Que les grands auteurs de la littérature russe pensaient-ils de l’automne?

Culture
ANNA POPOVA
«Le ciel respirait déjà l’automne, / Le soleil brillait déjà plus rarement, / Le jour se faisait toujours plus court», écrivait le poète Alexandre Pouchkine. Pour certains, la fin de l’été annonçait la saison la plus lyrique de l’année. D’autres ne cessaient de se plaindre de la pluie et du froid. Voici quelques réflexions sur l’automne que de grands auteurs russes des XIXe et XXe siècles notèrent dans leurs journaux ou partagèrent avec leurs correspondants.

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Conversations sur le temps

Le temps était un sujet que les écrivains abordaient souvent. Ainsi, pendant son incarcération à la forteresse Pierre-et-Paul, où il passa huit mois, Fiodor Dostoïevski écrivit à son frère aîné Mikhaïl : « Les pénibles mois d’automne s’annoncent et, avec eux, mon hypocondrie. Le temps se couvre déjà. Et dire que le petit coin de ciel bleu que je vois de ma cellule est la garantie de ma bonne santé physique et mentale. Pour l’instant, je suis vivant et vais bien. Je t’en prie, ne pense surtout pas qu’il me soit arrivé quelque chose. Pour l’instant, je suis en bonne santé. Je craignais bien pire et je comprends que j’ai tant de vitalité en moi qu’elle ne s’épuisera pas ».

À l’arrivée de l’automne, Anton Tchékhov partait parfois à l’étranger. De Nice, il écrivit à son éditeur Alexeï Souvorine : « Ici, il fait bon. Même les soirées ne ressemblent pas à des soirées d’automne. La mer est calme, elle offre un spectacle émouvant. La Promenade des Anglais est noyée sous la verdure et brille au soleil. Le matin, je m’installe à l’ombre et lis un journal. Je marche beaucoup ».

« Mais quel temps nous avons là ! Voilà trois jours que je me promène soit à pied, soit à cheval. Si cela continue, c’est ainsi que je vais passer tout l’automne jusqu’à ce que Dieu ne nous envoie une bonne vague de froid. Je te reviendrai sans avoir rien fait », écrivait à sa femme de sa propriété de Mikhaïlovskoïé Alexandre Pouchkine.

Ivan Bounine observait comment la verdure de l’été laissait la place aux couleurs mordorées de l’automne : « Il souffle un vent assez fort et froid. Le jardin râle, bouillonne. Presque tout le ciel est couvert d’un voile, de nuages ardoise. Il est plus clair là où le soleil perce. Les sommets sont de plus en plus jaunes, rouges, rouge-orangé. Il y a eu des nuages et du vent. La nuit fut étonnamment claire, la lune inhabituellement blanche, il n’y avait aucun nuage dans le ciel. Ils avaient tous été chassés par un vent qui s’était levé brusquement ».

Mikhaïl Boulgakov, quant à lui, se plaignait de ses voisins : « Aujourd’hui, on nous a donné le chauffage. J’ai perdu ma soirée à calfeutrer les fenêtres. La première journée de chauffage restera marquée par le fait que la célèbre Annouchka avait laissé la fenêtre de la cuisine grand ouverte toute la nuit. Je ne sais vraiment quoi faire avec cette imbécile qui me sert de voisine. ».

Mode automne-hiver 

Lorsque ses finances ne lui permettaient pas d’aller en France, Anton Tchékhov se rendait en Crimée, où l’automne était moins doux que sur la côte d’Azur. « Lautomneestarrivé à Yalta. Le matin, il pleut. Ce soir, il souffle un vent des plus désagréables dont on ne peut se mettre à l’abri. Achète-moi (chez Murat peut-être) un bachlyk [capuchon de laine avec deux longs pans qui s’enroulent comme des écharpes – ndlr] moelleux et envoie-le-moi, s’il te plaît. N’hésite pas à y mettre le prix. Prends-moi aussi un gilet en peluche et porte-le au tailleur pour qu’il y couse une ceinture et qu’il l’arrange. Envoie-le-moi ensuite. Ici, où le poêle chauffe mal, il faut porter un gilet. Sinon, on se gèle comme un crevard », se plaignait Anton Tchékhov à sa sœur Maria.

L’automne humide de Saint-Pétersbourg n’avait pas de quoi réjouir Fiodor Dostoïevski : « À Saint-Pétersbourg, les hivers sont très froids et les automnes très humides et mauvais pour la santé. On ne peut donc sortir sans manteau, sinon on court le risque d’y rester. On n’aura que ce qu’on mérite, pourrait-on dire dans les cas extrêmes. Je n’en suis pas encore là ! ».

