Comment j'ai plongé dans l'eau glacée par -10° à la Théophanie

Lifestyle
GUEORGUI MANAÏEV
Un correspondant de Russia Beyond a plongé dans un trou de glace à l’occasion de la Théophanie et revient à présent sur son expérience. Non, il ne s'agit pas d'une gaillarde débauche russe, mais d’une procédure de revitalisation, familière aux locaux depuis le baptême de la Rus'.

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« Les gars, les gars ! Comment est l'eau, chaude ? »

« Tu rigoles, elle est carrément chaude ! C'est brûlant ! »

Nous étions à l'intérieur d'une grande tente en caoutchouc, où les hommes se changeaient avant de plonger dans le trou de glace. Pour la première fois de ma vie, j'ai décidé de respecter l'ancienne tradition russe consistant à se baigner dans de l'eau glacée le jour de la fête de la Théophanie. Les orthodoxes croient qu'en cette nuit, l'eau des lacs, étangs et autres devient sainte, guérissant les maladies et soignant l'âme. Vu de l’extérieur, ce que mes amis et moi nous apprêtions à faire semble menaçant – mais comme nous l'avons vite découvert, plonger dans un trou de glace n'est pas une aventure effrayante, mais divertissante.

Cette nuit-là, la température est passée de -3° à -10°, et à minuit, lorsque nous sommes arrivés sur la rive de l'étang Golovinski à Moscou, le gel nous pinçait déjà sérieusement le nez. La première pensée aurait été de boire un verre pour se réchauffer. Néanmoins, boire avant de plonger dans un trou de glace est une idée stupide. Réchauffé par l'alcool, le corps sera soumis à une forte charge en raison du changement de température, et le cœur sera mis à rude épreuve. Ainsi, contrairement aux stéréotypes, il n'y avait pas d'ivrognes ou de personnes visiblement ivres à proximité du trou de glace. En regardant autour de moi, j'ai réalisé que le bain baptismal rassemblait des profils des plus divers.

Le trou dans lequel nous avons plongé était un trou « local », pour les gens du quartier. Un raver d'âge moyen, chauve, tatoué de façon complexe y a fait son apparition. Un homme à l’air intelligent et aux cheveux gris est aussi arrivé avec son jeune fils qui, de toute évidence, avait déjà sommeil, mais son père était catégorique : plonger, et pas d'objection. Un grand-père à l'allure athlétique était accompagné de son petit-fils de 15 ans, lui aussi sportif, qui s'est déshabillé à contrecœur pendant que le grand-père le filmait avec son téléphone. « Laisse-moi tranquille ! Range ta caméra ! Il fait froid, zut ! », se plaignait l’adolescent. Il y avait aussi un couple d'apparence aisée, et il était évident qu'ils ne se baignaient pas pour la première fois – la procédure est gratuite, mais les bienfaits que l’on en tire ne peuvent être achetés avec de l’argent. Et enfin, une femme âgée et son mari, qui ne se baignent déjà plus, mais qui sont venus avec plaisir observer les jeunes.

Bizarrement, il n'y avait pas de filles d'Instagram prenant des selfies avec la croix de glace en toile de fond. Toutes les jeunes femmes venues au trou de glace, toutefois elles aussi sportives et charmantes, l'ont fait dans le même but : faire trempette. Après tout, c'est très bon pour le tonus général de l’organisme et de la peau. Néanmoins, nous ne les avons pas vraiment admirées, nous étions aussi venus pour plonger.

Par contre, il y avait presque autant de policiers que de baigneurs – et l’on trouvait aussi des employés du ministère des Situations d’urgence et des services de secours. Comme me l’ont expliqué les agents de police, ils s'assurent que « les ivrognes ne se glissent pas dans l'étang » :

« L'année dernière et cette année, nous sommes de service ici, nous veillons à ce que personne ne se baigne dans un endroit inapproprié, car après nous devrons nous-mêmes les repêcher dans l'étang ! ».

Cependant, ce soir-là, ces professionnels s'ennuyaient plutôt, regardant les nageurs avec une envie mal dissimulée. Ils auraient aimé plonger, mais devaient affronter le froid, se balançant d'un pied à l'autre – étonnamment, il fait plus froid en restant habillé que d'être nu dans le froid glacial.

C'était là le principal secret du bain de la Théophanie, que nous avons ressenti personnellement. Dès que j'ai enlevé ma doudoune et mes deux pulls et que je suis sorti sur la glace en tongs et en peignoir, mon corps s'est immédiatement mis en mode d'auto-préservation, la sensation de froid a disparu et est apparu un sentiment d’excitation euphorique – je suis sur le point de plonger dans un trou de glace ! La vue des hommes et des femmes qui venaient de sortir de l'eau, rougis et souriants, n'a fait que renforcer mon enthousiasme.

Avant de m'en rendre compte, je me tenais près du trou soigneusement aménagé, réalisais le signe de croix et m’immergeais – trois fois, comme il se doit.

Étonnamment, je n'avais même pas envie de sortir de l’eau – même si j'ai dû céder la place aux baigneurs suivants. De la fumée émanait de mon corps, et mon esprit est immédiatement devenu lucide.

« Eh ben, voilà ce que c’est !, s’exclame à l’adresse de tout le monde et de personne en particulier un homme blond et efflanqué d'environ 50 ans, sorti du trou juste après moi et mes amis. Pour la première fois de ma vie, j'ai décidé d'essayer ! ».

Je pouvais dire la même chose – et maintenant je comprenais pourquoi les hommes plaisantaient sur « l'eau chaude » – pendant l’immersion, elle semblait brûlante, et maintenant le corps était incroyablement chaud, et tous mes membres paraissaient légers, malléables. Là encore, contrairement aux stéréotypes, il n'y avait aucune envie de boire de l'alcool, bien que nous ayons avalé 50 grammes chacun, comme il est de coutume pour la Théophanie.

Je me suis rhabillé et ai senti que j’avais vraiment très chaud. J'ai également compris que j'avais reçu un formidable regain d'énergie pour l'année à venir. Cette nuit-là, je me suis endormi instantanément.

Dans cet autre article, nous nous intéressions à la signification de cette fête religieuse et à la façon dont elle est célébrée exactement.