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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un procédé complexe permettant de réaliser des photographies en couleurs vives et détaillées. Son approche de la photographie, qu’il percevait comme une forme d'éducation et d’éveil, s’illustre avec une clarté particulière à travers ses photographies de monuments architecturaux sur des sites historiques du cœur de la Russie.
Le superbe dossier architectural réalisé par Prokoudine-Gorski comprenait non seulement des cathédrales et des monastères anciens, mais aussi des structures en bois local parmi lesquelles, de manière assez surprenante, figuraient des moulins à vent. Souvent associés aux Pays-Bas, ils étaient répartis sur un vaste territoire en Europe et en Russie, où un terrain relativement plat rendait souvent les moulins à eau moins pratiques.
Prokoudine-Gorski a photographié l'un des premiers types de moulins à vent à deux endroits très différents : près de Tcherepovets, dans la province de Vologda, dans le nord-ouest de la Russie, et à Ialoutorovsk, dans la province de Tioumen en Sibérie occidentale. Bien que ceux qu'il a vus n'aient pas survécu, j'ai trouvé des moulins à vent très similaires lors de mon travail dans le Grand Nord près du cercle polaire arctique.
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Des prises de vue techniques aux scènes bucoliques
En 1903, Prokoudine-Gorski avait déjà réalisé des miracles en voyageant avec un appareil photo encombrant et de lourdes plaques de verre qui nécessitaient un traitement peu de temps après l'exposition. Pourtant, se rendre sur les sites reculés prévus dans son grand projet nécessitait une aide supplémentaire. Après avoir montré une sélection de ses diapositives en couleurs au tsar Nicolas II en mai 1909, il a obtienu l'autorisation officielle de réaliser son projet avec le soutien de l'État.
Concrètement, la plus grande contribution est venue du ministère des Transports, qui a fourni un soutien logistique crucial pour ses déplacements pénibles. En retour, le ministère l'a chargé de photographier les améliorations réalisées au sein d'un réseau de canaux et de voies ferrées en pleine expansion.
En juin et juillet 1909, Prokoudine-Gorski a voyagé le long de la voie navigable Marinski dans le nord-ouest de la Russie. Cette voie était liée au développement de Saint-Pétersbourg, fondée en 1703 et devenue capitale de la Russie en 1712. Le système constitué par la voie navigable Marinski s'étendait du fleuve Neva à Saint-Pétersbourg en passant par les lacs Ladoga et Onega jusqu'au lac Blanc, qui est drainé par la rivière Cheksna, cette dernière fusionnant avec la Volga à Rybinsk.
Les nombreuses photographies de Prokoudine-Gorski le long de la Cheksna comprenaient des vues techniques d'opérations de dragage et d'installations hydrauliques, mais il a également photographié des scènes bucoliques avec des paysans pendant les récoltes d'été, des clichés sur lesquels le temps semble s'être arrêté. Ces vues incluent des champs de seigle près de ce qui était le village de Leouchino, l'emplacement de l'un des plus grands couvents de Russie.
Un type différent de moulin à vent
Au milieu d’un champ de seigle, Prokoudine-Gorski a photographié deux structures qui ressemblent à des moulins à vent. En effet, il s'agit d'un type de moulin sur pivot (stolbovka en russe), la plus ancienne forme connue de moulin à vent vertical.
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On considère que les moulins à vent verticaux sont nés au XIIe siècle dans le nord-ouest de l'Europe, où ils étaient utilisés pour moudre le grain. Au XVe siècle (voire avant), ils sont apparus dans les régions céréalières de la Russie.
Dans la version la plus courante, la partie supérieure de la structure avec l'appareil de broyage était élevée sur une haute base en rondins, ou « berceau ». Cette partie supérieure pouvait tourner autour d'un pivot central (d'où le nom) pour capter les vents dominants qui actionnaient les pales et faisaient bouger les meules. La position de la structure supérieure était stabilisée par des poutres attachées qui s'inclinaient vers le sol.
La petite taille de la structure supérieure pouvait accueillir les machines de broyage, mais pas grand-chose de plus. Le grain moulu était descendu par un escalier suspendu et stocké dans une grange voisine.
En 1964, Leouchino et ses environs, y compris le couvent Saint-Jean-Baptiste, ont été submergés lors du remplissage du réservoir de Cheksna, créé pour la navigation et l'énergie hydroélectrique dans le cadre de l'énorme voie navigable Volga-Baltique. S'ils ne s'étaient pas déjà effondrés, les moulins à vent photographiés par Prokoudine-Gorski ont alors été emportés.
