Nettoyages polaires: lutter contre la pollution dans l’Arctique russe

Sciences & Tech
MARIA STAMBLER
Les vestiges de l’exploration soviétique de l’Arctique sont toujours là, sous forme de vieux barils utilisés pour stocker de l’essence. Les matériaux toxiques qui s’en échappent polluent la biosphère. Et ce n’est pas tout.

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Selon des estimations effectuées en 2017, rien que sur les zones côtières de l’océan Arctique, se trouvaient près de quatre millions de tonnes de déchets industriels et débris de construction, ainsi qu’environ 12 millions de barils. Entre 2015 et 2017, l’armée russe a entrepris une opération importante de nettoyage dans la région en ramassant et éliminant plus de 16 000 tonnes de déchets métalliques. Bien que cela soit certainement un bon départ, le problème de pollution y demande encore beaucoup de travail et d'attention.

D'où viennent tous ces déchets et quels dégâts causent-ils ?

Varvara Semionova, coordinatrice de projet à la conservation de la biodiversité de l’Arctique pour WWF Russie s’est rendue dans de nombreux coins de ce vaste territoire fait de glace. Elle dit que même en simple observatrice, la quantité de déchets qu’elle a vue durant ses voyages était inquiétante. 

« Le type de déchets dépend de la région. Aux endroits où la vie proliférait pendant l’époque soviétique ou là où on a construit des bâtiments comme des stations météorologiques polaires (qui ont pour la plupart été abandonnées ou négligées après la chute de l’URSS), les déchets sont les vestiges de ce qu'il y avait ici autrefois. Par exemple, des constructions et bâtiments détruits et abandonnés, de grandes quantités de barils utilisés pour stocker de l’essence, etc. La quantité de ces derniers c’est ce qui m’"impressionne" le plus. Même dans ces parties de l’Arctique qui sont désormais protégées (l’île Wrangel, l’archipel François-Joseph) le sol est jonché de vieux barils rouillés», se souvient Varvara. 

De même, beaucoup de ces barils contenaient autrefois de l’essence et d'autres substances chimiques, et on trouve en abondance d'autres objets, comme des vieux générateurs électriques fonctionnant au diesel. Tandis qu’ils se décomposent (très lentement), les matériaux toxiques qu'ils contenaient se répandent, pénètrent le sol, et, en général, polluent la biosphère.

Le territoire russe de l’Arctique s'étend sur 24 140 kilomètres de côte le long de l’océan Arctique et sur les eaux au-dessus du cercle arctique dans la mer de Barents à l’ouest à la frontière de la Norvège jusqu’à la mer de Béring et la mer d’Okhotsk plus loin à l’est. Le littoral russe représente 53% du littoral de l’océan Arctique.

Bien sûr, la quantité de déchets dans l’Arctique russe n’est pas comparable avec le vortex de déchets du Pacifique nord, mais elle reste un danger majeur pour la flore et la faune de la région. En particulier, le matériel de pêche abandonné, les morceaux de plastique, les bouteilles et emballages des différents pays finissent tous en microplastiques rejetés dans l’eau. Ils sont ensuite mangés par les poissons, qui le sont à leur tour par des animaux plus gros, comme les morses. 

« Désormais, quand les scientifiques étudient la vie marine de l’Arctique, ils étudient aussi les taux de microplastiques dans les animaux. Et ces taux sont en constante hausse. Donc ce plastique se retrouve tout en haut de la chaîne alimentaire de l’Arctique », ajoute Varvara.

Et nous avons tous vu des vidéos déchirantes d’animaux marins prisonniers de filets de pêche. Ce problème n’est pas aussi grave dans les eaux de l’Arctique qu’il ne l’est dans d'autres régions du monde, mais il est toujours problématique et cause souffrance et mort aux animaux.

Qui plus est, l’on constate un conflit grandissant entre l’homme et la faune dans des endroits comme la Nouvelle-Zemble. Il se peut que vous ayez vu des vidéos drôles (au premier abord) d'ours polaires courant après des camions de ramassage des déchets ou mangeant le contenu de poubelles, quel qu’il soit. Cela veut dire que ces animaux, grands et dangereux, entrent dans des installations humaines, augmentant le risque d'attaques et menant éventuellement à la mort de l’un ou de l'autre. D’ailleurs, la facilité d'accès à la nourriture provenant des poubelles fait que les ours polaires chassent moins sur les côtes, ce qui peut, potentiellement, rompre l'équilibre de tout l’écosystème. 

