À la découverte de Kargopol, un des joyaux de la Russie septentrionale 

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
Kargopol est l’une des perles architecturales les plus précieuses du Nord de la Russie. En flânant dans la ville, on y découvre le charme indéniable de ses maisons traditionnelles en bois et en brique. Bien que les chambranles des fenêtres ne soient pas aussi ornés que ceux du centre de la Russie, les éléments décoratifs et les proportions des habitations témoignent d’une sensibilité artistique profondément ancrée dans la communauté de marchands, d’artisans et d’érudits qui ont façonné la ville.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Désireux d’expérimenter cette nouvelle méthode pour documenter la diversité culturelle de l’Empire russe, il a photographié de nombreux sites historiques au début du XXe siècle, quelque temps avant l’abdication du tsar Nicolas II en 1917.

Monastère de la Transfiguration du Sauveur des Solovki

Le monastère de la Transfiguration du Sauveur des Solovki, situé sur la grande île de cet archipel du sud-ouest de la mer Blanche, est l’un des endroits les plus reculés que Sergueï Prokoudine-Gorski a photographiés. À l’été 1916, alors que la Première Guerre mondiale faisait rage en Europe, Sergueï Prokoudine-Gorski a visité ces îles où il a immortalisé le monastère et ses alentours à travers 20 clichés.

Le monastère de la Transfiguration a été fondé dans les années 1430 par les moines Zosime et Sabbatios. La spacieuse église de la Transfiguration a été construite au milieu du XVIe siècle. La supervision des travaux a été assurée par l’higoumène Philippe, né Fiodor Kolytchev, un moine moscovite d’origine noble. À la fin des années 1560, son opposition ouverte à l’Opritchnina, la politique répressive d’Ivan le Terrible, lui a valu d’être privé de sa dignité épiscopale puis envoyé en réclusion au monastère de la Dormition de Tver où il a été assassiné en 1569. Néanmoins, le monastère des Solovki a continué à se développer rapidement jusqu’à la fin du XVIe siècle, époque de laquelle date l’érection de nouvelles églises et d’autres bâtiments.

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Un haut lieu du commerce

À la même période, Kargopol, située dans le sud-ouest de la région d’Arkhangelsk au bord du fleuve Onega, près des îles Solovki, a prospéré principalement grâce au commerce du sel marin, qui la liait étroitement au monastère de la Transfiguration. Bien que Kargopol soit aujourd’hui une petite ville de 9 000 habitants, la majesté de son église principale et des bâtiments qui l’entourent témoigne de l’importance qu’elle avait dans le passé.

La question de l’origine et de la toponymie de Kargopol reste controversée aujourd’hui encore. Toutefois, il est établi qu’elle est l’une des plus anciennes colonies du Nord de la Russie, probablement fondée à l’aube du XIe siècle. Son emplacement stratégique, près du lac Latcha à la source du fleuve Onega, a éveillé l’intérêt des principautés avoisinantes telles que Beloozero et Vologda, ainsi que de la République de Novgorod qui dominait largement la région au début de la période médiévale.

Les origines de Kargopol

Les premières mentions de la ville remontent en 1380, lorsque le prince Gleb de Kargopol a combattu sous les bannières du grand-prince de Moscou Dimitri Ier, lors de la bataille de Koulikovo, qui s’est achevée par une victoire inespérée sur les Mongols. D’autres références à la ville apparaissent plus tard dans des sources écrites datant du milieu du XVe siècle.

À la fin du XVe siècle, après la conquête de la République de Novgorod par la grande-principauté de Moscou, Kargopol et sa région ont été rattachées aux terres d’Ivan III. Dans les années 1560, sous le règne d’Ivan IV le Terrible, Kargopol s’est imposée comme une ville marchande importante, bénéficiant de privilèges économiques attractifs, notamment pour le commerce du sel.

Les routes commerciales longeant le fleuve Onega jusqu’à la mer Blanche ont depuis longtemps perdu de leur importance et le sel n’est plus la principale ressource de la région. Cependant, le patrimoine remarquable des églises en pierre blanche de Kargopol témoigne du prestige qu’elle a eu dans le passé. Leurs dimensions impressionnent autant aujourd’hui qu’il y a quatre ou cinq siècles.

L’église de Catherine la Grande

En 1765, un terrible incendie a détruit une grande partie de la ville, endommageant gravement ses églises en maçonnerie. La ville a été reconstruite selon un plan en damier régulier établi sous le règne de Catherine la Grande. Pour prévenir de futurs incendies et offrir une vue dégagée, notamment à partir du fleuve Onega, sur les imposantes églises en pierre blanche, la construction de maisons en rondins de bois à proximité de celles-ci a été strictement interdite.

Au cœur de la ville, l’église de la Nativité-du-Christ, commencée en 1552 et achevée dix ans plus tard, est le monument architectural le plus ancien et le plus emblématique de Kargopol. L’utilisation abondante de pierres blanches extraites dans la région pour la construction de sa structure porteuse la distingue nettement des autres édifices.

Son style architectural est probablement inspiré de celui de Novgorod-le-Grand, qui a fortement influencé l’architecture religieuse de la Russie septentrionale au XVIe siècle. Le bâtiment originel a deux niveaux : au rez-de-chaussée se trouve une église dont les voûtes supportent l’étage. Il y a trois autels devant lesquels étaient célébrés les offices durant les longs mois d’hiver. L’église située au niveau supérieur était quant à elle réservée aux offices célébrés pendant l’été.

