Tchinguiz Aïtmatov (à droite)
I. Dronov/TASSRussia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
L'expansion de l'Empire russe vers les portes de l'Afghanistan et de l'Inde, et l'incorporation subséquente de l'Asie centrale à l'Union soviétique, ont entraîné la diffusion de la langue russe au sein des peuples de langue turciques. Et le Kirghizistan a produit l'un des meilleurs écrivains de langue russe du XXe siècle - Tchinguiz Aïtmatov.
Né en 1928 dans un village kirghiz appelé Sheker, Aïtmatov a brièvement vécu à Moscou dans son enfance, mais est retourné dans son pays natal après que son père, exécuté lors des purges staliniennes, a renvoyé sa famille au Kirghizistan.
Après être passé par l’école soviétique, Aïtmatov est devenu bilingue en kirghize et en russe. Dans ses mémoires, il a raconté un épisode de sa jeunesse : un villageois l’a prié de traduire pour un vétérinaire russe comment un étalon était mort empoisonné après avoir consommé de l'herbe sauvage. Encore jeune garçon à l'époque, il a été récompensé par un « beau morceau de viande » pour ses services de traduction. « C'est ainsi que j'ai servi d'interprète pour la toute première fois - du russe au kirghiz et du kirghiz au russe, a écrit Aïtmatov. Depuis, je travaille au sein de ces deux cultures ».
Tchinguiz Aïtmatov
Alexei Shtorkh/TASSComme il était trop jeune pour aller au front, Aïtmatov a réalisé divers emplois pendant les années de guerre et a repris les études en 1946. Il a fréquenté une école vétérinaire au Kazakhstan, puis s'est inscrit dans un institut agricole du Kirghizistan. Mais sa vraie passion était l'écriture.
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Sa première nouvelle en russe, intitulée Le vendeur de journaux Dzouïo, fut publiée en 1952. Quatre ans plus tard, Aïtmatov s’inscrivit à l’Institut de littérature Gorki de Moscou, une plateforme qui le propulserait vers une vie d’écrivain prolifique.
Bien que l'Asie centrale fasse partie du monde russophone au sens large, les Russes ordinaires et les citoyens soviétiques en savaient peu sur la vie de cette partie du monde dans les années 1950. Les steppes, les montagnes et les vallées étaient un monde éloigné des régions urbanisées de la Russie européenne d'après-guerre, et étaient beaucoup plus difficiles d'accès que les États baltes.
En 1958, la nouvelle d’Aïtmatov Djamilia a été publiée en russe. L’émouvante histoire d’une jeune femme issue d’une famille d’éleveurs de chevaux qui tombe amoureuse d’un soldat handicapé alors que son mari est au front a été bien accueillie dans toute l’Union soviétique. Pour la première fois, les traditions et le mode de vie uniques du peuple kirghiz sont entrés dans le monde de la littérature. Le livre, comme beaucoup d’œuvres ultérieures d’Aïtmatov, a été adapté sur grand écran.
Cadre tiré du film Djamilia
Irina Poplavskaïa, Sergueï Ioutkevitch/Mosfilm, 1968Aïtmatov a déclaré que la nouvelle plongeait ses racines dans la vie réelle. « Les racines me ramènent une fois de plus à la Seconde Guerre mondiale, a-t-il écrit. Ce n’était pas seulement un événement terrible dans la vie de notre pays, qui a coûté la vie à de nombreuses personnes et entraîné la faim, le froid et d’autres terribles épreuves. Elle a également conduit à un bouleversement des coutumes et des traditions morales de mon pays ».
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Le poète surréaliste français Louis Aragon, qui a traduit la nouvelle en français, l'a qualifiée de « plus belle histoire d'amour du monde ». Rakhima Abdouvalieva, qui a travaillé comme traductrice d’Aïtmatov en Allemagne et a fondé l’Académie Aïtmatov à Londres, affirme que la reconnaissance internationale d’Aïtmatov va de pair avec celle de la culture kirghize. « Pour les écrivains occidentaux, Tchinguiz Aïtmatov ressemblait à un sphinx - il n’y avait pas d’autre mot pour cela, a écrit Abdouvalieva dans une biographie intitulée Tchinguiz Aïtmatov : le chemin glorieux d’un écrivain eurasien.Comment le fils d’un “ennemi du peuple” a-t-il pu pardonner le système social qui avait tué son père et continuer à créer des œuvres aussi magnifiques dans de telles conditions ? ».
