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À l'été 1909, le photographe et chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski a effectué un voyage le long du système de voies navigables Mariinski, qui relie Saint-Pétersbourg au bassin de la Volga. Le premier élément majeur du système était le canal Mariinski, qui reliait la rivière Vytegra (qui se jette dans le lac Onega en direction de Saint-Pétersbourg) et la rivière Kovja (qui se jette au sud dans le lac Beloïe). Il a photographié un certain nombre de sites en cours de route, créant un registre important comprenant de nombreux monuments architecturaux, dont certains ont été perdus avec le temps.
Une église paroissiale canonique
L'un des sites les plus pittoresques photographiés par Prokoudine-Gorski au cours de cet été était le village de Deviatiny (province de Vologda), situé sur la rivière Vytegra près de son point de rencontre avec la Kovja. La photographie de l'église en bois de la Dormition de la Vierge, construite en 1770 pour remplacer une ancienne église en rondins détruite par un incendie, est particulièrement intéressante. Malheureusement, l'église qu'il a si joliment immortalisée a également été la proie des flammes, mais ses photographies fournissent des informations précieuses sur l'architecture traditionnelle en bois du Nord.
Modeste dans ses proportions, l'église de la Dormition de Deviatiny suivait un plan d'église paroissial typique avec un vestibule à un niveau - ou réfectoire - à l'ouest. Comme le veut la conception architecturale orthodoxe russe, l'autel principal a été placé du côté est.
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La structure principale de l'église de Deviatiny s'élève d'une base carrée en direction quatre gâbles qui s'étendent selon un motif cruciforme à partir d'un noyau supérieur octogonal. Chacun des gâbles est couronné d'une petite coupole, tandis que l'octogone supporte la grande coupole centrale. Dans une pratique typique du XIXe siècle, la structure en rondins était revêtue d'un parement en planches blanches et les coupoles étaient recouvertes d'un revêtement métallique.
Il ne reste que peu de choses des vues lyriques que Prokoudine-Gorski a immortalisées à Deviatiny. L'église de la Dormition, fermée dans les années 1930, a été détruite par un incendie en 1984. Une tentative entreprise dans les années 1990 de reconstruire l'église sous une forme différente près du cimetière de la ville a été abandonnée, faute de soutien.
Symbole de foi dans l'Arctique
D’autres églises en bois du nord de la Russie qui rappellent la forme distinctive de l'église de la Dormition de Deviatiny nous sont toutefois parvenues. L'une d'elles est une église du XVIIIe siècle dédiée à l'icône de la Vierge Hodegetria dans le village de Kimja, à l'extrême nord-est de la province d'Arkhangelsk.
Situé à proximité du cercle polaire arctique, près du point où la petite rivière Kimja se jette dans la rivière Mezen, Kimja a été fondée au début du XVIe siècle par des colons originaires de la région de la rivière Pinega, plus au sud. Elle reste l'une des colonies traditionnelles les mieux préservées et les plus importantes du Nord historique de la Russie, une zone entourant la mer Blanche.
Pendant une grande partie de l'année, Kimja est aux prises avec des conditions hivernales rigoureuses, des vents violents et des chutes de neige produites par l'abondante humidité de la mer. Auparavant, un transport de passagers limité vers la région de Mezen était assuré depuis le port principal de la mer Blanche, Arkhangelsk, mais cet itinéraire a été abandonné il y a des décennies.
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Une option de transport fonctionnant toute l'année consiste à prendre un petit avion de l'aéroport Vaskovo d’Arkhangelsk jusqu’à Mezen, puis de là en voiture (et en bateau) à se rendre à Kimja. Pendant l'hiver, il y avait une piste de forêt glacée, ou zimnik, qui serpentait vers le nord, de Pinega à Kimja et Mezen. Pourtant, c'était une route angoissante et épuisante (comme je peux en témoigner), dont l'utilité a été réduite par des dégels printaniers de plus en plus précoces. Il y a plusieurs années, une route de gravier ouverte toute l’année (n°A11-004) a été achevée jusqu’à Mezen, Kimja constituant la principale attraction sur cette route.
Une structure miraculeuse
De tous les points de vue, Kimja se démarque par la forme verticale de l'église de l'Icône de la Vierge Hodegetria avec sa flèche de plus de 27 mètres de haut. Il y a un siècle, le nord de la Russie était riche en exemples d'imposantes églises en bois, telles que celle de la Dormition à Varzouga.
L'église de Kimja, cependant, est le seul exemple ayant survécu d'un type caractérisé par une haute tour centrale et une coupole flanquée de quatre petites coupoles sur gâbles qui soutiennent la tour. On sait que des exemples similaires ont été créés par des charpentiers actifs au XVIIIe siècle sur le territoire entourant la rivière Pinega.
Bien que l'église de Kimja possède une silhouette beaucoup plus élevée que celle de Deviatiny, toutes deux ont une structure similaire avec quatre coupoles sur gâbles pointus entourant une coupole centrale surélevée. La forme la plus audacieuse de l'église de Kimja a été rendue possible par la combinaison d’un superbe travail de menuiserie et de l'utilisation de mélèze, un type de bois exceptionnellement durable.