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Des opérations de nettoyage majeures sont en cours 

Heureusement, grâce au fait que de plus en plus de régions de l’Arctique bénéficient d'un statut spécial d’importance fédérale, des opérations majeures de nettoyage sont organisées assez régulièrement et activement pour se débarrasser de cet « héritage soviétique », comme le désignent les activistes. Ces opérations sont directement soutenues par le gouvernement russe. 

L’estimation et l’élimination des dégâts environnementaux accumulés ont été illustrés dans la Stratégie du développement de la zone arctique de la Fédération de Russie et de la sécurité nationale jusqu’en 2020, approuvée par le président russe en février 2013. Afin d’implémenter cette stratégie, le ministre russe de la Défense a développé et approuvé la Feuille de route pour l'élimination des dégâts environnementaux causés par les activités sur le territoire du ministère de la Défense russe dans la zone arctique.  

Il en a résulté un programme spécial entre 2015 et 2017, durant lequel les déchets de l’Arctique ont été ramassés par des unités spéciales du ministère, les soi-disant « pelotons du nettoyage environnemental ».  Ils ont nettoyé les territoires qui avaient servi pour des raisons militaires, des garnisons, des camps militaires de la zone arctique et dans l'archipel de la Nouvelle-Zemble (dans les villages de Belouchia Gouba et Rogatchevo, au Nord), l’archipel des îles de Nouvelle-Sibérie (sur les îles de Kotelny et de Kildine) et d'autres infrastructures dans les zones arctiques de la Russie. 

Un autre nettoyage de masse a été organisé et mené à bien entre 2017 et 2019. 

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Les bénévoles sont les bienvenus 

Il existe également de nombreux programmes pour les bénévoles, comme par exemple : Green Arctic.

« Nous avons déclaré Green Arctic en tant qu’association en 2014, déclare Evgueni Rojkovski, le président du programme. Mais l’idée a émergé lors de notre nettoyage de l’île Bely en 2013. C’est alors que les concepts de "Fraternité Polaire" et de "Bénévole de l’Arctique" sont apparus : un regroupement de bénévoles ayant un but commun, et qui préfèrent passer leurs vacances d'été à nettoyer le Grand Nord plutôt que de partir en vacances dans des stations balnéaires avec toutes les commodités. Notre objectif principal est de former des équipes de bénévoles qui participent à des expéditions environnementales dans les territoires de l’Arctique et rétablissent l’équilibre écologique de la région ».

Tout le monde peut postuler pour devenir bénévole. En 2020, Green Arctic a reçu 267 candidatures. Parmi celles-ci, 116 ont été sélectionnées pour suivre un programme éducatif spécial de 30 heures. À la fin, 48 ont été choisies pour partir aider à nettoyer l’Arctique de barils rouillés, ferraille abandonnée et éliminer les décharges sur les côtes de la mer de Kara sur les îles Bely et Vilkitski.  Durant l'une des expéditions, ils ont même rencontré une équipe de nettoyage de l’armée russe et ont échangé leurs idées sur comment rendre à nouveau l’Arctique immaculé.

Sur les 8 dernières années, 11 expéditions, pour un total de 230 bénévoles de 23 régions de Russie et 11 autres états (Autriche, Bulgarie, Allemagne, Israël, Chine, Ukraine, Chili, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie et Transnistrie), ont pris part au programme. Cumulées, ce sont plus de 1900 tonnes de déchets métalliques qui ont été ramassées et envoyées dans des centres de recyclage. Un ourson polaire a même été sauvé dans le processus !

Nous encourageons nos lecteurs à passer un été constructif et à postuler pour nettoyer l’Arctique. C’est une expérience vraiment enrichissante !

Dans cette autre publication, nous parlons des plongeurs sibériens nettoyant bénévolement le lac Baïkal