Ivan Bounine supportait bien les froidures de l’automne. « Il est six heures du soir. Je viens de rentrer. Comme cette sortie était agréable ! Mon manteau d’automne était exactement ce qu’il fallait. La sensation de ce petit air froid sur mes bras était agréable. Quel bonheur de respirer ce vent à la fois doux et froid qui souffle du sud depuis plusieurs jours, de marcher sur cette terre humide, de contempler le jardin, un arbre qui n’a pas encore perdu son feuillage marron et qui rougit des feux de l’aurore (bien qu’elle soit presque incolore) ou de sa propre couleur ».

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Automne doré

« Mon Dieu, que c'est donc beau l'automne... pas quand il fait, sale et crotte – (vos pflia, pflia sont parfaits de vérité) – mais quand le ciel est bien transparent, bien pacifique... Il y a du Louis XIV vieillard dans un beau jour d'automne... Vous allez vous moquer de ma comparaison ; Eh bien tant mieux ! », s’extasiait Ivan Tourgueniev dans une de ses lettres à Pauline Viardot.

Anton Tchékhov expliquait aussi pourquoi il appréciait l’automne : « Cela sent l’automne. J’aime l’automne russe. Extraordinairement triste, accueillant et beau. Je partirais bien quelque part avec les cigognes. Quand j’étais enfant, il m’arrivait en automne d’attraper des passereaux et de les vendre sur le marché. C’était un vrai bonheur ! Bien supérieur à celui de vendre des livres ! ».

Les changements de saisons étaient l’occasion pour Léon Tolstoï de se livrer à des réflexions philosophiques, comme celle-ci : « J’ai été faire une promenade. Magnifiquematinéedautomne, calmeetchaude. Verdure. Odeur des feuillages. Au lieu de profiter de cette nature merveilleuse, de ses champs, de ses forêts, de ses cours d’eau, de ses oiseaux, de ses bêtes féroces, se créent dans les villes une autre nature, artificielle, avec des cheminées d’usine, des palais, des machines à vapeur, des phonogrammes ... C’est horrible et irrémédiable... ».

Konstantin Paoustovski s’émerveillait lui aussi de la beauté de la nature automnale : « Tout jaunit : le jardin des Pajalostipe, les branches, l’herbe, les algues et même les yeux des matoux fripons irradient une couleur jaune de l’automne toute particulière. L’automne est arrivé à Solottcha et, semble-t-il, s’est installé durablement. On dirait que tout est recouvert de toiles d’araignée. Tout est baigné de soleil. Il n’y a pas de vent, même en été, cela n’arrive pas. Les amanites sont déjà là, comme ensorcelées. Le menu fretin se montre déjà. Quand ma jambe aura cicatrisé, j’irai jusqu’au lac Noir. J’écris, le lis et je me laisse aller à des pensées tristes ou gaies au gré des vents. Les nuits sont déjà longues et le ciel densément étoilé. Je regrette vraiment que vous ne puissiez contempler l’automne que nous avons ici. C’est peut-être la plus belle saison. "Chaque automne, je me sens revivre" (vers du poème Automne d’Alexandre Pouchkine – ndlr) ».

Pressentiment de l’amour

Pour certains, le printemps est la saison la plus romantique de l’année. Pour d’autres, comme Ivan Bounine, c’est l’automne qui éveille la passion. « L’automne dernier, j’attendais quelque chose, je sentais mon sang couler dans mes veines, mon cœur languissait tellement suavement. Il m’arrivait de pleurer sans savoir même pourquoi. Mais, à travers mes larmes et au-delà de ma tristesse, inspirée par la beauté de la nature ou par la poésie, je sentais bouillir en moi ce sentiment heureux et lumineux de la jeunesse, semblable à l’herbe qui pousse au début du printemps : je tomberai amoureux sans rémission, pensais-je ».

Ivan Tourgueniev attendait aussi que l’automne lui apporte l’amour : « J’écris à Skatchkov que cela sent la poudre.  Quelle absurdité que cette malheureuse crise politique. Pour moi, il y a de l’amour dans l’air. C’est une saison très, très fatale. Quel original je suis devenu ! Pour les autres, c’est le printemps, mais pour moi, c’est cette calme tristesse de la nature, ce ciel bleu clair, ces tapis de feuilles jaunies sur les longues allées, ses branches brunes dénudées, le cri des mésanges, tous les charmes de l’automne captivent mon cœur, je languis, je suis prêt à aimer ».

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