Lieu de pèlerinage: le monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb près de Rostov

Culture
WILLIAM BRUMFIELD
L'historien et expert en photographie William Brumfield nous fait découvrir les églises d'un ancien monastère de la région de Iaroslavl.

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Le monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb, dédié à de jeunes princes kiéviens morts en martyrs au début du XIe siècle, est depuis longtemps un lieu de vénération pour les voyageurs de la région de Iaroslavl. À l'été 1911, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (voir l'encadré ci-dessous) a visité le monastère dans le cadre de ses voyages visant à documenter la diversité de l'empire russe au début du XXe siècle.

Patronage royal

Le monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb a été fondé en 1363 par les moines de Novgorod Fiodor et Pavel (Paul) avec la bénédiction de Saint Serge de Radonège, figure de proue du monachisme moscovite. Après ces débuts de bon augure, le monastère reçut bientôt les faveurs des dirigeants de la Moscovie, dont le tsar Ivan III (le Grand, 1440-1505) qui y fut baptisé en 1440. Son fils Vassili III et son petit-fils Ivan IV (le Terrible) perpétuèrent le patronage royal.

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La construction en maçonnerie du monastère a commencé sous le règne de Vassili III avec la création d'une briqueterie au début des années 1520. La première structure en maçonnerie était le sanctuaire principal du monastère, la cathédrale Saint-Boris-et-Saint-Gleb, construite en 1524 et debout à ce jour, bien qu'avec des modifications substantielles aux XVIIIe et XIXe siècles.

Prokoudine-Gorski l'a photographiée de loin avec l'ensemble du monastère ainsi que de plus près, depuis l'intérieur du monastère. (Le négatif en verre à trois séparations de cette dernière vue n'a pas survécu, mais une épreuve de contact monochrome qu'il a réalisée à partir du négatif se trouve dans la collection de la Bibliothèque du Congrès.) Mes photographies, prises sur une période étalée de 1992 à 2019, montrent une perspective plus proche.

L'édifice austère de la cathédrale est attribué au maître d'œuvre Grigori Borissov de la ville voisine de Rostov. Il a remplacé une église en rondins qui avait été érigée sur les tombes des fondateurs du monastère, les moines Fiodor et Pavel. La structure en rondins étant en mauvais état, Vassili III ordonna qu'elle soit remplacée et alloua des fonds en 1522 pour la construction d'une importante église en brique.

Les murs de la structure étaient divisés en trois segments qui se terminaient par des gâbles courbes. Cet élément gracieux a été supprimé et remplacé en 1780 par le toit à quatre versants visible aujourd'hui. Le cylindre supportant la coupole et la coupole elle-même ont été reconstruits sous une forme différente et surélevée en 1778, violant ainsi les proportions d'origine. Un autre changement substantiel s'est produit en 1820, lorsque la façade ouest et l'entrée principale ont été obscurcies par l'ajout d'un narthex néoclassique de deux étages contenant une chapelle dédiée à Élie le prophète.

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L'intérieur de la cathédrale est organisé autour de quatre piliers massifs qui soutiennent les voûtes centrales du plafond visibles sur mes photographies de 2019 (Prokoudine-Gorski n'a pas photographié l'intérieur de la cathédrale). La lumière naturelle est limitée par les fentes étroites des fenêtres dans les murs et le cylindre supportant la coupole centrale.

Malgré le patronage précoce de Vassili III, le monastère n'était pas situé dans une grande ville et disposait donc de moins en moins de ressources au fil des décennies. Bien que les spécialistes de la restauration aient découvert des fragments de fresques peints peut-être dès le XVIe siècle, rien ne prouve que les murs aient été entièrement peints avant 1783.

En 1905, les murs ont été repeints à l'huile par Fiodor Iegorov, qui a reproduit des peintures du célèbre artiste Viktor Vasnetsov pour la cathédrale Saint-Vladimir de Kiev. Ces peintures sont en train d’être supprimées. La partie est de l'intérieur possédait une grande iconostase, qui est également progressivement restaurée après des dommages subis pendant la période soviétique.

Autres édifices

À quelques pas au nord-ouest de la cathédrale se trouve le réfectoire de l'église de l'Annonciation, construite deux ans plus tard (1524-26) par Grigori Borissov avec le soutien de Vassili III. Sa forme reflète la tradition monastique russe consistant à adjoindre un réfectoire (salle à manger) comme extension du côté ouest d'une église.

La structure principale est un grand bloc de deux étages. Comme pour la cathédrale adjacente, les murs de l’église de l’Annonciation se terminaient à l’origine par de gracieux gâbles courbés qui ont été supprimés et remplacés par un toit à quatre versants au début du XVIIIe siècle. Les fenêtres ont également été agrandies à cette époque. Une coupole unique posée sur un tambour décoratif couronne le toit. Le rez-de-chaussée était utilisé pour le stockage des vivres destinés à l'arrière-cuisine, sous le réfectoire attenant.

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L'intérieur compact de l'église n'a pas de piliers et les voûtes du plafond reposent sur les murs. Il n'y a pas de preuves documentaires du fait que l'intérieur aurait été peint, mais une restauration récente a mis au jour des fragments d'un tableau de la Vierge Marie qui pourraient faire partie d'une « Annonciation ».

La salle à manger possède une puissante colonne centrale typique des réfectoires monastiques des XVIe et XVIIe siècles. La caractéristique la plus inhabituelle de l'église de l'Annonciation est l'entrée massive en forme de cube, un « porche » ajouté en 1695. Ses murs sont décorés de carrés encastrés (chirinki) recouverts de carreaux de céramique.

Site de pèlerinage

Le fils de Vassili, Ivan le Terrible (1530-1584), a amélioré la richesse et la réputation du monastère, mais n’a ajouté aucune structure majeure. Son règne a malheureusement provoqué des bouleversements massifs dont les remous se sont prolongés jusqu'au début du XVIIe siècle lors d'une transition dynastique et d'une crise connue sous le nom de Temps des troubles.

Au cours de ces événements dramatiques, le monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb a acquis une grande renommée grâce à la vie d'un moine connu sous le nom d'Irénarque, le Reclus de Rostov (1547-1616). Ses restes reposent maintenant dans le narthex de la cathédrale.

La dernière grande phase de construction du monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb  a eu lieu à la fin du XVIIe siècle sous le patronage du prélat de l'église, le métropolite Jonas (Syssoïevitch), qui avait tant construit dans le Rostov voisin. Comme on pouvait s'y attendre, l’architecture doit beaucoup au style du « Kremlin de Rostov » (Cour de l’archevêque). 

Sous le règne de Pierre le Grand, les ressources en matière de construction ont été dirigées vers la nouvelle ville de Saint-Pétersbourg et une grande partie de la richesse monastique a été confisquée. Ce processus s'est poursuivi avec la sécularisation des terres monastiques sur ordre de Catherine la Grande, qui a offert les principales propriétés de ce monastère au prince Grigori Orlov. Le statut du monastère Saint-Boris-et-Saint-Gleb  a été considérablement réduit, bien qu'il soit resté un lieu de pèlerinage tout au long du XIXe siècle et au début du XXe, lors de la visite de Prokoudine-Gorski.

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Fermé en 1924, le monastère a survécu en tant qu'ensemble architectural en grande partie grâce à sa conversion en musée d'histoire locale. Soixante-dix ans plus tard, en 1994, des parties du monastère ont été restituées à l'Église orthodoxe russe, qui en possède désormais l'ensemble. Un processus de restauration prolongé et complexe se poursuit jusqu'à présent.

Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

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