Cinq raisons de lire ou relire Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine

Iouri Kouchevski (CC BY-SA 4.0)
Quel Russe n’est pas capable de raconter l’histoire de cette œuvre écrite il y a maintenant deux cents ans et d’en réciter par cœur ne serait-ce que quelques vers? Nous vous expliquons ici pourquoi les Russes ont un tel attachement pour ce roman en vers.

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Une œuvre au sujet prenant qui se lit avec intérêt

Nombre de chefs-d’œuvre de la littérature mondiale restent hermétiques pour le commun des lecteurs, mais font le bonheur des linguistes et des spécialistes des études littéraires.

Ce ne fut jamais et n’est toujours pas le cas d’Eugène Onéguine. Il est évidemment l’objet de très nombreuses recherches philologiques, mais reste avant tout l’une des œuvres préférées des Russes. S’ils apprécient la pureté du style d’Alexandre Pouchkine (1799-1837) et la profondeur de son roman, ils le trouvent tout simplement intéressant à lire. Les sentiments qu’éprouvent les personnages et leurs pensées touchent les Russes d’aujourd’hui comme ils avaient ému leurs aïeux.

Le sujet de ce roman est passionnant. Eugène Onéguine est un noble fortuné. Malgré sa jeunesse, il est lassé de sa vie à Saint-Pétersbourg et des divertissements que la capitale offre à l’aristocratie. Il s’installe donc à la campagne dans la propriété de son oncle dont il hérite bientôt.

Onéguine, toujours sujet à l’ennui, rencontre Lenski, un jeune poète exalté. Ce dernier lui présente sa bien-aimée Olga et la sœur de celle-ci, Tatiana. Elle tombe amoureuse du ténébreux Onéguine. La suite de l’histoire n’a rien à envier à celles de Shakespeare.

Alexandre Pouchkine commença à composer son roman en vers en 1823, alors qu’il n’avait pas encore vingt-quatre ans. Il l’acheva en 1831. Il fit paraître les chapitres les uns après les autres, ce qui fit de son roman un feuilleton dont les lecteurs attendaient la suite avec avidité. Ils furent littéralement choqués par le dénouement.

Lorsque le dernier chapitre d’Eugène Onéguine fut publié, Alexandre Pouchkine qualifia son travail sur ce roman d’exploit.

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Une «encyclopédie de la vie russe»

Beaucoup de lecteurs partagent l’avis de Vissarion Belinski, le plus grand critique littéraire du XIXe siècle, qui voyait en Eugène Onéguine une « encyclopédie de la vie russe ».

Dans un roman somme toute assez court – environ vingt-quatre mille mots, un peu plus de deux cents pages couvertes de vers) –, Alexandre Pouchkine réussit le tour de force de peindre en détail la Russie du début du XIXe siècle. Sa description de la société russe est exhaustive : il nous guide aussi bien dans les milieux de la haute aristocratie à Saint-Pétersbourg et de la vieille noblesse à Moscou, que sur les terres d’un noble, ce qui est l’occasion d’évoquer la paysannerie.

Alexandre Pouchkine présente également la partie européenne de la Russie à différentes saisons de l’année. Chacun de ces tableaux fait aujourd’hui partie des anthologies de la poésie russe.

Il truffa aussi son roman de réflexions philosophiques et psychologiques dont beaucoup sont passées dans le langage courant. Parmi elles, « On peut être homme de bien et penser à la beauté de ses ongles »* ou « Moins nous avons d’amour pour une femme, plus nous lui plaisons »*.

Depuis la parution de son premier chapitre en 1825, Eugène Onéguine fascine ses lecteurs par la complexité de sa composition, le nombre de sujets abordés, la description minutieuse des réalités de la vie quotidienne, la profondeur des caractères. Ce roman en vers reste pour les Russes d’aujourd’hui l’œuvre maîtresse de l’un des plus grands écrivains de langue russe.

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Les plus belles déclarations d’amour de la littérature russe

Chaque Russe se doit de connaître par cœur quelques vers de la lettre de Tatiana à Onéguine, si ce n’est toute la lettre.

