Loubianka : place de la violence et de la liberté

Crédit : Vladimir Fedorenko / RIA Novosti

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Loubianka. Cette appellation rêvet une signification très spéciale pour les Russes, tout comme le mot « goulag ». La place connue sous ce nom, située en plein centre de Moscou, a hébergé tout au long de l'histoire les quartiers généraux des services secrets soviétiques, puis russes, et est toujours associée aux exécutions, aux violences et aux tortures. Tchéka, Guépéou, NKVD, KGB, FSB – les abréviations se sont succédées, mais sa réputation sinistre est restée.

Trop violente pour être une femme

L’histoire macabre de Loubianka commence au XVIIIe siècle. C’est alors que Daria Saltykova, une aristocrate russe et une des tueuses en série les plus violentes de l’histoire, s’installe près de la place. Tout près se situait la Chancellerie secrète, police politique de l’Empire russe. Mais si dans les chambres de la Chancellerie les gens étaient torturés au nom de l’État, chez Saltykova, ils étaient tourmentés exclusivement pour le plaisir de l’hôtesse.

Très pieuse, Saltykova est devenue veuve à l’âge de 26 ans. La perte l’a beaucoup changée, transformant une noble bien sous tous rapports en un véritable monstre. Se mettant au début à infliger des corrections à ses domestiques, les tabassant avec une bûche, elle sombre rapidement dans la démence, inventant des tortures de plus en plus sophistiquées : elle brûlait les cheveux de ses serfs ou les arrachait, versaient sur eux de l’eau bouillante et leur brûlait les oreilles avec son fer à friser.

Daria Saltykova. Illustration de Kourdioumov

Désespérés, les domestiques ont commencé finalement à porter plainte contre elle à la police et au gouverneur de Moscou. Mais Saltykova avait beaucoup d’amis au sein de la cour et parmi les aristocrates de Moscou, et faisait jouer ses relation ou versait des pots de vins pour éviter la justice. C’est seulement quelques années plus tard que l’impératrice Catherine II a eu vent de l’affaire : un des serfs de la femme sadique a réussi à s’enfuir,  à atteindre Saint-Pétersbourg et à faire passer une plainte à la reine.

Furieuse, la tsarine ordonne tout de suite d'engager une enquête. À la suite de l’investigation qui n’a confirmé que 38 meurtres sur plus d’une centaine supposés, la tueuse a été privée de son titre de noblesse et a été condamnée à la détention perpétuelle. De plus, Catherine a estimé que Saltykova était indigne d’être appelée une femme, et a ordonné à la déclarer un homme. Après avoir passé onze ans dans la cave d’un monastère moscovite, elle a été ensuite transférée dans son aile. Des curieux se rassemblaient près d’une petite fenêtre de cette aile, et Saltykova les insultait et crachait sur eux. Après 33 ans de prison, elle trouva finalement la mort.

Musée de la peur

Crédit : service de presse

Après la révolution, Loubianka représentait une place animée, une convergence de plusieurs rues bondées de la capitale. Au centre de la place s’élevait une grande fontaine. Des cochers qui se rassemblaient ici, laissaient leurs chevaux près de cette fontaine pour qu’ils se reposent et boivent, et se dirigeaient avec hâte vers des tavernes, très nombreuses dans le quartier, pour s’envoyer un verre. Si l’on voulait se rendre où que ce soit – dans un autre quartier de la ville ou une autre région du pays – il fallait chercher une voiture sur la place Loubianka.

C’est à l’époque que l’immeuble actuellement le plus célèbre de la place devint le quartier général de la Tchéka, police secrète soviétique. Le bâtiment était à l’origine le siège de la compagnie d’assurances Rossiya qui louait des appartements et des espaces commerciaux à cet endroit. Une fois les sociétés d’assurances privées abolies par les bolcheviks et le bâtiment nationalisé, il est transmis à la Tchéka.

En 1920, une prison est fondée à l’intérieur de l’immeuble. C’est là que furent emprisonnées plusieurs figures célèbres, notamment le terroriste Boris Savinkov, le poète Osip Mandelstam et le lauréat du Prix Nobel de littérature Alexandre Soljenitsyne, et qu'eurent lieu de nombreuses exécutions.

La cour intérieure de Loubianka. Crédit : Getty Images / Fotobank

Utilisant les particularités architecturales du bâtiment, les services secrets ont mis en place un système entier de suppression psychologique des prisonniers. Ces derniers ont été conduits dans les bureaux pour les interrogations via un ascenseur qui fonctionnait à peine. Trois jours dans cette ambiance suffisaient pour faire perdre sa volonté à n'importe qui.

Actuellement, plusieurs chambres de l’ex-prison hébergent un musée. L’accès était libre il y a quelques années, mais à présent il faut obtenir une permission spéciale pour y accéder.

Félix de fer

Près des quartiers généraux se situait le bureau d’accueil du KGB. C’est là que venaient les parents des malchanceux qui étaient interrogés pour leur transférer des produits et des lettres. Des dénonciations ont également été déposées au bureau, et il y avait tellement de « bénévoles » qui voulaient aider le KGB qu’une file d’attente se formait près des portes.

Crédit : Itar-Tass

En 1958, une statue de Félix Dzerjinski, fondateur de la Tchéka, a été érigée au centre de la place Loubianka, sur l’endroit où se situait la fontaine. La statue, surnommée Félix de fer, est devenue le symbole de la répression et le restait jusqu’à l’effondrement du pouvoir soviétique en 1991. Le premier maire de Moscou de la période postsoviétique, Gavriil Popov, a ensuite ordonné de démonter le monument. Le 22 août 1991 au soir, sous les cris d’allégrement d’une foule qui s’est rassemblée sur la place, le Félix de fer a finalement été retiré.

La statue n’a pas été détruite et se dresse actuellement dans le parc des arts moscovite Museon. Cependant, de temps en temps, les débats sur le retour de Félix sur la place Loubianka refont surface.

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