Colline de l’Ascension à Ekaterinbourg: un des témoins du destin funeste de la famille impériale

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
Cette grande ville de l’Oural garde le souvenir vivace des événements tragiques qui ont marqué son histoire et celle du pays.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissance est particulièrement bien incarnée à travers ses clichés de monuments architecturaux dans les sites historiques du cœur de la Russie.

En mai 1909, le tsar Nicolas II a convié Sergueï Prokoudine-Gorski à sa résidence d’été de Tsarskoïé Selo. À l’issue de la projection de ses photographies de la Russie, Sergueï Prokoudine-Gorski a reçu le soutien de la cour impériale pour poursuivre ses voyages, ce qui a marqué un tournant décisif dans son travail de documentation.

Au cours de l’été de cette même année, Sergueï Prokoudine-Gorski s’est rendu à Ekaterinbourg, une des principales villes industrielles et administratives de la région de l’Oural, renommée Sverdlovsk entre 1924 et 1991. Il y a réalisé une série de clichés qui constituent aujourd’hui des archives historiques de grande valeur. Sans le savoir, il a immortalisé le lieu où la famille impériale serait exécutée neuf ans plus tard. Le passé mouvementé de ce lieu est raconté à travers les photographies que nous avons prises en 1999, puis au printemps 2017.

La naissance d’Ekaterinbourg: la colline de l’Ascension

Ekaterinbourg a été fondée en 1723 sur ordre de Pierre le Grand, le long de la rivière Isset, selon les plans établis par l’historien et géographe Vassili Tatichtchev et l’ingénieur Georg Wilhem de Gennin. Son nom, signifiant « ville de Catherine », rend hommage à Catherine, la seconde épouse du tsar. À la mort de celui-ci en 1725, elle est devenue la première femme à diriger l’Empire russe.

Les photographies que Sergueï Prokoudine-Gorski a prises à Ekaterinbourg sont particulièrement détaillées. Il les a réalisées depuis la colline de l’Ascension qui surplombe l’étang de la ville. Le site tire son nom de l’église de l’Ascension, l’un des plus anciens monuments encore debout à Ekaterinbourg. Elle est visible à la fois sur la vue d’ensemble de la colline et sur celle prise de manière plus poétique depuis le parc Kharitonov.

Édifiée en 1792, l’église de l’Ascension présente une architecture mêlant des éléments de style baroque et néo-classique, comme beaucoup d’églises provinciales du début du XIXe siècle. Sa partie inférieure, comprenant un autel dédié à la Nativité du Christ, a été consacrée en 1801. La construction de sa partie supérieure s’est poursuivie jusqu’en 1818, lorsque l’autel principal a été consacré. Par la suite, l’église a été agrandie, notamment par l’ajout d’une grande école paroissiale achevée en 1888.

La structure principale de l’église repose sur un plan en carré, surmontée d’un toit en mansarde coiffé d’un dôme unique de style baroque. Ces éléments architecturaux se retrouvent également sur le clocher-tour situé à l’ouest de l’église.

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La maison Ipatiev: récit d’un drame historique

Plusieurs maisons apparaissent au centre de la photographie de 1909 de la colline de l’Ascension, dont la résidence de l’ingénieur Nicolas Ipatiev. Le bâtiment est tristement célèbre pour avoir été le lieu de l’exécution du tsar Nicolas II et de sa famille en juillet 1918.

La maison Ipatiev, construite à flanc de colline à la fin des années 1880 dans un style éclectique, appartenait à un fonctionnaire de la ville qui a été peu de temps après impliqué dans une affaire de corruption. La façade principale, orientée vers l’est en direction de Voznessenky (« Ascension ») prospekt, donne à penser que la maison n’a qu’un seul niveau. Partiellement visible sur la photographie de Sergueï Prokoudine-Gorski, la façade ouest montre que le bâtiment a bien deux niveaux (sans compter les combles). Des fenêtres de la façade ouest s’ouvrait une vue sur l’étang de la ville.

En 1898, la maison a été acquise par un marchand d’or, qui l'a revendue en 1908 à Nicolas Ipatiev, un ingénieur en construction militaire. Celui-ci y a résidé pendant la période révolutionnaire mouvementée de 1917 jusqu'à la fin avril 1918. Par la suite, elle a été réquisitionnée par les autorités locales pour accueillir la famille impériale et ses domestiques, qui étaient alors confinés à Tobolsk en Sibérie depuis près de neuf mois.

Des témoignages attestent que, dans la nuit du 16 au 17 juillet, Nicolas II, son épouse Alexandra Fiodorovna, leurs cinq enfants, ainsi que leur médecin Evgueni Botkine et trois domestiques ont été exécutés dans le sous-sol de la maison Ipatiev. Toutefois, plusieurs détails de cette nuit tragique restent encore controversés.

Lorsque l’Armée blanche s’est emparée d’Ekaterinbourg, un peu plus d’une semaine après, Ipatiev a récupéré sa maison mais a décidé de quitter la ville. En juillet 1919, Ekaterinbourg est tombée à nouveau sous le contrôle de l'Armée rouge. Avec le retour du pouvoir soviétique, l'ancienne maison Ipatiev a été transformée en centre d’archives et en musée, abordant divers thèmes révolutionnaires. Toutefois, les sujets traités variaient souvent en fonction de l’orientation politique du moment. En 1974, le bâtiment a été officiellement classé monument national historique.

