Crédit : Sergueï Pivovarov/RIA Novosti
« La décision a été prise dès que les premiers obus sont tombés sur l'administration municipale de Lougansk. J'ai appelé les miens et je leur ai dit de venir », raconte Irina*.
Mère célibataire ayant à sa charge deux enfants, cette dernière vit dans une maison particulière dans les environs de Moscou. Pour elle, Lougansk, ville dont son père est originaire, est associé à l'été et aux vacances scolaires passées auprès des proches. Puis, après la mort de la babouchka, les visites en Ukraine ont cessé. Irina n'a gardé des contacts qu'avec sa tante. Ces derniers se limitaient à quelques coups de fil à l'occasion des fêtes et à de brèves échanges de politesse durant le reste de l'année.
Le début des tensions dans le sud-est de l'Ukraine a coïncidé avec la démission d'Irina, initialement économiste. « Désormais sans occupation professionnelle, j'ai plongé dans le torrent informationnel », raconte-t-elle. Les images abstraites pour la plupart des spectateurs étaient liées pour Irina à un vécu charnel.
« En comparant ce que disent nos médias, ce que relaie la presse étrangère et ce que racontent les témoins oculaires, tu réalises qu'outre le conflit civil, un véritable combat de l'information est en cours », raconte la femme.
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Selon elle, la vitesse avec laquelle un pays se retrouve englouti par la guerre force les gens à réviser leurs valeurs. « Tu constates que tout est éphémère, il se peut que demain tu sois contrainte à tout abandonner, pour sauver ta vie. Lorsque la situation a dérapé, je n'ai pas hésité un seul instant. Ma tante, ma cousine avec son époux et leur fillette de quatre ans sont venus s'installer sous notre toit ».
Heureux qui comme Ulysse...
La famille a quitté Lougansk à la hâte avec deux petites valises. Personne alors ne s'attendait à ce que le conflit gagne en puissance et rende quasi-impossible leur retour. « Cette prise de conscience a été trop dure pour eux. Appréhender que désormais tu es contraint de repartir à zéro n’est jamais facile », se souvient Irina.
La guerre civile a divisé non seulement l'Ukraine, mais aussi des familles entières, explique-t-elle. « Nous avons des proches qui ont refusé d'abandonner leurs demeures, mais aussi certains qui ont rejoint l'autre camp. Et ceux qui sont de l'autre côté sont beaucoup plus catégoriques. Ils ne sont pas prêts à te tendre la main. Pour eux, ceux qui ont fui en Russie sont des traîtres », ajoute Irina.
Le poids de l’affectif devient parfois intenable. « Ils se refusent toute joie. Toute initiative venue de ma part – sortir, assister à une conférence ou à un festival - est immédiatement rejetée. Ils souffrent avec ceux qui sont restés à Lougansk, guettent les nouvelles », dit Irina. Les lignes téléphoniques étant endommagées, ils ne peuvent avoir des nouvelles de ceux qui restent à Lougansk que par des amis, ou sur des forums internet. « Leurs amis leur disent : 'Oui, nous avons aperçu hier votre père dans la rue' et c’est comme ça que nous savons qu’il est toujours en vie », raconte Irina.
C'est de ces informations morcelées, complétées avec les images de destructions diffusées à la télévision, que les réfugiés tissent l'image de la situation dans l'endroit qu'ils désignaient comme leur foyer il y a quelques mois encore.
Creuser un nouveau chemin
Comme bon nombre de réfugiés, les proches d'Irina ont décidé de prendre part au programme d'État de rapatriement de citoyens. Généraliste, psychiatre et plombier, ils iront un jour bâtir leur avenir là où leur nouveau pays a le plus besoin d'eux.
« Ils ont pris contact avec plusieurs régions dépressives du pays, dont celle de Tver et de Mourmansk, et partout ils ont trouvé de la compassion. Ils sont prêts à partir s’installer loin de Moscou, d’ailleurs, ceci leur convient mieux : ils avouent ne pas être habitués au rythme des grandes villes. Le choix définitif dépendra de l’endroit où ils trouveront un travail dans leur spécialité », selon Irina.
Du côté de l’État, ils ont reçu un complet soutien. « Les employés sont tous bienveillants et prêts à fournir un soutien. Le problème est qu’ils ne savent parfois pas comment les aider : mes proches appartenant à la première vague de réfugiés, les fonctionnaires ignorent souvent quelles démarches réaliser et quelle aide leur fournir. Mais suite à l'afflux des Ukrainiens, les choses ont changé ».
La tragédie du Donbass, semble n’avoir laissé personne indifférente. Les voisins d’Irina font leur possible pour soutenir les réfugiés, proposer un travail et mettent tout en œuvre pour que cette petite famille se sente enfin chez elle.
* Les noms et les métiers ont été modifiés à la demande de l'intéressée
Depuis le début du conflit dans le Donbass, la Russie est confrontée à un flot constant de réfugiés en provenance d'Ukraine. D'après les chiffres du Service des migrations de la Fédération de Russie (FMS) en date du 30 août, plus de 800 000 Ukrainiens ont franchi la frontière du pays voisin depuis avril 2014 ; parmi eux, 150 000 restent sur le territoire russe. Pour faire face à ce défi important, la Russie a pris un certain nombre de mesures.
Les Ukrainiens arrivant en Russie reçoivent le statut de réfugiés ou bien un permis de séjour. Cependant, ceux qui désirent rester en Russie peuvent participer au programme public de retour volontaire des concitoyens et recevoir un passeport russe dans des délais resserrés. Selon les données du ministère du Développement régional, 5 848 Ukrainiens ont déclaré vouloir participer à ce programme depuis le début de l'année 2014.
A la fin du mois d'août, sur fond d'aggravation de la situation militaire et politique dans le sud-est de l'Ukraine, le programme de retour volontaire a subi des modifications afin de faciliter la procédure d'obtention de la citoyenneté et l'insertion professionnelle des réfugiés ukrainiens.
Le programme de retour volontaire en Russie est le moyen le plus rapide d'obtenir le passeport russe. En tout, le processus prend en moyenne six mois. C'est dix fois plus rapide que la procédure habituelle d'obtention de la citoyenneté russe, qui peut durer jusqu'à six ans.
Les réfugiés ukrainiens qui participent au programme peuvent se rendre dans l'une des régions membres du programme en tant que sujets prioritaires pour l'installation. Afin de faciliter leur implantation, un capital est attribué aux participants du programme.
Actuellement, 48 des 85 sujets de la fédération prennent part au programme, dont la région de Kaliningrad (Baltique), de Kalouga (ouest) et de Mourmansk (nord) ainsi que celle de Krasnoïarsk (Sibérie). A cause de leur surpeuplement, les régions de Moscou et de Leningrad ne participent pas au programme, même si beaucoup espèrent y trouver justement un logement.
Adopté en 2006, le programme de retour volontaire des concitoyens qui se sont retrouvés à l'étranger après la chute de l'URSS est l'une des orientations prioritaires du perfectionnement de la politique migratoire russe. Durant ses trois premières années d'existence, 150 000 concitoyens sont revenus en Russie. Ce chiffre est deux fois inférieur à celui pronostiqué. Par ailleurs, grâce au flot de réfugiés en provenance d'Ukraine, le nombre de participants au programme a commencé à augmenter. Selon les prévisions des experts, cela permettra de donner un nouveau souffle au programme et d'en éliminer toutes les lenteurs administratives.
Par Galia Ibraguimova, RBTH
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