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Au Xe siècle, la Russie a fait son choix majeur d'affiliation civilisationnelle en se convertissant au christianisme, devenant ainsi l'extrémité orientale du monde chrétien. Cependant, sa proximité avec l'Orient, les incursions des peuples musulmans et les 300 ans de soumission à la Horde d'or tataro-mongole (de 1242 à la fin du XVe siècle) ont laissé une importante « empreinte asiatique » dans la mentalité du peuple russe.
La position frontalière du « monde russe » en a fait un champ de conflit permanent entre l'Est et l'Ouest.
Le tournant considérable en faveur de la culture occidentale en Russie a eu lieu sous Pierre Ier (1672-1725). Le premier empereur russe était convaincu que la Russie devait moderniser l'ensemble de sa structure économique et sociale pour survivre, en s'inspirant de l'expérience de ses voisins européens. Cette modernisation rigoureuse de la société russe a eu pour effet secondaire l'apparition d'une nouvelle capitale de style européen, Saint-Pétersbourg, de sujets habillés à l'européenne et sans barbe, et de nombreux autres artefacts culturels ayant suscité une attitude mitigée chez les Russes.
Depuis lors, les penseurs russes n'ont cessé de débattre pour savoir si ce virage était une aubaine ou une grande erreur, et si la Russie appartient à la civilisation européenne, à l’asiatique ou constitue à elle seule une entité civilisationnelle à part entière.
Cet historien russe du XVIIIe siècle, auteur de la première Histoire de Russie, a été l'un des premiers à justifier pourquoi la frontière conventionnelle entre l'Europe et l'Asie devait passer par les monts Oural. Avant cela, il avait été suggéré que le fleuve Enisseï ou celui de l’Ob devrait servir de frontière. Les historiens de l'Antiquité suggéraient même que la frontière devait longer le Don et la mer Noire jusqu'à Constantinople. Cependant, Tatichtchev (1686-1750) a avancé divers arguments scientifiques naturels – après l'Oural, par exemple, même les cours d’eau ont un débit différent (et d'autres sortes de poissons), et de nombreux arbres qui poussent en Europe n’existent pas au-delà de ces montagnes.
Pour lui, la Russie est sans aucun doute un pays européen, « tout comme le Royaume de Pologne, la Prusse et la Finlande ». Décrivant l'histoire de la Russie médiévale avant le développement du khanat de Kazan et de la Sibérie, Tatichtchev arrive à la conclusion que la Russie « par des circonstances naturelles » appartient à « nulle autre que l'Europe ».
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Cet historien de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle est considéré comme le créateur du concept de « l'Européen russe ». Karamzine (1766-1826) voyait dans le virage de Pierre vers l'Europe une bénédiction incontestable pour le pays, car la Russie a pu utiliser avec succès les acquis de la raison européenne – avant tout les sciences, les arts, la science militaire et la structure de l'État.
« Les Allemands, les Français et les Anglais avaient devancé les Russes depuis au moins six siècles ; Pierre nous a fait bouger de sa main puissante, et en quelques années nous les avons presque rattrapés. Toutes les misérables jérémiades sur le changement du caractère russe, sur la perte de la physionomie morale russe soit ne sont rien d'autre qu’une plaisanterie, soit viennent d'un manque de réflexion approfondie. Nous ne sommes pas comme nos ancêtres barbus : tant mieux ! », a écrit Karamzine lors d'un voyage en Europe.
Après de nombreuses années où l'attention du public n'était dirigée que vers l'Europe, Dostoïevski (1821-1881) a proposé d'« assainir » le regard de la Russie sur l'Asie. « Toute notre Asie russe, y compris la Sibérie, semble encore exister pour la Russie comme une sorte d'annexe, à laquelle notre Russie européenne ne veut même pas s'intéresser », déplorait l'écrivain.
« Nous devons bannir la crainte servile que l'on nous traite de barbares asiatiques en Europe et que l'on dise de nous que nous sommes des Asiatiques encore plus que des Européens. Cette honte, que l'Europe nous considère comme des Asiatiques, nous hante depuis presque deux siècles ». Dostoïevski qualifie cette honte d'erronée, de même que la perception des Russes d’être exclusivement des Européens, et non des Asiatiques, « ce que nous n'avons jamais cessé d'être ». Dostoïevski était agacé par le fait que la Russie « quémandait » pour rejoindre l'Europe, et faisait tout pour que l'Europe la reconnaisse comme l'un des siens, « et non comme des Tatars ». Dostoïevski conclut même que c'est peut-être en Asie que la Russie doit chercher son salut et un avenir radieux.
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La position géographique difficile de la Russie a déterminé son destin historique et culturel, affirmait le professeur et historien du XIXe siècle Vassili Klioutchevski (1841-1911). La Russie a toujours subi une influence étrangère, mais celle-ci a toujours été recyclée, réinterprétée sur le sol russe. Cela a d'abord été Byzance et le christianisme, qu'elle a apporté à la Russie, puis l'Europe occidentale et ses sciences, ainsi que le domaine politique général, auquel la Russie ne s'est finalement associée qu'après Pierre. C'est au XIXe siècle, selon Klioutchevski, que la Russie a commencé à s'interroger sur son appartenance à l'Europe – en oubliant la direction orientale. De plus, l'idée que la Russie est européenne s'est imposée avec force lorsqu'une Allemande, Catherine II, a occupé le trône pendant plusieurs décennies.
« Historiquement, la Russie n'est certainement pas l'Asie, mais géographiquement, elle n'est pas non plus tout à fait l'Europe. C'est un pays de transition, un intermédiaire entre deux mondes. La culture l'a indissolublement liée à l'Europe ; mais la nature lui a imposé des traits et des influences qui l'ont toujours attirée vers l'Asie ou qui ont attiré l'Asie en elle », avance Klioutchevski dans son Cours d'histoire de la Russie.
Le célèbre historien et ethnographe Lev Goumilev (1912-1992, le fils des célèbres poètes russes du début du XXe siècle Anna Akhmatova et Nikolaï Goumilev) est connu pour avoir introduit le concept de super-ethnie – formation émergeant d'une mosaïque de groupes ethniques d'une même région. Ces super-ethnies étaient le monde chrétien d'Europe occidentale et le monde musulman. Au cours de son évolution historique, le peuple russe est également devenu une super-ethnie qui, jusqu'au XVIIIe siècle, a inclus d'autres groupes ethniques à mesure du processus de conquête de la Sibérie et de l'Asie centrale. La super-ethnie russe est beaucoup plus jeune que celle d'Europe occidentale, et se trouve donc encore à un stade de développement légèrement inférieur – mais selon Goumilev, elle connaîtra bientôt un essor.
Goumilev était un partisan de l'« eurasisme », c'est-à-dire qu'il pensait que la culture de l'Europe occidentale était en crise et que c'était l'Est qui allait prendre une position prédominante. La super-ethnie russe, qui unit selon lui les Slaves européens et les peuples non slaves de Sibérie et d’Asie centrale, devrait devenir le chef de file de la culture eurasienne.
Lev Goumilev a étudié l'Asie pendant de nombreuses années et se montrait fasciné par sa culture. « L'eurocentrisme banal est suffisant pour la perception du philistin, mais inadapté à la compréhension scientifique de la diversité des phénomènes observés. Après tout, du point de vue d'un Chinois ou d'un Arabe, ce sont les Européens de l'Ouest qui semblent inférieurs », a écrit Goumilev dans son livre L'Ethnogenèse et la biosphère de la Terre.
Dans cet autre article, nous vous emmenions en République de Touva, cette région de Sibérie où la Russie se montre définitivement asiatique.
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