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Mikhaïl Gorbatchev après le Putsch de Moscou
Peter Turnley/Corbis/VCG/Getty ImagesJeudi. Hier soir Gorbatchev a démissionné et prononcé son discours à la télé. Je ne l’ai pas suivi. Il n’y a pas d’homme que je méprise plus que lui. (...) Mon rêve c’est qu’il reçoive une gifle de la part du peuple.
(...) Tout est mauvais, atroce : l’argent conservé en banque disparaît, la vie devient de plus en plus difficile et complexe. Avant-hier, dimanche vers 8h du soir, quelqu’un a cassé le pare-brise de mon auto. J’ai galéré pendant deux jours pour le remplacer.
Le Nouvel An approche. Les derniers événements - l’accord des onze (accords d'Alma-Ata signés le 21 décembre 1991 par onze des quinze anciennes républiques socialistes soviétiques, relatifs à la cessation d'existence de l'URSS, ndlr), la dislocation de l’URSS de jure, la déclaration faite hier par Mikhaïl Gorbatchev qui sera désormais visé par toutes sortes de révélations (c'est notre maladie nationale de donner des coups à celui qui ne pourra pas y répondre). Celui-ci sera sans aucun doute « mordu » avec une volupté sauvage - à droite comme à gauche. Pauvre Mikhaïl Sergueïevicth (Gorbatchev, ndlr). (Le journal Nezavisimaya Gazeta annonce aujourd’hui qu’un propriétaire de casino lui propose un boulot pour un million de dollars !).
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Tout le monde attend le retour des prix (fixés par l’État, ndlr), les rayons des magasins sont vides, mais, apparemment, les gens ne comprendront toute l’horreur de la situation qu’après les fêtes. Et le matin, ils se sont réveillés... Effectivement, tout sera nouveau dans cette nouvelle année et je me retrouverai au chômage. (C’est drôle) mais mon salaire actuel (270 roubles + 60) est inférieur à la prestation de chômage (342 roubles). Une bouteille de mousseux coûte en kiosque 150 roubles, une doudoune 6 500 - 7 000 roubles, une chemise 300 - 400 roubles.
Une file d'attente dans une épicerie moscovite, 1991
Alexandre Makarov/SputnikÀ l’antenne de la Radio Rossia, la présentatrice a prononcé d'une voix sincère : « Nous avons complètement oublié l'âme. Aucun morceau de saucisse attrapé à l’issue d’une longue file d’attente ne peut remplacer les émotions élevées que procure une chanson lyrique ». S’ensuivait un thème musical de Janna Bitchevskaïa. Après tout, en 1918, alors que la famine faisait rage dans le pays, les journaux écrivaient sans vergogne sur les bienfaits du jeûne.
En prévision de l’avènement de l’année maigre 1992, une terrible goinfrerie fait rage. Les aliments, on les rafle là où l’occasion se présente. J’ai l’impression de n’avoir jamais mangé autant. Pour faire des réserves. Bon Dieu, pardonne-nous, aide-nous à retrouver au moins un peu notre dignité.
La petite grand-mère a cessé de s’intéresser à la politique ; lorsque j’allume le téléviseur (le soir), elle ne demande plus, comme jadis, de monter le son, mais de le baisser. Au lieu du drapeau rouge, un [drapeau] tricolore a été hissé au-dessus du Kremlin et les ambassades soviétiques à l’étranger sont devenues celles de Russie.
Mikhaïl Gorbatchev dans son bureau. Moscou, Kremlin
Saveliev/SputnikUne hâte démonstrative : ce matin, Eltsine a occupé le cabinet de Gorbatchev au Kremlin. Il est curieux de savoir : dans quelles circonstances votre pouvoir prendra-t-il fin, Boris Nikolaïevitch ?
Boris Eltsine
SHONE/Gamma-Rapho/Getty ImagesLe 25 décembre au soir, vers la fin du journal d’informations, Gorbatchev a fait une intervention à la télévision centrale - il a annoncé sa démission pour « des raisons de principe ». Je ne sais pas s’il faut y voir plus de drame ou de farce. Est-ce de cette manière que le premier (et apparemment le dernier) président d’un tel pays quitte la scène politique ?
