Comment Le Corbusier a-t-il envisagé de raser entièrement Moscou?

Getty Images, Catherine Cooke/Wikipedia
Au début du XXe siècle, le célèbre architecte français a envisagé de modifier complètement le centre de Paris et de transformer Moscou en une immense ville-jardin parsemée de gratte-ciels, impliquant par conséquent la destruction des sites historiques à l’exception du Kremlin, de la place Rouge et de quelques bâtiments qu’il considérait dignes d’intérêt.

De gauche à droite : le Tsentrosoyouz à Moscou ; Le Corbusier et Nikolaï Kolli sur le chantier du Tsentrosoyouz, Moscou, mars 1931.

Certains ambitieux projets du Corbusier, architecte, théoricien, fondateur du fonctionnalisme architectural, artiste et designer mondialement célèbre, n’ont, pour le plus grand bonheur des amateurs d’histoire, jamais été concrétisés. Le destin a ainsi voulu que le centre de Moscou n’accueille que l’une de ses créations, le bâtiment du Tsentrosoyouz (1928-1936), se dressant sur la rue Miasnitskaïa. La situation aurait pourtant pu être tout autre.

«Une orgie de verre et de béton»

Après la Révolution de 1917, en Russie soviétique, l’art avant-gardiste s’est imposé comme le plus populaire et prisé : le pouvoir fraichement établi avaient en effet besoin des réflexions d’artistes, d’architectes et de designers afin de repenser l’identité visuelle de la nation. En architecture, le principal mouvement d’avant-garde était alors le constructivisme, dont l’idée, s’articulant autour de la simplicité et de la fonctionnalité, s’avérait étonnamment proche de celles formulées par Le Corbusier dans son manifeste Cinq points de l'architecture moderne, qu’il essayait par tous les moyens de mettre en pratique en Europe. Un agencement libre, l’utilisation d’une carcasse en fer et béton, une façade légère, un rejet de l’ornement au profit de la fonctionnalité, tout cela paraissait nouveau et frais, bien que soulevant les craintes des adeptes de l’architecture classique. La simplicité et la fonctionnalité, selon Le Corbusier, devaient également reposer à la base des plans de construction urbaine et c’est naturellement en suivant ces principes qu’il a élaboré le scandaleusement célèbre Plan Voisin, conformément auquel presque la totalité du centre de Paris aurait dû être rasé.

À la place, devait voir le jour un centre d’affaires constitué de dix-huit tours de cinquante étages et de diverses infrastructures. Le projet n’a toutefois pas été réalisé, mais a reçu une large renommée au sein des cercles professionnels, et ce, pas uniquement en Europe, mais également en URSS.

>>> Dix édifices soviétiques inspirés par le Corbusier

Par la suite, ayant eu vent du concours organisé en 1928 pour la construction du Tsentrosoyouz, dans le centre de Moscou, Le Corbusier a décidé d’y prendre part et en a été le vainqueur, ce qui n’a pas constitué une grande surprise, ses « concurrents » soviétiques ayant eux-mêmes demandé à ce que le chantier lui soit confié. À noter que le curateur (et en partie coauteur) du projet a par ailleurs été l’architecte soviétique Nikolaï Kolli. Après dix ans, la construction de l’édifice s’est achevée et l’architecte-constructiviste Alexandre Vesnine l’a qualifié de « meilleur bâtiment construit à Moscou au cours du siècle écoulé », tandis que le Suisse Hannes Meyer a évoqué une « orgie de verre et de béton ».

De gauche à droite : projet du Corbusier pour le concours du Palais des Soviets à Moscou et celui du vainqueur, Boris Iofane.

Tout raser, sauf le Kremlin

Les autres projets du Corbusier en URSS n’ont cependant pas vu le jour. L’un d’eux concernait la reconstruction totale de la capitale soviétique, de manière encore plus ambitieuse que celle de Paris. Dans son texte, ayant reçu le titre de Réponse à Moscou, Le Corbusier proposait en effet de raser l’entièreté du centre historique de la ville, à l’exception du Kremlin, de la place Rouge, et de quelques édifices d’intérêt. Parmi ces derniers figuraient notamment le bâtiment de la société d’assurance « Rossiya », sur le boulevard Sretenski, qui est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux de la cité.

Au début des années 1930, Le Corbusier a ensuite participé au concours organisé pour le chantier du Palais des Soviets. À la place de la cathédrale du Christ-Sauveur devait en effet être érigé un édifice administratif destiné à devenir le plus grandiose ouvrage architectural du monde. Le Corbusier a alors présenté un projet absolument novateur, mais à cette époque en URSS, les préférences artistiques des autorités avaient d’ores et déjà radicalement évolué et le réalisme socialiste avait supplanté l’avant-garde. La victoire a par conséquent été accordée à Boris Iofane, qui avait imaginé un projet se pliant au triomphal style impérial stalinien. La déception a alors gagné Le Corbusier, ses espoirs de faire régner en URSS une approche contemporaine de l’architecture s’étant brisés.

>>>Le Corbusier en bronze, œuvre d’un artiste russe, inauguré à Poissy

Les projets trop libres pour l’État totalitaire qu’était l’URSS se sont ultérieurement retrouvés interdits, et si l’on a tenté de rayer le nom du Corbusier de l’histoire de l’architecture soviétique, ses idées, ou tout du moins leurs répercussions, ont été activement utilisées tout au long du XXe siècle. De nouveaux quartiers résidentiels à Moscou et dans d’autres villes de la nation sont par exemple en effet sortis de terre en conformité avec les principes de fonctionnalité établis par ce célèbre personnage.

Dans cet autre article, nous vous présentons le visage futur de Moscou, au travers d’étonnants projets architecturaux et urbains.

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