Art russe : le retour de la censure ?

Anton Tsvetkov, chef de la commission de sécurité de la Chambre civile, «inspecte» l’exposition du photographe américain Jock Sturges.

Anton Tsvetkov, chef de la commission de sécurité de la Chambre civile, «inspecte» l’exposition du photographe américain Jock Sturges.

Kommersant
L’intelligentsia culturelle accuse l’Etat d’avoir introduit la censure. L’Etat réplique qu’il a le droit d’influencer le contenu d’une œuvre qu’il commande.

La société russe est secouée depuis quelques années par une certaine ingérence des partisans de l’Eglise dans l’espace culturel. Affirmant qu’ils expriment l’avis de tous ou qu’ils représentent la position de l’Etat, les orthodoxes militants s’attaquent à des expositions et perturbent le déroulement de spectacles. Les autorités n’encouragent pas un tel comportement, mais ne punissent pas non plus ces assauts, en invoquant le respect des sentiments religieux des croyants.

Fin octobre, les débats sur les limites de l’ingérence de l’Etat dans le milieu artistique ont repris de plus belle. Plusieurs personnalités du monde de la culture ont qualifié les événements actuels  en Russie de « raids », de « censure » et de « complot ».

Les discussions ont été notamment relancées par la déclaration de Konstantin Raïkine, acteur, metteur en scène et directeur du théâtre Satirikon de Moscou, qui a exprimé le point de vue de nombreux Russes. Le 24 octobre dernier, il a appelé au 7ème congrès de l’Union des gens de théâtre de Russie « à s’unir contre les atteintes à la liberté de l’art ».

L’artiste au service de l’Etat

Se retranchant derrière la lutte pour la moralité, le patriotisme et la spiritualité, un groupe restreint de personnes affiliées au pouvoir et à l’Eglise se permet aujourd’hui de fermer des expositions et d’interdire des spectacles, a indiqué Konstantin Raïkine.

Ces personnes « ont un comportement effronté », tandis que le pouvoir « reste étonnamment neutre », a-t-il constaté. « Ne pouvons-nous pas faire front commun ? Il ne faut pas croire que le pouvoir est l’unique vecteur de la moralité et de l’honnêteté. Il n’en est rien », a-t-il indiqué.

Deux jours plus tard, Konstantin Raïkine a été soutenu dans le quotidien Kommersant par Andreï Zviaguintsev, réalisateur régulièrement primé et auteur de Léviathan, un film sur la vie d’une région perdue de Russie et des fonctionnaires corrompus, qui a été la cible de critiques des militants pour une image « pure » de la patrie.

La position de l’Etat a été exprimée par le ministre de la Culture, Vladimir Medinski : « Je ne vois aucun sens à tourner des films avec l’argent du ministère de la Culture pour diaboliser le pouvoir élu… Je parle de ceux qui font des films sur « la Russie, terre pourrie ». A quoi bon ? C’est du masochisme d’Etat ».

Andreï Zviaguintsev lui a répondu : « Pouvez-vous citer au moins un opéra ou une dizaine de films réalisés sans la participation de l’Etat ? La situation dans notre économie et notre culture est telle qu’il n’y en a pas », a-t-il écrit.

Si l’Etat paie l’artiste, cela signifie-t-il que « l’artiste doit servir la volonté de cet Etat ? », s’interroge-t-il. « Il est étonnant de constater avec quelle facilité ces notions sont substituées aujourd’hui. Personne ne sourcille. Nous disons : c’est de la censure. Ils répondent : c’est une commande publique ».

Un autre point de vue

Le discours impulsif de Konstantin Raïkine au sujet de la pression sur l’art a suscité une vive réaction au sein d’une autre partie de l’opinion russe représentée par le leader du club de motards Les Loups de la nuit, Alexandre Zaldostanov surnommé le Chirurgien, connu pour être l’ami de Vladimir Poutine.  « Exploitant la notion de liberté, ces Raïkine veulent transformer le pays en fosse d’égout où s’écoulent les eaux usées », a-t-il affirmé.

Le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a voulu calmer le jeu et a appelé le motard à s’excuser auprès du réalisateur, en précisant une nouvelle fois la position de l’Etat : la censure en tant que telle est inadmissible en Russie, mais « si l’Etat débloque de l’argent pour une mise en scène » et qu’il « commande une œuvre », il est en droit « de décider du sujet »

« En un mot, si l’Etat estime que fumer est nuisible pour la santé, il est en droit d’exiger que personne ne fume dans un film s’il finance celui-ci. Est-ce de la censure ? Non », a-t-il déclaré.

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