Cadre tiré du film Djamilia
Irina Poplavskaïa, Sergueï Ioutkevitch/Mosfilm, 1968Djamilia était également très populaire en Allemagne, où la traduction a été rééditée à plus de 35 reprises.
Alors que dans Djamilia, Aïtmatov explorait l’idée d’une relation extraconjugale dans une société profondément traditionnelle et conservatrice, son roman L'Oiseau migrateur face à face parlait d’un déserteur. « Un choix audacieux du sujet constituait un fil conducteur de toutes les œuvres de Tchinguiz Aïtmatov, a écrit Abdouvalieva dans la biographie. Alors que dans ses premiers ouvrages L'Oiseau migrateur face à face, Djamilia ou Le Premier maître, il familiarisait simplement les lecteurs du monde avec le mode de vie kirghize, dans l’histoire Adieu Goulsary, il a dressé un portrait critique du tissu social de son pays, s’attirant encore plus de respect qu'auparavant en tant qu'écrivain à tendance philosophique ».
Aïtmatov, 1972
Oleg Porokhovnikov/TASSLe Bateau blanc, publié en 1970, a également été bien accueilli dans de nombreux pays. Le roman, campé sur les rives du lac Issyk-Koul, raconte l'histoire d'un jeune garçon qui grandit en écoutant les histoires et les légendes de son grand-père et en regardant le lac où naviguent des bateaux blancs. La nouvelle a suscité une controverse en raison de sa description de la brutalité, de la corruption et des abus de pouvoir qui prévalaient en Union soviétique. Malgré une sympathie marquée pour le mode de vie traditionnel kirghize face à la modernisation soviétique, le livre a été largement lu en URSS et a été adapté au grand écran.
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Djamilia, Le Bateau blanc et Adieu Goulsary, l’histoire émouvante d’un berger vétéran de la guerre et de son étalon, sont considérés comme des œuvres incontournables pour qui veut comprendre la société kirghize. Pour plonger encore plus en profondeur dans l'âme de l'Asie centrale, son roman de 1980 Une journée plus longue qu'un siècle est idéal. Le roman se déroule dans les vastes steppes, donnant l’aperçu le plus large et le plus vivant possible de la région. Le lecteur comprend le fossé drastique et surréaliste entre les modes de vie modernes et traditionnels. Abdouvalieva a qualifié ce livre de point culminant du cheminement créatif d’Aïtmatov consistant à montrer l'Asie centrale au monde.
Aïtmatov se promène dans les environs de son village natal au Kirghizistan, 1982
TASSAïtmatov a continué à obtenir renommée et reconnaissance internationales au cours des dernières années de l'Union soviétique, remportant des prix prestigieux en Italie, en Inde, en France, en Allemagne et dans d'autres pays. Il est devenu conseiller de Mikhaïl Gorbatchev en 1986, au plus fort de la perestroïka et, en 1990, a été nommé ambassadeur soviétique au Luxembourg. Il a été envoyé principal de la Russie dans les pays du Benelux avant de devenir ambassadeur du Kirghizistan dans les trois pays.
Son dernier roman, Le léopard des neiges, a été publié en Allemagne en 2007, un an avant sa mort.
James Riordan, qui a traduit plusieurs œuvres d'Aïtmatov, a exprimé son admiration pour l'écrivain kirghize, qui, selon lui, s'est distingué par l’usage de la langue russe. « Il n’écrit pas une, mais deux versions de chaque œuvre : d’abord en kirghiz, puis en russe, parfois sous un titre différent et dans une version différente, à la manière de Conrad, Nabokov et Narayan », a déclaré Riordan cité dans la biographie d’Abdouvalieva.
Tchinguiz Aïtmatov en 2007
ullsteinbild/Getty ImagesAïtmatov a déclaré que le bilinguisme avait été un fil conducteur tout au long de sa vie et qu'il percevait le russe comme « une langue pilote dans les confins de l'Asie post-soviétique ». Il est allé jusqu'à qualifier le russe de « deuxième langue maternelle », ajoutant : « La langue russe est l’une des principales réalisations stratégiques de l’homme, car elle possède les propriétés d’une antenne linguistique. Le russe fait appel aux ressources de la langue et accompagne dans le monde qui l'entoure les formes d'expression et de pensée les plus profondes et les plus efficaces, nourrissant la communication pour ceux qui vivent un seul et même chapitre de l'histoire ».
L’héritage de l’écrivain est donc un patrimoine littéraire que le Kirghizistan et la Russie peuvent revendiquer avec une grande fierté.
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