L’idée vient de loin : son auteur, le professeur de danse Valéry Melniytchuk a traversé les 12 000 kilomètres qui séparent la capitale française de la ville de Khabarovsk (Extrême-Orient russe) pour essayer de réunir au moins 400 couples de danseurs de bachata (danse originaire de la République dominicaine) pour une spectacle synchronisé au mois d’avril à Paris, dans une chorégraphie sympathique et accessible aux danseurs amateurs, composée par ses soins.
Une tache assez ambitieuse, mais Valéry a déjà une grande expérience en matière de records. Il n’en est pas à son coup d’essai. À Khabarovsk, où il a déménagé de Saint-Pétersbourg, et où il a fondé en 2006 la première école de danse latino de ces contrées, Valéry a réalisé plusieurs flashmob rassemblant des centaines de couples de danseurs. Il a enregistré de 2011 à 2017 six records de Russie et deux records du monde (inscrits dans le livre de Guinness) de danse de couples.
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L’idée d’organiser le premier événement dansant de masse lui est venue spontanément un beau jour ensoleillé à la plage, sous les sons enivrants de la musique latino. Il a lancé un appel auprès des danseurs et des médias locaux, provoquant un effet de boule de neige : les habitants de Khabarovsk de tous âges ont adhéré à l’idée avec beaucoup d’enthousiasme. Résultat : au bout de trois mois et demi d’entraînements et répétitions, 90% des participants de la performance finale étaient des novices, qui n’avaient jamais fait de danse auparavant. Depuis, chaque année, la ville de Khabarovsk enregistre des records en variant les styles : cha-cha-cha, bachata, merengue, swing etc.
À la conquête de la capitale française
L’idée de lancer un défi à la ville de Paris a été soufflée à Valéry par sa professeure de danse, ancienne pétersbourgeoise et actuellement parisienne, Elena. Pourquoi pas, s’est dit Valéry. Douze heures de vol et deux escales plus tard, le voilà mi-août à Paris en train d’enseigner des pas de bachata sur les quais de la Seine et les places parisiennes à tous les volontaires, mobilisés grâce aux réseaux sociaux.
Depuis, le modèle s’est développé. Une salle pour les cours réguliers tous les mardis soir a été louée dans le complexe de l’Hôtel Dieu sur l’île de la Cité et d’autres lieux de répétitions de masse sont prévus. Mais ce qui est plus important, c’est que, trouvant l’idée intéressante, plusieurs professeurs des écoles et clubs de danses latino parisiennes et des banlieues de la capitale ont pris le relais et se sont engagés à apprendre la chorégraphie proposée par Valéry dans leurs établissements.
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Parmi eux Ty, jeune homme passionné de danse, organisateur et promoteur d’événements à ciel ouvert et de festivals, qui propose pendant son temps libre des cours de salsa, de bachata, de kizomba et de tango argentin gratuits dans différents lieux parisiens. Il a trouvé l’idée géniale, d’autant plus que lui-même a déjà songé à organiser un événement [de ce genre] record de danse pour la Rueda de Casino ( salsa cubaine). « Le fait qu’un inconnu débarque de nulle part avec une ambition pareille m’a étonné et au début j’étais très sceptique : pour réussir à monter une affaire de cette envergure à Paris, il faut beaucoup d’ambition et d’énergie. Mais quand j’ai vu Valéry et ce qu’il propose comme chorégraphie, qui est très jolie et malgré sa complexité [accessible aux danseurs débutants], je me suis dit : c’est possible. Voilà un nouveau challenge ».
Ty avait mis de côté l’idée d’organiser un record de danse dans la capitale française suite à [cause de] la multitude d’obstacles administratifs. Une autre difficulté qu’il évoque, c’est la nécessité de mobiliser un certain nombre de professeurs et coaches pour pouvoir préparer un grand nombre de participants et assurer le niveau nécessaire à la validation du record. « Or, à Paris, c’est un peu chacun pour soi et ce serait difficile de se départager les lauriers. L’avantage de Valéry est qu’il est externe et neutre. Il ne risque pas d’attirer la gloire pour lui tout seul, mais peut en faire profiter beaucoup de monde », résume Ty, qui a déjà commencé à entrainer régulièrement les danseurs pendant les cours qu’il donne sur le parvis de la bibliothèque François Mitterrand les jeudi soir avec la complicité de ses deux amis Ilham et Principito.
