Monastère des Saints-Boris-et-Gleb à Torjok: hommage néo-classique aux deux martyrs du XIe siècle

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
Cet ensemble de style néo-classique, situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Tver sur la route de Novgorod-le-Grand, impressionne par son architecture imposante.

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Photographies réalisées par Sergueï Prokoudine-Gorski et William Brumfield

Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissance est particulièrement bien incarnée dans ses clichés de monuments architecturaux dans les sites historiques du cœur de la Russie.

Au cours des excursions qu’il a faites dans la région de la Volga supérieure pendant l’été 1910, Sergueï Prokoudine-Gorski a réalisé de nombreuses photographies de la ville de Torjok, célèbre pour son ensemble architectural de style néo-classique. Grâce à position géographique avantageuse sur la rivière Tvertsa, affluent gauche de la Volga , Torjok est devenue rapidement après sa fondation l’un des plus importants centres du commerce en Russie. Le nom de la ville tire d’ailleurs son origine du mot russe торг (torg) qui signifie « commerce ».

La première mention de cette ville date de 1138, mais les traces de peuplement les plus anciennes remonteraient au Xe siècle. Torjok était considérée comme un avant-poste de Novgorod-le-Grand, une ville marchande très prospère à l’époque médiévale. La grande-principauté de Moscou a mis fin à l’indépendance de la République de Novgorod dans les années 1480. En 1478, la ville de Torjok a été rattachée aux possessions du grand-prince moscovite Ivan III, surnommé Ivan le Grand et considéré par l’historiographie comme le premier « rassembleur des terres russes » .

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Un monastère consacré à deux martyrs

Le monastère des Saints-Boris-et-Gleb, perché sur la rive droite escarpée de la Tvertsa, domine le paysage de la ville historique de Torjok. Le monument a été capturé à plusieurs reprises par l’objectif de Sergueï Prokoudine-Gorski. Les archives ecclésiastiques du XVIIe siècle mentionnent que le monastère a été fondé en 1038 par le boyard Éphraïm de de Novy Torg, ancien écuyer du grand-prince Vladimir Ier. En 988, celui-ci avait fait le choix pour lui-même et le peuple de la Rus’ de Kiev du christianisme de rite byzantin. À sa mort en 1015, une lutte pour le pouvoir avait éclaté entre ses nombreux fils. Parmi eux, Sviatopolk Ier, surnommé le Maudit, aurait commandité l’assassinat de trois de ses frères, dont Boris et Gleb. Selon les récits de l’Église, Boris et Gleb s’étaient soumis à la volonté divine en  acceptant le sort funeste qui les attendait plutôt qu’en tentant de résister à Sviatopolk. Par la suite, il avait brièvement régné sur la Rus’ de Kiev avant d’être renversé par son demi-frère Iaroslav le Sage en 1019, après une longue période de conflit. La canonisation de Boris et Gleb en 1071 a  fait d’eux les premiers martyrs de l’Église orthodoxe russe.

Éphraïm de Novi Torg, inspiré par l’histoire de Boris et Gleb, s’est rendu dans la région de Torjok où il s’est consacré à des œuvres caritatives avant de fonder la communauté monastique dans laquelle il a vécu jusqu’à sa mort en 1053. Il a été aidé dans ce projet par son disciple Arkadi de Novitorg.

Initialement construit en bois, le monastère des Saints-Boris-et-Gleb a été mis à sac par les forces polonaises pendant la période du Temps des Troubles en 1606 . À la fin du XVIIe siècle, le monastère comptait quelques bâtiments en brique, dont l’église de la Présentation-de-Jésus-au-Temple (récemment restaurée). Commencés au début du XVIIIe siècle, les travaux de construction de l’église de l’Entrée-de-Jésus-à-Jérusalem  ont été achevés en 1717.

Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, sous le règne de Catherine la Grande, le monastère a bénéficié d’un plus grand soutien, en partie grâce aux visites de nombreuses personnalités illustres voyageant entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Le soutien de la cour impériale a également joué un rôle déterminant dans cette évolution.