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Lorsqu’il lisait sa brève allocution, il a voulu boire quelques gorgées (et à cela il y avait bien de raisons), mais le verre qu’il a pris s’est avéré vide.
À Moscou, au-dessous de l’université, on a découvert une ville prévue pour 120 000 habitants. Il y a des hôtels, des magasins et tout. Elle est reliée par une ligne de métro depuis le Kremlin. Les réserves de denrées auraient suffi pour 25-30 ans. En cas de guerre, elle était destinée à accueillir la nomenklatura.
Mercredi 25 décembre, Mikhaïl Sergueïevicth a décidé de faire sa dernière allocution. Aucun journal ne l’a publiée dans son intégralité ! Tous ont peur d’Eltsine.
Le matin, il a demandé de le mettre en contact avec Bush (à 17h00). Et malgré Noël, Pavel Palajtchenko (traducteur personnel de Gorbatchev, ndlr) a trouvé Bush à Camp David... Et ce dernier a accepté. Mikhaïl Sergueïevicth menait la conversation à la limite de la familiarité, « à la russe »... « comme des amis »... Mais même Bush a évité pour la première fois la retenue et a dit beaucoup de mots élogieux, dont nombreux seront ensuite inclus dans son discours sur la fin de l’URSS et le rôle de Gorbatchev.
Dans la pièce numéro 41 (près du cabinet), où d’habitude il intervenait devant les caméras, beaucoup de correspondants se sont rassemblés. Mais, - et c’est symptomatique - honte à nous que seuls les journalistes occidentaux l’aient entouré, incarnant l'importance de Gorbatchev aux yeux du monde entier, importance que la société occidentale lui accorde à juste titre.
Je me tenais à quelque 8-10 mètres de lui. Diffusion en direct. Il gardait son calme, n’avait pas honte de jeter de coups d’œil sur le texte. Ça a été un succès. Et après, tous les sondages « locaux » que j’ai entendus y donnaient une seule et même évaluation : dignité et noblesse.
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En effet, une figure tragique - même si pour moi, qui suis habitué à le voir « dans la vie quotidienne », il est difficile de lui coller ce terme avec lequel il entrera, bien sûr, dans l'histoire...
(Le lendemain), à 8h15, Eltsine et son entourage ont fait leur apparition dans la salle d’attente du cabinet de Gorbatchev. Il a lancé un ordre au secrétaire qui faisait la permanence : « Vas-y, montre ! ». Et il est entré dans le cabinet...
« Ici, sur la table, il y avait une garniture en marbre... Où est-elle ? »
En frissonnant, le secrétaire explique : « Il n’y en avait pas... Mikhaïl Sergueïevicth ne s’est jamais servi de ce type de stylos. On lui mettait des feutres sur la table »...
« Ben voyons... Et il y a quoi là-bas ? », et il s’est dirigé vers la salle « de repos » où il s’est mis à ouvrir les tiroirs. Un d’eux s’est avéré fermé.
« Pourquoi est-il fermé ? Appelez un intendant... »
Quelqu’un est arrivé à la hâte avec une clé et l’a ouvert - il n’y avait rien.
« Bon ».
En rigolant ils ont quitté le cabinet. En partant il a jeté au secrétaire : « Gare à toi ! Je serai de retour aujourd’hui même ».
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Un rassemblement près de l'entrée principale du VDNKh en décembre 1991
Andreï Soloviev/TASSCe matin je suis rentrée de chez moi. Dans la rue, une queue énorme pour acheter du pain - elle se terminait derrière le coin de l’immeuble. Et l’après-midi il n’y avait plus de pain. Et hier il n’y en avait pas dans plusieurs quartiers. C’est ça, « nous vivons heureux aujourd'hui, et demain nous le serons davantage ». C’est bien d’être à la maison ! Je me suis rempli le ventre avec des vermicelles à l’oignon frit. J'ai lu un roman policier et regardé le journal.
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