Garde-robe d’antan: que portaient traditionnellement les Tatars d’autrefois?

Culture
NOUR RAHEL
Les tenues traditionnelles constituent une part importante de l’identité culturelle des peuples, et les Tatars n’y font pas exception. Leur savoir-faire et leur artisanat sont connus dans toute la Russie et en dépassent parfois même les frontières.

Le Champ-de-Mars accueille depuis quelques années déjà la fête traditionnelle tatare de Sabantuy, qui célèbre la venue de l’été. Cet évènement attire par ses chants et danses de nombreux visiteurs, fascinés par les costumes colorés des participants. Avec l’aide d’Elena Gouchtchina, ethnologue spécialiste des civilisations tatares, Russia Beyond s’est intéressé de plus près à ces tenues ancestrales et à leur histoire.

Le costume, véritable miroir des temps

Pour mieux comprendre les influences ayant forgé la singularité de leurs habits, il convient de rappeler tout d’abord que les Tatars sont un grand peuple nomade turco-mongol apparu à l’est de la Mongolie au cours du XIe siècle. Vers la fin du XIIIe, ils ont élu domicile dans diverses régions, principalement en Russie. L’ethnonyme « tatar » regroupe ainsi plusieurs ethnies dispersées en Europe de l’Est et au-delà, dont les Tatars d’Astrakhan, de Crimée, de Kazan, de Lituanie, de Sibérie occidentale, de Kassimov, mais aussi les Karaïmes, les Michares et les Kriachènes. La majorité d’entre eux est de confession musulmane, quoiqu’il existe plusieurs minorités chrétiennes orthodoxes.

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L’histoire millénaire des Tatars, ainsi que leurs us et coutumes, ont laissé une empreinte indélébile sur leurs tenues qui, si décryptées, vous décriront telle une encyclopédie les conditions de vie des représentants de ce peuple. En observant ces palettes de couleurs vives reflétant la joie de vivre, nous ne pouvons passer à côté des détails précis et méticuleux qui témoignent des savoir-faire tatars dans les domaines de la maroquinerie, de la bijouterie, de la broderie et de la couture.

Le costume tatar tel qu’on le connait aujourd’hui est apparu au XIXe siècle sur les rives de la Volga. Des tissus préfabriqués étaient alors déjà utilisés : du calicot, du coutil, du coton ou de la toile. La laine et certaines matières d’Asie centrale étaient également très courantes. « Les familles aisées portaient souvent de la soie et du brocart, alors que les paysans s’habillaient de tissus mouchetés fabriqués à base de reste de laine, de lin et de coton. Les tissus très colorés et à rayures étaient alors très appréciés », nous confie la spécialiste.

De quoi était constituée la garde-robe de ces messieurs ?

Les tenues des hommes se caractérisaient à cette époque par une longue chemise appelée « koulmek » et un pantalon, confectionnés à partir de tissus relativement légers. La chemise se portait sans ceinture et au-dessus du pantalon. Concernant ce dernier, il en existait deux types, cousus dans des tissus différents : ceux portés en dessous et ceux portés au-dessus. « Seuls les paysans et les vieillards ne portaient qu’un pantalon. La coupe large du pantalon rappelait les tenues traditionnelles des peuples turcophones », précise Gouchtchina.

À la maison, on pouvait porter un « kamzol » sans manches, un vêtement ressemblant à un pourpoint au-dessus de la chemise. Pour les déplacements, on optait plutôt pour un casaquin en tissu léger considéré comme une tenue plus officielle et plus adaptée aux sorties. En hiver, il était possible de porter des vestes en laine, et même en fourrure. « Les intellectuels et les grands professeurs portaient des djoulan, un habit long jusqu’au sol avec de longues manches étroites ».

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Dans le temps, les hommes avaient pour la plupart le crâne rasé et arboraient un chapeau souple, la traditionnelle toubeteïka, mot signifiant chapeau rond. Cet accessoire était très important pour l’époque puisqu’il permettait non seulement aux hommes de se protéger du Soleil, mais par sa forme et ses motifs, on pouvait aussi déterminer le statut social, l’âge et la religion de celui qui le portait. En été, les hommes pouvaient également porter de grands chapeaux blancs de forme cylindrique, tandis qu’en hiver ils optaient pour des chapkas bourek en fourrure.

Et la gent féminine dans tout ça ?

Les tenues des femmes ne différaient en réalité que peu de celles des hommes, s’en distinguant surtout par leur structure et leurs ornements. Ainsi, portaient-elles par exemple de longues tuniques ressemblant aux chemises des hommes. « Les femmes issues de familles aisées enfilaient plusieurs tuniques les unes sur les autres », explique l’ethnologue. Les robes étaient longues et atteignaient les chevilles. Souvent plissées, elles étaient décorées de rubans colorés en soie, de dentelle et de volants.

Les femmes mariées portaient en outre sous leur robe un pectoral brodé afin de couvrir leur poitrine si le décolleté plongeant venait à la dévoiler. Elles portaient également des pantalons en calicot coloré et des tabliers brodés de motifs. Les vêtements d’extérieur de ces dames se différenciaient des tenues masculines uniquement par quelques détails de décoration : plus large en bas, plus de fourrure et de broderie.

La coiffure des femmes tatares dévoilait quant à elle beaucoup de choses, notamment en ce qui concerne leur statut matrimonial et leur religion. « Il était commun de se couvrir la tête même à la maison avec un foulard, une calotte ou un chapeau. À la différence des jeunes femmes, les épouses se couvraient aussi le cou, les épaules et le dos », relate Elena.

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Enfin, à partir de l’adolescence, les jeunes filles étaient coiffées de deux longues tresses. Les musulmanes les laissaient pendre jusqu’à la taille, alors que les chrétiennes se coiffaient « à la russe », enroulant ces nattes autour de leur tête à la manière d’un turban. Les plus âgées portaient de leur côté un foulard en dessous de leur chapeau. En outre, les jours de fête, les femmes portaient des chapeaux blancs à frange appelés « kalfaks ».

Un peuple d’artisans chevronnés

Au cours du XIXe siècle, les Tatars étaient connus pour leur maîtrise de la maroquinerie et de la joaillerie. Les bijoutiers tatars travaillaient principalement l’argent et utilisaient des techniques de filigrane, de tamponnage et de gravure. Les femmes aimaient d’ailleurs porter beaucoup de bijoux, de larges colliers, de grandes boucles d’oreilles et des ceintures à motifs principalement en argent et en or. Pour ce qui est de la maroquinerie, les artisans confectionnaient des bottes « tchitek » en cuir souple, principalement du maroquin ou du cuir de Russie, ornées de motifs colorés. Une technique ancestrale unique permettait à cet égard de broder le cuir de motifs dits en mosaïque.

« Les Tatars n’avaient pas de forgerons, puisque le tsar avait interdit cette profession aux peuples non russes. Ils s’étaient donc tournés vers la broderie d’or, qui constituait la fierté de leur artisanat », ajoute l’experte.

Comme tous les costumes traditionnels, les tenues tatares font aujourd’hui partie du passé. Elles sont associées aux danses, au folklore et à la fête, mais ne sont plus liées au quotidien des Tatars. Néanmoins, les savoir-faire et l’artisanat peuvent être préservés, certains éléments des costumes traditionnels étant encore aujourd’hui à la mode. Il n’est bien sûr pas question de porter une telle tenue complète tous les jours, mais de marier certains éléments aux habits contemporains. La Russie de manière générale, et la République fédérée du Tatarstan en particulier redoublent d’effort pour conserver ce patrimoine dans le cadre de programmes de développement et de protection de la culture.

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