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Une architecture en évolution

Depuis le XVIe siècle, l’architecture de l’église a évolué de manière significative. En 1652, la chapelle des Saints-Philippe-et-Alexis, avec son porche surélevé et ses escaliers latéraux, a été adjointe à la façade nord. Peu après, une chapelle similaire, consacrée à la Miséricorde divine, a été érigée contre la façade sud.

Un grand porche et un escalier ont été construits devant l’entrée principale sur la façade ouest. S’ils ont modifié le plan de l’église, ces ajouts ont aussi dissimulé en partie la structure originelle, qui, au fil des siècles, s’est enfoncée dans le sol d’au moins un mètre, en raison de l’accumulation de terre autour d’elle.

L’incendie dévastateur de 1765 a provoqué des fissures dans les murs de l’église de la Nativité-du-Christ. Par chance, les autorités locales ont décidé de la préserver en renforçant les angles de ses façades avec de robustes contreforts. De ce fait, l’imposante église blanche, avec ses cinq bulbes, semblealourdie de toutes parts.

Un intérieur richement décoré

Les fresques murales qui ornaient l’intérieur de l’église ont été gravement endommagées par l’incendie. Celles qui ont échappé aux flammes et à la fumée ont été exposées aux éléments naturels parce que le toit, dont les dômes en bois avaient aussi brûlé, est resté délabré pendant cinq ans. Aujourd’hui, les murs sont enduits de blanc de chaux. Il ne reste qu’un petit fragment des fresques d’origine sur le mur ouest.

Une magnifique iconostase en bois, sculptée et peinte de couleurs vives lors de la restauration de l’église à la fin du XVIIIe siècle, domine son vaste intérieur. Elle se trouve devant l’autel principal, à l’est, conformément aux traditions orthodoxes. Composée de cinq registres d’icônes, elle s’élève de celui des grandes icônes (ou registre local) à ceux des fêtes et de la déisis. Au centre, une représentation en pied du Christ en gloire se distingue, tandis que les deux registres supérieurs, ceux des prophètes et des patriarches, forment le point culminant de l’iconostase. Un grand crucifix peint couronne l’ensemble.

L’accès au chœur principal se fait par la Porte royale, richement décorée, qui se trouve au centre du registre des grandes icônes. Une icône de la Nativité datant du XVIe siècle, désormais conservée au Musée russe à Saint-Pétersbourg, a longtemps appartenu à ce registre inférieur. La préservation intacte de ces impressionnantes rangées d’icônes, dont la plupart datent de la fin du XVIIIe siècle, semble relever du miracle.

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« Une nouvelle Place du Commerce »

Lors du réaménagement du plan de la ville après l’incendie de 1765, l’espace autour l’église a été libéré pour former ce qui est aujourd’hui la nouvelle Place du Commerce (ou Place des Églises). Celle-ci est délimitée au nord-est par l’église de la Nativité-de-Saint-Jean-Baptiste, construite entre 1740 et 1751. Modeste et austère, elle surplombe le paysage environnant avec ses dômes élancés de style baroque.

Un clocher-tour de trois étages domine le centre de la place. Sa construction, commencée en 1767 par Iakov Sivers, gouverneur de la région de Novgorod, était destinée à symboliser la renaissance de la ville après le terrible l’incendie qui l’avait dévastée.

Ce monument, intégrant des éléments baroques et néo-classiques, a été construit en l’honneur de Catherine la Grande, qui n’a jamais visité Kargopol. L’érection du clocher-tour, réalisée entre 1772 et 1778, a été retardée en raison des difficultés à obtenir des matériaux appropriés pour un projet de cette ampleur. Une fois terminé, l’édifice a servi de repère aux habitants de Kargopol, facilitant leur orientation tant dans les rues principales que le long du fleuve Onega.

Préserver le passé

Au nord-ouest de la Place des Églises, celle de la Présentation-de-la-Vierge-au-Temple a été construite entre 1802 et 1808, dans un style austère et archaïque qui complète harmonieusement les autres édifices de cet ensemble architectural. Aujourd’hui, l’église a été réaménagée en galerie d’art où sont exposées des œuvres d’artistes locaux et des objets d’artisanat traditionnel.

En dehors de la Place des Églises, Kargopol a également conservé plusieurs églises de quartiers datant du XVIIe au début du XIXe siècles, ainsi que des maisons traditionnelles en bois et en brique de cette même période. Ces monuments d’architecture sont des vestiges précieux d’une époque où Kargopol était le centre du commerce du Nord de la Russie.

*À l’aube du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Celui-ci consistait à utiliser une triple exposition sur des plaques en verre. Entre 1903 et 1916, Sergueï Prokoudine-Gorski sillonna l’Empire russe et immortalisa plus de 2 000 clichés en utilisant ce procédé. En août 1918, il quitta la Russie en emportant une grande partie de sa collection de plaques négatives et s’installa définitivement en France. À sa mort en 1944, ses héritiers vendirent cette collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, qui la numérisa et la publia en libre accès au début des années 2000. Elle est également disponible sur plusieurs sites internet russes. En 1986, William Brumfield, historien de l’architecture russe et photographe, organisa à la Bibliothèque du Congrès, la première exposition consacrée aux tirages photographiques de Sergueï Prokoudine-Gorski. Au début des années 1970, en URSS, Brumfield marcha dans les pas de Sergueï Prokoudine-Gorski en tant que photographe d’architecture. Cette série d’articles met en parallèle les clichés des monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.

Dans cette autre publication, William Brumfield nous emmène à la découverte du monument le plus célèbre de Russie, la cathédrale Saint-Basile.

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