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Les Parisiens emballés
Nous avons rencontré sur la piste de danse improvisée place de la République Vladimir, un danseur professionnel d’origine russe, qui a fait une longue carrière dans les cabarets parisiens les plus prestigieux. Intrigué, nous lui avons demandé ce qui l'attiré dans cette aventure. « J’ai une école russe de danse classique et dans ma jeunesse nous n’apprenions pas ce genre de danses, comme le bachata, le cha-cha-cha ou la rumba. Depuis que je vis et travaille à Paris, je vois énormément de gens, jeunes et moins jeunes, qui savent et aiment danser les danses de salon. Et moi, le danseur professionnel, j’en suis incapable. Ça fait longtemps que je rêve d’apprendre des danses de rue en couple et c’est une belle occasion. Il y a un proverbe russe : le courage conquiert les villes. Je voudrais souhaiter à Valéry de ne pas se dégonfler et de persister dans son projet. Je pense que pour les Parisiens, c’est assez exotique d’avoir comme prof de danses latino un Russe qui vient d’aussi loin et qui ne parle même pas français. Je trouve ce projet très courageux », a répondu Vladimir.
Pour la même occasion, nous avons rencontré Geneviève, une retraitée, déjà familiarisée avec les danses de salon. Pour elle c’était le premier cours de bachata de sa vie et le premier cours en extérieur. Elle a trouvé l’idée et l’ambiance très sympathiques, malgré les explications en russe avec la traduction improvisée. Geneviève est décidée à aller jusqu’au bout et à participer au spectacle final, même si cela demande du temps et des déplacements depuis la banlieue où elle vit.
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Lors d’une autre séance d’entraînement, cette fois sur le quai Saint-Bernard, nous avons remarqué un couple, qui, en un laps de temps très court, s’est senti très à l’aise avec la séquence de mouvements proposée par le moniteur russe, et s’en donnait à cœur joie, provoquant les regards jaloux des passants. Gilles et Véronique ont appris l’existence du projet de Valéry grâce aux annonces sur Facebook et ont trouvé que vouloir réunir les couples qui aiment la danse dans un projet commun est une idée très attrayante. « Avec un petit peu d’effort, la chorégraphie proposée est à la portée de tout le monde. Je voudrais inviter les autres couples à nous rejoindre et pourquoi pas, à battre le record de nos amis grecs. Il ne faut pas hésiter : la danse c’est la gaité, c’est le partage », assure Véronique pour convaincre les indécis.
À travers les épines vers les étoiles
La complexité de l’affaire consiste à faire réaliser une chorégraphie sans faute et parfaitement synchronisée par au moins 400 couples de danseurs, ayant initialement des niveaux très différents, pour beaucoup – des débutants. Pour arriver à un tel résultat, il faut une bonne dose de rigueur, de régularité et de discipline, ce qui n’est pas une mince affaire, a constaté Valéry. En observant les Parisiens, il a compris que la préparation du record prendrait certainement plusieurs mois, mais cela ne le décourage pas.
Après avoir réuni une équipe qui gérera la suite de l’affaire les mois prochains, Valery est reparti à Khabarovsk, ou sa famille et ses élèves l’attendent avec impatience, pour revenir deux ou trois semaines avant la performance finale afin de peaufiner les derniers détails et d’organiser les dernières répétitions grandeur nature. « Le record inscrit au livre Guinness, n’est pas le but en soi, finalement. Après notre intervention à Paris, je veux emmener les danseurs à Moscou pour réaliser un flashmob franco-russe avec des centaines de Moscovites passionnés par les danses latino. Le championnat du Monde de football a montré que les contacts directs entre les gens de différentes nations et les passions partagées sont les meilleurs garants de la paix », explique Valéry, qui n’est jamais à court d’idées. Il a déjà de nombreux projets en tête, tous plus fantastiques les uns que les autres. Mais étant donnée sa motivation et son énergie débordante, on se dit : pourquoi pas ?