Deux films, deux prix à Cannes
Kantemir Balagov a fait sa brusque entrée dans le monde de l’industrie cinématographique russe en 2017. Son premier film Une vie à l'étroit («Tesnota») a alors été sélectionné pour un Certain regard, créant la surprise : ce disciple du légendaire Alexandre Sokourov était encore inconnu en Russie. Son film y remportera le Prix FIPRESCI et obtiendra en Russie le statut de favori des festivals cinématographiques nationaux.
Balagov a ainsi immédiatement été proclamé espoir du nouveau cinéma russe : son approche artistique (conjugaison du réalisme quasi-documentaire et de complexes métaphores) compensait les imperfections techniques de l’œuvre dues à un budget très modeste.
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Néanmoins, lors du tournage d’Une grande fille, Balagov n’a déjà plus éprouvé aucune difficulté financière. Son incontestable talent de raconter des histoires humaines absolument perçantes ressurgit avec une force nouvelle et le prix obtenu n’en est que la preuve la plus évidente.
Un regard inhabituel sur la Seconde Guerre mondiale
Une grande fille raconte l’histoire de deux combattantes qui retrouvent la ville de Leningrad après la levée du blocus. Initialement, Balagov voulait véhiculer sur grand écran l’un des monologues de La guerre n'a pas un visage de femme, livre de Svetlana Aleksievitch, lauréate du prix Nobel de littérature en 2015. Il a toutefois abandonné cette idée au profit d’un scénario indépendant. Quoi qu’il en soit, le film se distingue beaucoup des films russes dédiés à guerre tournés au cours de ces dernières années. Et cette différence ne se résume pas à l’absence des intonations de bravoure et des scènes de guerre. C’est avant tout l’histoire très privée et extrêmement intime de deux femmes cherchant à combler un vide intérieur, un choix scénaristique qui fait mouche.
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Label de qualité au niveau de la production
Derrière le financement de ce film se cache Alexander Rodnianski, producteur de tous les films d’Andreï Zviaguintsev, dont ceux qui ont été distingués par toute une série de récompenses internationales, notamment Elena et Léviathan. Son nom aujourd’hui est, en quelque sorte, synonyme de label de qualité. Ce producteur ne s’occupe aujourd’hui que des projets vraiment ambitieux dont l’intérêt va au-delà des frontières du pays et ce nouveau film de Balagov ne fait pas exception à la règle.
Mise en scène de nouvelles étoiles du cinéma
Dès sa première œuvre, il est devenu clair que Balagov serait un réalisateur révélateur de talents. Son premier film a par exemple donné un coup d’envoi à la carrière de Daria Jovner, qui y a interprété le rôle principal.
Ce jeune réalisateur s’efforce en effet de dénicher des acteurs prometteurs, mais méconnus du grand public. Dans Une grande fille il révèle ainsi Viktoria Mirochenetchenko, 25 ans, et Vassilissa Perelyguina, 23 ans.
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Un remarquable travail de cadrage
Les critiques de ce film n’abordent que peu ce sujet, mais le travail de caméra, qui est à la fois réservé et pittoresque, est l’un des principaux atouts de ce long métrage. Il est tissé de renvois visuels aux chefs d’œuvres de la peinture européenne. La caméraman, Ksenia Sereda, apparaît d’ailleurs comme l’un des principaux professionnels russes dans le domaine.
Comme le reste de l’équipe, Ksenia est jeune – elle n’a que 24 ans. Elle s’est cependant lancée dans le tournage des films il y a six ans déjà et est devenue une véritable orfèvre en la matière. L’année passée elle a travaillé sur L’Acide, film avec lequel a débuté Alexandre Gortchiline et qui se distingue lui aussi par un style visuel intéressant. Mais Une grande fille propulse sans aucun doute Serada à un tout autre niveau.
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