En 1975, la maison Ipatiev est devenue un lieu de mémoire pour la famille Romanov, ce qui a alarmé Iouri Andropov, alors président du KGB. Il a convaincu le Politburo de la faire démolir. Bien que les membres du Politburo aient accepté, des discussions ultérieures ont retardé sa destruction jusqu’à fin septembre 1977, date à laquelle la maison a finalement été rasée. À cette époque, Boris Eltsine était le chef du Parti Communiste de la région.

En septembre 1990, les autorités locales ont transféré la propriété du terrain à l’Église orthodoxe russe. Après la dissolution de l’Union soviétique à la fin de l'année 1991, une initiative populaire, soutenue par l'Église, a conduit à l’aménagement d’un lieu de recueillement sur le site de l’ancienne maison Ipatiev. En septembre 1999, nous avons photographié une chapelle en rondins, conçue par Alexandre Dolgov, dédiée à la princesse martyre Élisabeth Fiodorovna et aux nouveaux martyrs de Russie. Nous avons aussi pris des clichés de l’auvent métallique et de la croix d’une chapelle provisoire. Les plans pour la construction d’un lieu de pèlerinage définitif ont été publiés en 1998.

Un hommage au passé

En 2000, un complexe autour de l’église de Tous-les-Saints, également connue sous le nom d’église sur-le-sang-versé-de-tous-les-Saints-resplendissants-de-la-Sainte-Russie, a été construit. Bien que l’église ait été consacrée en 2003, les travaux d’aménagement de son intérieur étaient toujours en cours lors de notre dernière visite en 2017.

Au niveau inférieur, le côté nord du chœur de l’église dédiée aux nouveaux martyrs et confesseurs de l’Église russe se trouve sur une partie du sous-sol où la famille Romanov a été exécutée. Des offices y sont célébrés chaque jour pour honorer sa mémoire.

Non loin du terrain où s’élevait la maison Ipatiev se dresse le palais Rastorgouev-Kharitonov, également photographié par Sergueï Prokoudine-Gorski. Édifié par Lev Ivanovitch Rastorgouev, marchand d’or et propriétaire d’usines, ce palais est considéré comme le monument de style néo-classique le plus remarquable d’Ekaterinbourg.

À sa mort en 1823, le palais a été légué à son gendre, Pierre Kharitonov, un homme cruel. En raison des traitements brutaux qu’il infligeait à ses ouvriers, Kharitonov a été exilé en 1837 en Finlande, où il est mort l’année suivante. En l’absence d’accord entre ses héritiers, la propriété du palais a été transférée à l’État. En 1937, l’édifice a été aménagé en Palais des pionniers, dont l’utilisation s’est maintenue même après la chute du régime soviétique.

La construction de la structure principale du palais Rastorgouev-Kharitonov, débutée en 1794, s’est poursuivie jusqu’en 1824 avec l’ajout de plusieurs ailes attenantes. Cette même année, le tsar Alexandre Ier a séjourné dans ce palais somptueux lors de sa première visite à Ekaterinbourg. De rares documents en attribuent les plans au célèbre architecte originaire de la région Mikhaïl Malakhov et à Tommaso Adamini. Celui-ci est notamment connu pour avoir collaboré avec l’architecte Giacomo Quarenghi lors de la construction de Saint-Pétersbourg.

La façade principale du palais, ornée d’un portique hexastyle d’ordre corinthien, donne sur la place de l’Ascension, qui s’étend jusqu’au grand clocher-tour de l’église de l’Ascension. La façade latérale du palais, qui épouse la pente faible de la colline en contrebas de la place, est particulièrement remarquable. Elle combine habilement plusieurs éléments architecturaux : un portique corinthien en forme de temple avec un fronton dissimulant l’aile arrière de la résidence principale, ainsi qu’un grand portail encadré de baies.

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Tous ces éléments renforcent cette impression qu’une « acropole » de style classique repose au sommet de la colline. Il n’existe aucun autre ensemble architectural similaire en Russie. Nous avons photographié ce palais et ses alentours depuis un grand bâtiment situé de l’autre côté de l’étang.

Les photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski et les nôtres, prises à plusieurs décennies d’intervalle, révèlent que, malgré les nombreux changements, l'architecture de la colline de l’Ascension est un véritable musée à ciel ouvert. Elle témoigne de l’histoire à la fois spectaculaire et tragique, d’Ekaterinbourg et, plus largement, de la Russie entière.

*À l’aube du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Celui-ci consistait à utiliser une triple exposition sur des plaques en verre. Entre 1903 et 1916, Sergueï Prokoudine-Gorski sillonna l’Empire russe et immortalisa plus de 2 000 clichés en utilisant ce procédé. En août 1918, il quitta la Russie en emportant une grande partie de sa collection de plaques négatives et s’installa définitivement en France. À sa mort en 1944, ses héritiers vendirent cette collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, qui la numérisa et la publia en libre accès au début des années 2000. Elle est également disponible sur plusieurs sites internet russes. En 1986, William Brumfield, historien de l’architecture russe et photographe, organisa à la Bibliothèque du Congrès, la première exposition consacrée aux tirages photographiques de Sergueï Prokoudine-Gorski. Au début des années 1970, en URSS, William Brumfield marcha dans les pas de Sergueï Prokoudine-Gorski en tant que photographe d’architecture. Cette série d’articles met en parallèle les clichés des monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.

Dans cette autre publication, découvrez les cinq destinations préférées en Russie du professeur américain William Brumfield.

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