À mon grand étonnement, je suis cependant tombé sur des moulins à vent similaires en photographiant pendant l'hiver et l'été 2000 dans le village nordique de Kimja, près de la rivière Mezen et du cercle polaire arctique. Même aussi loin au nord, il était possible de cultiver des céréales d'hiver résistantes.
La structure de l'un des moulins de Kimja a été en grande partie conservée, malgré l’absence des pales. Dans une des vues, l'arbre horizontal qui reliait les lames à l'appareil de meulage est visible. La moitié de la structure supérieure d'un deuxième moulin avait quant à elle disparu (ces moulins ont été récemment restaurés partiellement).
Une découverte en Sibérie
Fait remarquable, Prokoudine-Gorski a photographié un groupe mieux préservé de moulins à vent sur pivot au cours d'une campagne de juin 1912 en Sibérie occidentale, dans le cadre d'une commission visant à documenter la voie navigable Kama-Tobolsk, un canal de liaison entre les côtés européen et asiatique des monts Oural. Ses principaux objectifs étaient les villes de Tioumen et Tobolsk, sur la rivière Irtych.
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Il a également travaillé dans la région de la ville de Ialoutorovsk, où un important pont ferroviaire traversait la rivière Tobol (en tant que maillon d'une nouvelle grande ligne construite en 1912 pour augmenter l'efficacité du chemin de fer transsibérien.) Dans la campagne voisine, il a photographié un groupe de quatre moulins sur pivot, dont un à six pales.
Moulins à vent plus traditionnels
En raison de sa fascination évidente pour les moulins sur pivot, Prokoudine-Gorski n'a apparemment pas photographié d'autres types de moulins à vent également répandus en Russie. Dans le cadre de mon travail de terrain, j'en ai vu plusieurs exemples, certains dans des musées en plein air, d'autres à leur emplacement d'origine.
Le plus grand musée en plein air de ce type - Malié Korely, près d'Arkhangelsk - présente un exemple de moulins sur pivot dans lequel la structure tournante repose sur un cadre bas plutôt que sur un berceau élevé. Le dispositif de broyage est relativement bien conservé à l'intérieur de cet exemplaire, originaire du village de Kalgatchikha.
Un exemple plus avancé de moulin à vent était le moulin sur tour dans lequel le chapeau mobile, qui contient un arbre horizontal supportant les pales, repose sur une tourelle fermée. En Europe, il existe de nombreux exemplaires de ce type, qui peuvent être utilisés aussi bien pour le pompage que pour le broyage.
En Russie, j'ai photographié des moulins sur tour conformes à un type connu sous le nom de moulin « pentus » ou en « tablier », dans lequel la partie principale - souvent octogonale - s'évase vers le bas dans une structure à ossature de bois recouverte de planches ou de bardeaux (le « tablier »). Le musée en plein air de l'architecture en bois de Souzdal (l'un des premiers musées de ce type en Russie) possède un exemple bien restauré issu du village de Mochok. J'en ai également trouvé un exemple rare, bien que dans un état d'abandon, dans le village abandonné de Zakharivo, dans le nord de la province de Iaroslavl, sur la route de Rybinsk.
Parmi mes préférés, il y a deux moulins sur tour dans les environs de Novgorod. Le premier, revêtu de bardeaux de tremble et à l'apparence fantastique, se tenait toujours avec ses pales sur le site d'origine près de Monastère de la Trinité Saint Mikhaïl-Klopski. Je l'ai photographié de tous les côtés.
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Le deuxième moulin, érigé à l'origine dans le village de Ladochtchina dans les années 1920, venait d'être restauré au musée d'architecture en bois Vitoslavlitsy de Novgorod lorsque je l'ai photographié en octobre 1971. La couleur plus claire des pièces remplacées (comme les bardeaux de tremble) indique la nouveauté de la restauration. (À partir de 2018, le moulin a subi une restauration qui comprenait le remplacement de la machinerie.)
Je suis très fier de cette photographie de moulin à vent prise il y a 50 ans avec un petit appareil photo Konica. N'ayant aucune idée de mon vaste projet photographique qui se déroulerait au fil des ans, je me tenais juste là, au milieu d’un champ boueux, appréhendant cet objet et capturant la faible lumière du soleil à la fin d'une journée d'automne orageuse.
Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIesiècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.