaux postes, ce qui lui permit d’imposer sa propre voie.
Pendant les premières années de son gouvernement, Brejnev mit partiellement en œuvre la réforme économique d’Alexis Kossyguine, président du Conseil des ministres, qui supposait l’introduction de certains éléments de l’économie de marché. La réforme fut efficace : à la fin des années 1960, l’économie soviétique affichait une croissance rapide.
Cependant, la réforme de Kossyguine sera ensuite désavouée, notamment à cause de la jalousie politique de Brejnev envers Kossyguine. « Qu’est-il allé imaginer ? La réforme, la réforme… À quoi bon et qui pourra la comprendre ? », racontaient ses contemporains citant la réaction de Brejnev quant aux idées de Kossyguine.
Dans les années 1970, l’économie soviétique s’appuyait principalement sur son statut retrouvé de puissance riche en matières premières. La crise de 1973, avec des prix du pétrole multipliés par 20, permit à l’Union soviétique d’engranger une rente confortable grâce à la vente de pétrole à l’Europe. L’industrie pétrolière de la Russie fut bâtie pendant ses années de gouvernement de Brejnev. Cependant, la dépendance à la production de pétrole devenait déjà un danger : à la fin des années 1980, le pétrole bon marché portera un coup à la prospérité de l’URSS.
À la fin des années 1960, l’URSS et les États-Unis atteignirent une parité en matière d’armements nucléaires : en cas de guerre, leur destruction mutuelle était garantie. Alexandre Filippov rappelle que cela permit de lancer le processus de « détente » dans les relations internationales : en 1972, Brejnev et Richard Nixon signèrent les traités de réduction des armes stratégiques (SALT 1) et des systèmes de défense anti-missiles (ABM). Les relations entre les deux superpuissances se réchauffèrent, mais à la fin des années 1970, Moscou et Washington renouèrent avec leur rhétorique menaçante.
Alexeï Pyjikov, directeur de recherches à l’Institut des sciences sociales auprès de l’Académie russe de l’économie nationale et du service public, explique que la détente fut « enterrée » par la guerre d’Afghanistan, lancée par l’URSS en 1979, quand un « contingent limité » de troupes soviétiques entra dans le pays.
Pyjikov indique qu’on peut souligner deux objectifs motivant l’intervention soviétique en Afghanistan : la défense des frontières méridionales du pays et le renforcement de son prestige international. « La direction du pays avait besoin d’une guerre victorieuse pour assurer la renaissance des idées de l’internationale socialiste », estime l’historien.
« Mais l’Afghanistan fut une catastrophe ». L’armée soviétique y restera jusqu’en 1989 et y perdra plus de 13 000 hommes.
La prospérité économique et l’absence de chocs majeurs permirent à la population de vivre relativement confortablement. « Nous savions ce qui allait se passer dans la vie, nous savions que s’il le faut, le pays prendrait soin de nous, raconte Irina Solovieva. La stabilité est le principal sentiment de l’ère Brejnev. La stabilité et, sans doute, l’ennui ».
D’un autre côté, la stabilité de Brejnev (également appelée « stagnation ») était une bombe à retardement. « L’ère Brejnev est la période de l’essor de la nomenclature », estime Alexeï Pyjikov. Il souligne que c’est sous Brejnev que l’élite du parti se coupa de la population, devenant une caste fermée. Cette caste vivait bien mieux que les simples Soviétiques et ne croyait plus vraiment aux mantras officiels sur la construction du communisme qu’elle répétait. La population non plus.
« La foi dans la justice et dans l’avenir radieux, pour laquelle des générations de Soviétiques travaillaient et, parfois, donnaient leur vie, s’éteint à cette période-là », explique Pyjikov. Pour l’historien, l’élite conservatrice du parti, dirigée par Brejnev, craignait le changement et préférait éviter les réformes pour préserver la stabilité.
Les problèmes de l’économie planifiée n’étaient pas résolus et s’accumulaient. Par la suite, à la fin des années 1980, cela déboucha sur l’effondrement du système et de l’URSS.
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