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Lecteurs et spectateurs s’étonnent toujours lorsqu’un livre est écrit et un film réalisé par deux personnes qui collaborent : comment peut-on créer à deux ? Les Koukryniksy, eux, étaient trois. Pendant près de soixante ans, jusqu’à ce que la mort de l’un d’eux ne les sépare, ils dessinèrent des caricatures ensemble !
Les jeunes artistes Mikhaïl Koupriianov et Porfiri Krylov firent connaissance au début des années 1920, alors qu’ils étaient étudiants des Ateliers Supérieurs d’Art et de Technique (Vkhoutemas), d’où sortirent diplômés tant de peintres, de sculpteurs et d’architectes durant la première décennie de l’époque soviétique. Ensemble, ils étaient responsables du journal mural de l’établissement et signaient leurs dessins du nom Koukry, la première syllabe de chacun de leurs noms de famille.
Mikhaïl Koupriianov (1903—1991), Porfiri Krylov (1902—1990), Nikolaï Sokolov (1903—2000)
Centre ROSIZOEn 1924, Nikolaï Sokolov, dont le pseudonyme était Niks, les rejoignit. C’est ainsi que se forma le trio de dessinateurs KouKryNiksy.
Les jeunes artistes s’accordèrent immédiatement sur un style commun et se firent rapidement connaître dans des éditions moins confidentielles que celle du journal mural de leur école d’art. Ils se mirent à publier dans la Pravda et dans les magazines satiriques Smékhatch et Crocodile.
Dans les années 1920, ils proposaient surtout des caricatures sur des sujets littéraires, sur les réalités de la vie soviétique et sur des personnes en vue.
Caricature du réalisateur Sergueï Eisenstein
Centre ROSIZOLes Koukryniksy touchèrent également au théâtre : ils s’essayèrent à la création de costumes et à la scénographie. Au milieu des années 1930, ils réalisèrent des portraits caricaturaux en porcelaine : ils se moquèrent ainsi gentiment des metteurs en scène Konstantin Stanislavski et Vsevolod Meyerhold, du compositeur Sergueï Prokofiev, des artistes Vassili Katchalov et Ivan Moskvine. Cette série leur valut la médaille d’or à l’Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne de 1937 à Paris.
Les Koukryniksy illustrèrent également des livres, en particulier de grands classiques de la littérature satirique russe : Nicolas Gogol, Mikhaïl Saltykov-Chtéchédrine, et de Maxime Gorki, considéré de son vivant comme le plus grand écrivain soviétique.
Ce fut précisément Maxime Gorki qui souffla aux Koukryniksy un conseil pour faire preuve d’un humour plus caustique encore : « Regardez plus souvent ce qui se passe en Europe, au-delà des océans, au-delà de toutes nos frontières ». À partir du début des années 1930, Koukryniksy et satire politique devinrent pratiquement synonymes.
Leurs caricatures reposent essentiellement sur le grotesque et l’hyperbole. Ils étaient passés maîtres dans l’art de la métaphore, attribuaient des éléments anthropomorphiques à des objets, ajoutaient des traits animaux aux humains. Ils s’étaient mis au service du pouvoir, caricaturaient à charge les opposants politiques de Joseph Staline, le gouvernement provisoire et les ennemis de la Révolution. Le style expressif des Koukryniksy était très reconnaissable.
« Nous éliminerons les koulaks en tant que classe ». 1930
Musée historique d’ÉtatLes Koukryniksy s’intéressaient aussi à la politique internationale. Ils furent particulièrement féroces avec les nazis dès leur arrivée au pouvoir. Plus tard, ils dénoncèrent les tentatives de la communauté internationale de s’entendre avec eux.
Alliance anglo-italienne. 1938-1939
Centre ROSIZO« La guerre jusqu’à la victoire ». 1936
Musée historique d'ÉtatDès le premier jour de la Grande Guerre patriotique, les Koukryniksy participèrent avec les armes qu’étaient leurs crayons au conflit . Le 22 juin 1941 au soir, ils firent l’esquisse de l’affiche « Impitoyablement, nous écraserons et éliminerons notre ennemi ». Deux jours plus tard, elle était placardée dans les rues des plus grandes villes du pays.
