Les fresques du monastère Saint-Cyrille-Belozersk, ce trésor unique du Nord de la Russie

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
L’historien et photographe américain William Brumfield explore des lieux russes éloignés et nous les fait découvrir.

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Chaque été, des milliers de touristes visitent le monastère Saint-Cyrille-Belozersk en croisière. Situé sur les rives du lac de Siversk, c’est l’un des monuments russes les plus frappants avec son enceinte massive, ses clochers de brique et son large éventail d’églises. Il y a plus de 100 ans, il impressionnait déjà Sergueï Prokoudine-Gorski, photographe et chimiste russe qui s’y est rendu à l’été 1909 avec le soutien financier du ministère des Transports.

Il y a notamment photographié, depuis la berge sud du lac, un cycle de fresques représentant une vision apocalyptique saisissante. L’apparence du monastère ne semble pas avoir beaucoup changé depuis.

Un élément important de la grande-principauté de Moscou

On peut se poser cette question : pourquoi un si grand monastère existe si loin de tout, dans le Grand Nord russe ? Avec le retour du monachisme au XIVe siècle, sous la supervision de Serge de Radonège, saint russe vénéré, les premiers moines cherchaient à s’installer dans des lieux reculés afin de tester leur foi et leur détermination. Les princes de Moscou soutenaient leurs efforts, ce qui a non seulement permis de diffuser la foi orthodoxe à travers le pays, mais également de consolider l’expansion territoriale de la grande-principauté vers les riches forêts du nord.

Le monastère a vu le jour en 1397, lorsque le moine Cyrille (Kirill) de Belozersk (1337-1427) est arrivé au lac de Siversk et s’est aménagé un habitat souterrain. Il a prononcé ses vœux monastiques au monastère Simonov de Moscou et est devenu un disciple de Serge de Radonège, qui l’encourageait dans sa détermination. Inspiré par une vision de la Vierge Marie, il s’est rendu au lac Beloïe, puis au lac de Siversk.

Le moine Ferapont, qui a ensuite fondé une communauté monastique sur le lac voisin de Borodavo, l’a rejoint l’année suivante. Le noyau du monastère s’est rapidement formé, et Cyrille l’a dédié à la Dormition de Marie, mère de Jésus. Le moine a ensuite été canonisé par l’Église orthodoxe en 1547.

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Au début du XVe siècle, le monastère Saint-Cyrille-Belozersk a joué un rôle important dans le maintien de la stabilité dynastique, alors troublée. Il a donc reçu des dons qui en ont fait, au XVIe siècle, l’un des plus larges de l’État, juste après la laure de la Trinité-Saint-Serge, près de Moscou.

Les transformations au fil des siècles

Au premier siècle de son existence, le monastère de la Dormition était entièrement fait de bois. À l’été 1496, un maître d’œuvre de Rostov, appelé Prokhor, aidé de 20 maçons, a reconstruit l’église principale du monastère en briques.

Du XVIe au XVIIIe siècles, la cathédrale de la Dormition a quelque peu changé : trois petites églises ont été construites aux coins du mur Est de la cathédrale, qui entourait l’autel principal. Depuis l’angle nord-est, on peut donc voir la petite église de Saint Vladimir (1554), qui servait de chambre mortuaire pour la famille princière des Vorotinski, l’église de Saint Épiphane de Chypre, adjointe en 1645 à la façade nord de l’église de Saint Vladimir et qui servait de chambre funéraire à la famille princière Teliatevski, et enfin l’église dédiée à Saint Cyrille, construite en 1585 sur sa tombe et reconstruite de 1781 à 1784.

Les changements les plus significatifs ont eu lieu au XVIIIe siècle, lorsque les pignons décoratifs ont été remplacés par un toit à quatre pans. Malgré toutes ces modifications, l’apparence initiale du monastère a survécu et nous donne de nombreuses informations sur la construction et les capacités de conception des maçons du nord du pays au début du XVIe siècle.