Une jeune fille, qui vit près de la nature et passe son temps à lire, a le courage d’avouer son amour à un héros à la Byron, qui traîne son ennui comme un boulet jusque dans la campagne isolée où elle habite. Elle comprend bien qu’il n’est peut-être qu’un « tentateur »* et qu’elle est victime de ses illusions. Mais elle remet son sort entre ses mains.

« Ma vie entière n’a été qu’une attente de toi ; je sais que tu es envoyé de Dieu pour être, jusqu’à la tombe, mon ange gardien ! »*

Onéguine apprécie à sa juste valeur la démarche audacieuse de Tatiana. Cynique, il n’en profite toutefois pas pour jouer de l’inexpérience de la jeune fille.

À la fin de son roman, Alexandre Pouchkine pousse son personnage Onéguine à rédiger une déclaration d’amour. Inutile de préciser à qui ! 

Il s’agit de la lettre d’un homme que l’expérience de la vie a rendu sage et qui, pour la première fois de sa vie, est aveuglé par l’amour. Il se dévoile alors tel que les lecteurs ne l’ont pas encore vu.

« La science a compté mes jours. Je le sais : et pourtant, pour avoir le courage d’aller jusqu’au soir, il faut que j’aie dès le matin l’espérance de vous apercevoir dans la journée. Je crains même que votre regard sévère ne voie dans mon humble prière qu’une machination ou une ruse… et j’entends vos reproches ! »*

L’un des premiers romans de la littérature russe ... et une œuvre parfaitement maîtrisée

Mikhaïl Lomonossov (1711-1765) et Alexandre Soumarokov (1717-1777), deux des premiers écrivains russes à ne pas appartenir aux milieux ecclésiastiques, étaient critiques des romans européens qu’ils trouvaient amoraux et vides de sens.

Mais, à leur époque, la littérature russe n’avait encore produit aucun roman dont la qualité pouvait prétendre égaler celle des œuvres européennes.

Alexandre Pouchkine est pratiquement le créateur du roman russe et de la langue idoine pour le lire. Par ailleurs, Eugène Onéguine est l’une des premières œuvres réalistes de la littérature russe dans laquelle l’auteur décrit la vie de ses contemporains sans idéalisation excessive, ni sentimentalisme.

Le fait que le roman est en vers et sa complexité font qu’il est difficile de l’adapter au théâtre ou à l’écran. Habituellement, les metteurs en scène qu’Eugène Onéguine intéresse en choisissent seulement une partie ou concentrent leur attention sur une des histoires d’amour racontées par Alexandre Pouchkine. Certains transforment le roman en une histoire fantastique, comme cela a été fait au théâtre Vakhtangov à Moscou : Tatiana danse sous la neige avec un ours.

L’une des meilleures adaptations d’Eugène Onéguine à la scène reste l’opéra de Piotr Tchaïkovski (1840-1893) dont le livret reprend le texte originel. De la symbiose des vers d’Alexandre Pouchkine et de la musique naquit un véritable chef-d’œuvre.

Une œuvre en vers totalement unique

Le génie d’Alexandre Pouchkine s’explique, entre autres, par sa maîtrise de la versification. Ses rimes sont légères, raffinées et particulièrement harmonieuses pour l’oreille russe.

Eugène Onéguine n’est pas seulement composé en vers. Chacune de ses strophes a une structure très travaillée. Alexandre Pouchkine parvint à s’imposer cette discipline tout au fil de son texte. On parle de « strophe onéguinienne ».

Des traducteurs du monde entier tentent audacieusement de transposer Eugène Onéguine dans leur langue et rivalisent pour rendre l’atmosphère du roman d’Alexandre Pouchkine. Rien qu’en anglais, il existe plus de dix versions.

Une des difficultés à surmonter est de savoir s’ils doivent concentrer leurs efforts sur les vers ou sur le sujet.  

*Pouchkine A., Eugène Onéguine, traduit du russe par Paul Béesau, Paris : A. Franck, 1968

Edition en ligne sur www.gallica.fr

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