« Impitoyablement, nous écraserons et éliminerons notre ennemi ! ». 1941
Centre ROSIZOLes caricatures des Koukryniksy soutinrent le moral des Soviétiques et des soldats sur le front.
Couverture du magazine Crocodile. 1942
Domaine public« Nous savons nous battre, nous enfonçons nos baïonnettes avec l’énergie du désespoir. Nous sommes les dignes descendants de Souvorov et les enfants de Tchapaïev » .1941
Domaine publicÀ charge de revanche. 1941
Centre ROSIZODurant la guerre, les Koukryniksy dessinèrent des dizaines d’affiches et de caricatures d’Adolf Hitler, des autres dirigeants du IIIe Reich, de Benito Mussolini et d’autres alliés de l’Allemagne nazie.
« Les conquérants unis par l’amitié ». 1941
Musée historique d'ÉtatIls dessinèrent également des tracts à l’adresse des soldats de la Wehrmacht pour les inciter à se rendre. La force de leurs caricatures était tellement grande que les noms des membres du trio furent portés sur la liste des personnes qu’Adolf Hitler voulait éliminer.
Après la fin de la guerre, avec le poète Samouil Marchak, les Koukryniksy publièrent deux livres pour enfants sur les guerres : Kapout et Cours d’Histoire.
Les Kouryniksy jouissaient d’une telle célébrité à la fin de la guerre qu’ils furent envoyés couvrir le procès de Nuremberg en qualité de journalistes.
Porfiri Krylov, « Nuremberg. Le Banc des Juges ». 1945
Musée des Beaux-Arts de ToulaMikhail, le fils de Nikolaï Sokolov, se souvenait que les dessins que les trois caricaturistes faisaient du procès étaient immédiatement publiés dans les journaux (et pas uniquement soviétiques) et qu’ils étaient très appréciés. On raconte qu’un officier américain, qui montait la garde au tribunal, proposa aux Koukryniksy, en échange de leurs autographes, de les placer plus près que d’habitude des accusés.
Plus de vingt ans après la fin du procès, le trio d’artistes peignit une grande toile intitulée L’Accusation. Procès de Nuremberg.
L’Accusation. Procès de Nuremberg. 1967
Musée RusseDans les années 1960 et 1970, le trio d’artistes trouvait toujours matière à caricatures et réalisé une série d’affiches consacrée à la guerre froide.
« OTAN. Tous rasés à la même enseigne ». 1977
Archives« La bien attentionnée statue de la liberté ». 1953
Centre ROSIZO« On me demande souvent comment ils travaillaient ? Eh bien, ils travaillaient toujours ensemble. Littéralement. En soixante ans de collaboration, ils ne se disputèrent pas une seule fois », se souvenait Mikhaïl, le fils de Nikolaï Sokolov.
Les artistes vivaient presque ensemble aussi. On leur avait attribué des appartements dans un même immeuble rue Tchalovskaïa à Moscou.
La Fin. 1963
Musée RusseQuand on leur demandait une caricature sur un sujet précis, les Koukryniksy s’installaient chacun de leur côté et faisaient chacun des esquisses. Ensuite, ils les comparaient et reprenaient dans un seul dessin les idées qu’ils avaient jugées les meilleures. Ils dessinaient ensemble, chacun répondant d’une tâche particulière.
Les Nazis abandonnant Novgorod. 1944-1946
Musée RusseIl leur arrivait de travailler pour eux-mêmes sur des tableaux dans un style réaliste. Ils peignaient des paysages, des portraits, des villes. Ils signaient alors leurs toiles de leur vrai nom.
Mikhaïl Koupriianov. Moscou. Pluie. Rue Gorki. années 1950.
Centre ROSIZOPorfiri Krylov. Portrait de Léna Kalatchéva
E.Kogan/SputnikNikolaï Sokolov. Moscou en octobre. 1941
Musée RusseL’exposition Koukryniksy organisée par le centre ROSIZO est ouverte à la visite à la salle du Manège de Moscou jusqu’au 15 décembre 2024.
Dans cette autre publication, nous racontons comment le peuple de l'URSS se moquait de ses leaders
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