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Une restauration de style néo-classique

En 1785, les travaux de restauration ont été principalement axés sur la reconstruction de l’église des Saints-Boris-et-Gleb, l’église principale du monastère, grâce au soutien important de l’impératrice Catherine la Grande. Le projet a été confié à Nicolas Lvov, l’architecte le plus réputé de l’époque. Consacrée en 1796, cette église est un joyau de l’architecture néo-classique russe. L’esthétique des grandes églises néo-classiques conçues par Nicolas Lvov est fortement influencée par le travail d’Andrea Palladio, maître italien qu’il admirait et dont il avait eu l’occasion d’étudier les œuvres en Italie.

Cette église se distingue par ses proportions harmonieuses remarquables, comme en témoignent les photographies que nous avons prises en 2010. Les portiques hexastyles d’ordre toscan des façades nord et sud de l’église sont contrebalancés par les loggias (également d’ordre toscan) des façades est et ouest. Les colonnes sont faites en pierre blanche provenant de la région. Les frontons au sommet de chaque façade orientent le regard vers le dôme principal, qui repose sur un plan carré aux angles biseautés et aux fenêtres divisées en trois baies, également connues sous le nom de fenêtres palladiennes.

L’intérieur de l’église, que Sergueï Prokoudine-Gorski n’a pas photographié, est tout aussi impressionnant avec ses colonnes et piles néo-classiques s’élevant jusqu’à la coupole centrale, le tout décoré dans le style Renaissance. Pendant la période soviétique, lorsque le monastère était utilisé comme prison, l’intérieur de cette église a été endommagé. Les travaux de restauration ont débuté seulement après que le monastère a été transféré au musée d’Histoire de la ville. Il est désormais la propriété de l’Église orthodoxe, mais la collecte des fonds nécessaires pour restaurer l’intérieur de l’église reste un défi.

Au XIXe siècle, la construction de l’église de l’Icône-miraculeuse-du-Sauveur, édifiée au-dessus de la Porte Sainte, l’entrée principale du monastère, témoignait de la prospérité du monastère. Construite dans un style néo-classique entre 1804 et 1811, cette église incarne parfaitement la symétrie typique de l’architecture classique. Sa conception est en partie attribuée à Nicolas Lvov, bien que sa construction ait été supervisée par l’architecte Iakov Ananine. Les photographies, prises avec soin par Sergueï Prokoudine-Gorski, montrent l’église surmontée d’un clocher-tour, l’un des monuments les plus emblématiques de Torjok. Une autre de ses photographies met en évidence le niveau inférieur de l’église, décoré de marbrures distinctives sur le stuc extérieur. Malheureusement, comme on le constate sur nos clichés de 2010, ce revêtement a depuis disparu.

L’ensemble architectural de style néo-classique est complété par la tour de la bibliothèque, surnommée « Chandelle », richement colorée, qui se trouve à l’angle nord-est des murs d’enceinte du monastère. Érigée dans un style médiéval éclectique dans les années 1880, la tour a été ajoutée par Stéphane Grebenchtchikov, un architecte originaire de la région, lorsque les murs d’enceinte du monastère étaient en cours de reconstruction. Dans les années 1980, le niveau supérieur de la tour a été restauré et peint avec des couleurs vives. Bien que l’ancien monastère ait connu un sort malheureux au cours du XXe siècle, la comparaison des photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski prises en  1910 et de celles que nous avons faites en 1995  et 2010 montrent que la structure extérieure de cet ensemble architectural imposant a été préservée. 

*À l’aube du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Celui-ci consistait à utiliser une triple exposition sur des plaques en verre. Entre 1903 et 1916, Prokoudine-Gorski sillonna l’Empire russe et immortalisa plus de 2 000 clichés en utilisant ce procédé. En août 1918, il quitta la Russie en emportant une grande partie de sa collection de plaques négatives et s’installa définitivement en France. À sa mort en 1944, ses héritiers vendirent cette collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, qui la numérisa et la publia en libre accès au début des années 2000. Elle est également disponible sur plusieurs sites internet russes. En 1986, William Brumfield, historien de l’architecture russe et photographe, organisa à la Bibliothèque du Congrès, la première exposition consacrée aux tirages photographiques de Prokoudine-Gorski. Au début des années 1970, en URSS, Brumfield marcha dans les pas de Prokoudine-Gorski en tant que photographe d’architecture. Cette série d’articles met en parallèle les clichés des monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.

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