Rétrospectivement, il est étonnant que l'église Hodegetria n'ait jamais été achevée. Commencée en 1700 pour remplacer une église du début du XVIIe siècle qui avait brûlé en 1699 après avoir été frappée par la foudre, l'église était en construction depuis près de 10 ans en raison des ressources limitées de sa petite paroisse. Une fois sa structure de base terminée, un autre demi-siècle s'est écoulé avant sa consécration enregistrée en 1763. (On m'a dit que le retard était dû à la prédominance au niveau local de dissidents orthodoxes connus sous le nom de Vieux croyants, qui avaient leurs propres lieux de culte).
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Miraculeusement, l'église Hodegetria a survécu à des décennies d'altération, de négligence et de menace constante d'incendie accidentel. Dans les années 1870, sa tour et ses coupoles étaient revêtues de bardeaux de bois « en écailles de poisson », tandis que l'intérieur était recouvert de planches peintes en bleu clair. À la même époque (1877-1878), un clocher est érigé au-dessus du porche ouest (un ancien cadre de cloche se tenait à l'écart de l'église sur la rive de la rivière Kimja). À la fin des années 1890, l'extérieur en rondins épais était recouvert d'un parement en planches peint en blanc avec des garnitures bleues et vertes.
Bien que Prokoudine-Gorski n'ait pas visité cette partie du nord de la Russie, il existe une photographie de l'église de Kimja publiée dans un volume de 1906 par Nikolaï Chabounine (1866-1907), originaire de la région de Mezen. La photographie qu'il a publiée montre l'église sous la même forme que celle que j'ai photographiée en 2000.
Lutte pour la vie
Le revêtement blanc du XIXe siècle a fait tiquer les restaurateurs soviétiques et, dans les années 1980, certaines planches ont été retirées des murs de l'église de Kimja. Le manque de fonds a mis un coup d’arrêt à cette première tentative de restauration et, en 2000, l'église est devenue sorte de « démonstration » involontaire de pratiques de restauration de l’époque, une moitié présentant un revêtement extérieur, l'autre pas.
Un comité local a réussi en 1999 à faire retirer le cadenas de l'église, qui était fermée au culte depuis les années 1930. Bien que l'église à nouveau consacrée ait fonctionné pour de rares services dirigés par un prêtre de Mezen, le bâtiment montrait des signes inquiétants de déformation.
En 2008, toute la structure a été démontée pour être restaurée, mais les travaux ont été interrompus pendant de longues périodes en raison de problèmes contractuels. La reconstruction a finalement été achevée une décennie plus tard, et un nouveau parement en planches a été installé. Comme pour d'autres exemples d'architecture en bois du nord de la Russie, je me considère chanceux d'avoir pu photographier l'église de Kimja alors que la structure en rondins d'origine existait encore.
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Le village de Kimja exhale une certaine magie que représente bien le scintillement des aurores boréales que j'ai vues lors de mon premier séjour à l'hiver 2000. Avec l'église Hodegetria, le village laisse une impression inoubliable, que renforcent ses maisons en rondins massives construites à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Bien que certains édifices aient été fermés et d'autres modifiés, Kimja constitue une « tranche de vie » d'une autre époque arrivée jusqu’à nous.
Kimja a survécu alors que des dizaines d'autres villages du Nord ont disparu. Plusieurs facteurs expliquent cette résilience, mais la présence de l'église d’Hodegetria a sans aucun doute joué un rôle majeur dans la cohésion du village. Surmontant de nombreux obstacles, Kimja a trouvé un équilibre délicat entre passé et présent.
Au début du XXe siècle, le photographe Russe Sergueï Prokoudine-Gorski a mis au point un processus complexe pour la photographie couleur. Entre 1903 et 1916, il a voyagé au travers de l'Empire russe, et a pris plus de 2 000 photographies en utilisant ce processus, qui impliquait trois expositions sur une plaque de verre. Il a quitté la Russie en août 1918, et s'est finalement installé en France avec une grande partie de sa collection de négatifs sur plaque de verre. Après sa mort à Paris en septembre 1944, ses héritiers ont vendu la collection à la bibliothèque du Congrès américaine. Cette dernière a digitalisé la collection de Prokoudine-Gorski et l'a mise en libre-accès pour le public au début du XXIe siècle. Un grand nombre de sites internet russes en proposent désormais des versions. En 1986, l'historien de l'architecture russe et photographe William Brumfield a organisé la première exposition des photographies de Prokoudine-Gorski à la bibliothèque du Congrès américaine. À partir de 1970, Brumfield, travaillant alors en Russie, a photographié la majorité des sites visités par Prokoudine-Gorski. Cette série d'articles juxtaposera les vues de Prokoudine-Gorski sur les monuments architecturaux avec les photographies prises par Brumfield plusieurs décennies plus tard.
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