Leçon dans l'"école syrienne" de Noguinsk.
Flora MoussaUn matin, les rires d'un groupe d'enfants retentissent dans les locaux d'une demi-maison située en périphérie de la ville de Noguinsk (51 km à l'est de Moscou). Ni les meubles usés, ni le confort médiocre n'assombrissent l’humeur de la vingtaine d’élèves, pour qui cette construction en bois et contreplaqué est depuis bientôt cinq ans la seule porte menant vers le monde du savoir. Pratiquement analphabètes à leur arrivée, les jeunes réfugiés, âgés de 5 à 14 ans, viennent dans cette école improvisée dans l’espoir qu’un jour les portes d’un véritable établissement scolaire s’ouvriront à eux.
Otages des circonstances
Les tailleurs d’Alep (capitale industrielle de la Syrie) ont commencé à débarquer dans les villes du textile de la région de Moscou au début des années 90 pour travailler dans des ateliers de confection de vêtements ouverts par leurs compatriotes. Deux ou trois années de travail en Russie leur permettaient de faire les économies suffisantes pour retourner au pays et y construire une maison ou lancer leur propre affaire.
"École syrienne" de Noguinsk. Crédit : Flora Moussa
Mais avec le début du conflit armé dans leur pays, la donne a changé. Après qu’Alep et ses alentours sont devenus le théâtre d’affrontements meurtriers entre les forces gouvernementales et rebelles, les travailleurs migrants ont fait venir leurs proches en Russie. Ainsi, une soixantaine de familles se sont installées au cours de ces dernières années dans la ville de Noguinsk. Bien que les horreurs de la guerre soient restées derrière eux, ces ménages ont été confrontés à une série de nouvelles difficultés, dont le problème de scolarisation pour leurs enfants.
« J’ai appris qu’environ 45 enfants syriens vivent depuis des années à Noguinsk et une quinzaine d’autres à Lossino-Petrovski sans jamais aller à l’école. D’ailleurs un bon nombre d’entre eux n’ont jamais franchi le seuil d’un établissement scolaire, même en Syrie », raconte Mouiz Abou Aldjadael, journaliste syrien et traducteur au Comité d’assistance civique en Russie (ONG venant en aide aux réfugiés et aux migrants).
Le problème découle du fait que la plupart des familles n’ont pas pu légaliser leur statut en Russie. « Comme vous le savez, nos ménages sont nombreux : un couple a en moyenne entre quatre et six enfants. L’acquisition du statut de réfugié coûte environ 20.000 roubles (300 euros environ) par personne, une somme impensable pour des ouvriers. Et si pour pouvoir gagner leur vie, les adultes ont obtenu le permis de travail ou le statut de réfugié, les enfants et les femmes restent sans-papiers, ce qui constitue un obstacle majeur à leur intégration dans la société d’accueil », explique M.Aldjadael.
D’ailleurs, l’obtention du statut de réfugié ne résout qu’une partie du problème. Pour être admis à l’école, l’enfant doit être enregistré sur son lieu de résidence (arrêté 35 du ministère russe de l'Éducation et des Sciences du 22 janvier 2014), service complètement anodin que les propriétaires d’appartements refusent aux locataires par méconnaissance de la législation.
Élève syrienne. Crédit : Flora Moussa |
« Eux-mêmes, les propriétaires des appartements que nous louons, ne cessent de me dire que les enfants ne doivent pas rester à la maison. Mais dès que nous soulevons la question de l’enregistrement provisoire, ils changent de ton et nous prient de vider l’appartement, confie une Syrienne d’une quarantaine d’année installée avec ses enfants à Noguinsk depuis 5 ans. Moi-même je suis analphabète, donc je ne peux pas assurer l’enseignement à mes enfants. Quant à mon époux, il passe tout le temps au travail et n’a pas une minute de libre à consacrer aux enfants ».
« Aujourd’hui mon dernier-né a déjà 12 ans, mais son seul bagage de connaissances est réduit à sa première année de primaire. Plus le temps passe, plus le gouffre se creuse entre lui et les enfants de son âge. Soyons francs, je ne songe pas à ce qu’il devienne médecin ou ingénieur, je veux juste qu’il possède au moins les connaissances de base », se lamente-elle.
Une école pas comme les autres
Pour trouver la solution à ce problème, le journaliste Mouiz Abou Aldjadael a ouvert en décembre dernier à Noguinsk sa propre « école ». L’enseignement y est assuré par des volontaires syriens qui apprennent aux gamins l’arabe, l’anglais, l’histoire et les mathématiques. Depuis le début juin, le russe s’est ajouté au programme grâce au soutien du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR) qui a octroyé les moyens financiers pour embaucher deux enseignantes qualifiées.
« Mais notre école n’est qu’une solution provisoire. Elle ne peut en aucun cas se substituer à un enseignement complet, notre but étant plutôt de préparer les enfants à l’intégration dans les écoles russes », explique M. Aldjadael.
Les auteurs de l’initiative se sont alors adressés au département de l’enseignement des deux villes afin qu’il contribue à l’intégration des enfants de réfugiés au système scolaire.
« Et là nous avons reçu deux réponses diamétralement opposées », dit Olga Nikolaenko qui dirige le Centre d’adaptation des enfants réfugiés. Si à Lossino-Petrovski, les responsables ont fourni des locaux et promis d’admettre tous les élèves dans les écoles de la ville à la rentrée, à Noguinsk la réponse a été négative.
Des enfants syriens jouent dans les rues de Noguinsk après les cours. Crédit : Flora Moussa
« La chef du département de l’éducation de la ville de Noguinsk a déclaré qu’elle s’était renseignée auprès des services des migrations et que ces enfants "n’existaient pas" », poursuit Mme Nikolaenko, précisant que le refus d’accepter les enfants dans les écoles est contraire à la loi « Sur l’éducation », à la Constitution et à la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, dont la Russie est signataire.
La situation s'est retrouvée dans l'impasse, les réfugiés craignant que tout recours au service des migrations ne débouche sur leur expulsion.
Selon Mouiz Abou Aldjadael, le problème est encore plus aigu : les enfants réfugiés de Noguinsk sont pris en otages d’un côté par les fonctionnaires locaux et de l’autre par l’attitude inconséquente de leur propres parents.
« À Lossino-Petrovski, la plupart des parents sont jeunes, par conséquent ils s’intéressent à l’éducation de leurs enfants. Mais à Noguinsk, la situation est différente : les parents les envoient à l’école juste pour les occuper durant la journée. Il n’y a ni suivi, ni intérêt véritable », se lamente-t-il.
D’autant plus, qu’une partie des enfants souffrent de troubles psychologiques - conséquence de la guerre -, et ont besoin d’une aide psychologique permanente, soin qu'une école régulière pourrait leur offrir, rajoute-t-il.
Le Comité d’assistance civique tâchera de contester l’arrêté du ministère russe de l'Éducation et des Sciences empêchant les enfants non enregistrés d’être scolarisés. En attendant, les petits réfugiés « inexistants » continuent de fréquenter leur école de fortune.
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