Étrangement, on n’a aujourd’hui aucune photographie de Prokoudine-Gorski de l’extérieur de la cathédrale de la Dormition, alors qu’il a photographié de nombreuses structures du monastère. On peut seulement la voir, au loin, sur un cliché où il montre l’ensemble du monastère. Il a toutefois photographié deux structures adjacentes : l’église de Saint Cyrille et le mur nord de l’église de l’archange Gabriel.

En 1641, un groupe d’artistes supervisé par Lioubim Agueïev, maître peintre de Kostroma, a peint des fresques sur les murs intérieurs principaux de la cathédrale. Bien qu’elles aient été recouvertes, surtout au XIXe siècle, une grande partie de ces œuvres originales a été restaurée.

La galerie nord est cependant un cas à part : en 1595-1596, une galerie fermée d’un étage a été ajoutée aux façades nord et ouest de la cathédrale. Bien que la galerie ouest ait depuis été remplacée, celle au nord est restée et sert d’entrée à l’église de Saint Vladimir. Grâce à elle, on dispose aujourd’hui de certaines des fresques médiévales russes les plus éclatantes.

Peintes à la fin du XVIe siècle, les fresques de la galerie nord ont été remplacées dans les années 1650 par des peintures attribuées à un groupe de maîtres peintres de Iaroslavl. Ces fresques incluent un cycle dédié à l’Apocalypse biblique, au milieu de nombreuses scènes.

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L’art de la destruction

Prokoudine-Gorski a été attiré par un endroit particulièrement saisissant de la fresque, la Chute de Babylone (Chapitre 18 du Livre de l’Apocalypse). La peinture se trouve entre l’entrée de l’église Saint-Vladimir et l’accès nord de l’espace principal de la cathédrale.

Sur la photo : Monastère Saint-Cyrille-Belozersk. Cathédrale de la Dormition, galerie nord. Mur Est avec fresque représentant le Christ et 24 anciens le vénérant. Au-dessus de l’entrée de l’église de Saint Vladimir, composition de la Déisis : le Christ, les archanges Gabriel et Michel, Jean le Baptiste et Marie portant une couronne.

Bien que l’appareil de Prokoudine-Gorski ne puisse photographier qu’une partie de cet espace (on ne voit pas le portail de Saint Vladimir), les détails sont clairs : sur la gauche, on voit un ange porter le livre dans lequel Saint Jean a écrit la Révélation, au centre, les anges qui détruisent Babylone et, sur la droite, on peut observer l’arche de l’entrée nord de la cathédrale. Mes photographies montrent les scènes juxtaposées à la Chute de Babylone.

La fréquence de ces fresques représentant l’Apocalypse dans l’art monumental russe du XVIIe siècle est sûrement liée aux troubles sociaux et politiques de l’époque, qui ont fini par un schisme de l’église contre les réformes liturgiques promulguées dans les années 1650. Un exemple majeur en est le cycle de fresques débuté dans les années 1660 sur le mur sud de la cathédrale de la Trinité du monastère Troïtse-Danilov à Pereslavl-Zalesski.

L’importance stratégique déclinante du monastère Saint-Cyrille-Belozersk a mené à son abandon aux XVIIIe et XIXe siècles. À la fin du XIXe siècle, un regain d’intérêt pour l’héritage médiéval russe a mené à des efforts de restauration qui ont perduré jusqu’au début de l’ère soviétique. Le premier musée du monastère a été fondé en 1924.

Dès les années 1930, la répression idéologique a détruit une grande partie du travail du musée et a mené à des pertes matérielles importantes. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le musée s’est rétabli. Aujourd’hui, lui et le monastère qui l’entoure sont des dépositaires importants des trésors de la culture russe, comprenant notamment les fresques apocalyptiques de la cathédrale de la Dormition.

Au début du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIesiècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.

Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte des superbes églises en bois du littoral de la mer Blanche.