Par un soir d’été pluvieux, des airs de musique résonnent au fin fond d’un parc moscovite. S’échappant d’une petite estrade, les sons d’une clarinette, d’un accordéon et d’une bombarde s’envolent et s’entremêlent pour former des rythmes bien bretons.
« Comme il pleut, tout se déroulera sur scène », explique un homme aux longs cheveux noirs à l’adresse des techniciens, regardant non sans une légère déception les sièges vides aux alentours. Bien qu’il ait été précisé que l’atelier se tiendrait par tout temps, la tempête annoncée risque malheureusement de dissuader le public.
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Mais son inquiétude s’avère vaine. En l’espace de quinze minutes, une vingtaine de personnes de tous âges surgissent les unes après les autres de nulle part et voilà qu’après une brève explication d’Anton, les participants tournoient déjà dans une ronde d’origine médiévale.
Cela fait huit ans qu’Anton enseigne la danse bretonne. Tous les samedis, la salle qu’il loue au centre de Moscou attire aussi bien de fervents passionnés que de simples curieux.
« D’habitude, il s’agit d’entre 5 et 20 personnes, ici, c’est quand-même une passion peu commune. Le programme varie en fonction du public, s’il y a beaucoup de personnes venues au hasard, on interprète des danses basiques, s’il n’y a que des danseurs chevronnés, qui nous fréquentent depuis longtemps, on s’adonne à des danses bien plus complexes », explique-t-il à Russia Beyond.
La culture «celte» pour passion
C’est au milieu des années 1990 qu’un intérêt pour différents folklores a connu son essor en Russie. Durant cette même période, a resurgi l’intérêt pour la culture celte. Comme l’explique le musicien Alexandre, membre de la troupe fondée par Anton, ce n’est que vers les années 2000 qu’en Russie on a commencé à réaliser qu’il n’existait pas de culture celte uniforme et qu’il fallait y distinguer notamment les traditions galloises, irlandaises, bretonnes. Cette dernière a fait écho surtout auprès des Saint-pétersbourgeois – dans la capitale dite du Nord, le nombre de collectifs de musique et de danse bretonnes est plus important qu’à Moscou et que dans les autres villes du pays.
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Le Moscovite Anton a découvert la danse bretonne un peu par hasard – en 2002, alors qu’il pratiquait la danse irlandaise, il a fait la connaissance d’un Breton fréquentant le même studio que lui. « Il m’a montré quelques danses, dont l’an dro. J’ai beaucoup aimé et je m'y suis lancé ».
Mais ce n'est qu'après une décennie que la danse bretonne est devenue son occupation principale. Interrogé sur les raisons de cet intérêt, il confie que, comme toute autre passion, la sienne n’a pas d’explication. « La musique irlandaise m’a ennuyé il y a fort longtemps. Certes, elle est intéressante, mais c’est surtout une question de rythme, quant à la bretonne, j’aime sa mélodie. Je l’aime en outre pour l’expérimentation et la fusion des styles », ajoute-t-il, soulignant la capacité de la danse bretonne à ne pas rester figée dans le folklore et à oser l’évolution.
Pour mieux percer les traditions de cette danse, il s’est même rendu à plusieurs reprises en Bretagne, mais pas pour suivre des cours académiques.
« Je ne suis pas un professeur professionnel, mais plutôt un amateur. J’y suis allé surtout pour rencontrer les locaux et échanger avec eux, mais aussi pour découvrir les traditions de leur danses folkloriques qui unissent des gens différents », résume-t-il.
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Un exemple à suivre
« Ils nous servent d’exemple, chez eux on apprend. Le renouveau du folklore russe est encore en phase embryonnaire de son développement. Et la Bretagne est un endroit où cette renaissance a été un succès », relate Alexandre, l’un des deux joueurs de bombarde de la capitale russe. Les intérêts de ce jeune musicien, journaliste de profession, ne se limitent point à la musique bretonne. Parallèlement, avec le clarinettiste de la troupe, il a en effet élaboré un projet dédié à la musique de différentes régions française, dont l’Auvergne et la Gascogne.
« La combinaison du folklore peut s’inscrire dans la vie moderne, se conjuguer avec la quête créative et, en même temps, rester fonctionnelle et traditionnelle », explique-t-il.
Et de poursuivre que ce qui l’attire davantage c’est que cette musique s’associe facilement avec le jazz et d’autres courants, lui permettant de faire de nouveaux arrangements, d’écrire une musique d’auteur, en puisant son inspiration dans la musique bretonne.
« On ne cherche pas à imiter, résume Anton. Mais à nous baser sur les traditions bretonnes pour nous développer dans notre direction ».
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