Ce groupe d’étudiants russes qui a créé une communauté internationale autour des échecs

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MARIA STAMBLER
Un groupe d’étudiants de l’Institut de physique et de technologie de Moscou (ou «MFTI», abréviation de son nom russe) a commencé à organiser des tournois d’échecs en ligne à l’automne 2020. Ils ont d’abord invité une équipe du MIT (Massachusetts Institute of Technology) avant d’organiser un tournoi international baptisé «Global Chess» (Échecs mondiaux). Des centaines d’étudiants de nombreuses universités y participent et y partagent leur amour du jeu.

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Tout a commencé en 2019. Le soir du Nouvel An, la résidence étudiante du MFTI était presque vide : la majorité des étudiants étaient rentrés dans leur famille après les examens.

Andreï Danilov, étudiant de troisième année et président du club d’échecs de l’établissement, s’ennuyait. Il a donc retrouvé un de ses amis et ils ont joué aux échecs. Ils étaient tellement absorbés par leur partie qu’ils n’ont même pas réalisé qu’il était minuit et que la nouvelle année était arrivée.

« On s’est ensuite rendu compte que de nombreux étudiants qui vivent dans la résidence ont arrêté de jouer aux échecs en arrivant à l’université. On a donc commencé à jouer plus souvent, et dans tous les styles : blitz, bullet, échecs rapides... Après, j’ai commencé à former les autres étudiants », se souvient Andreï.

C’était le tout début de ce qui deviendrait ensuite la startup Global Chess. Cependant, pour l’étudiant, c’est bien plus qu’un simple tournoi. Il s’agit d’une communauté unie par une même passion dont les valeurs sont l’honnêteté, le développement personnel, l’amitié et l’entraide.

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Un confinement pour les rassembler tous

Quand la pandémie de Covid-19 est arrivée, Andreï s’est retrouvé coincé à Odessa, ville côtière ukrainienne, et sa vie entière était maintenant en ligne. Avec ses amis amateurs d’échecs, il a créé une équipe en ligne et ils ont commencé à s’entraîner et à organiser des tournois à distance. C’était aussi une manière de s’adapter aux événements : avec les incertitudes créées par la pandémie, les échecs sont probablement la seule chose qui a empêché Andreï d’abandonner ses études.

« On a rapidement rencontré, en ligne, des étudiants du MIT qui étaient aussi confinés et qui étudiaient en distanciel. On s’est vite rendu compte qu’il n’y a aucune différence entre nous, et on parle même la même langue : le président de leur club d’échecs étudie le russe à l’université. Culturellement, on n’est pas si différents », déclare Andreï.

Leur premier tournoi contre les étudiants du MIT a été très intense : à la moitié de la compétition, les étudiants américains menaient 90 à 37. L’équipe russe s’est ensuite reprise et a réussi à remonter, puis à prendre la tête à seulement trois minutes de la fin du tournoi. Le score final a été de 104 à 100 en faveur des étudiants du MFTI.

« Ensuite, on a invité des équipes d’Harvard, de Stanford et d’autres universités à participer à nos tournois », continue Andreï.

Au final, lui et ses amis ont commencé à organiser des tournois de plus en plus importants, comparables aux compétitions interuniversitaires organisées par Garry Kasparov, célèbre joueur d’échecs russe. Ils ont alors décidé de faire des tournois en équipe selon le système suisse : les joueurs ne sont jamais éliminés et s’affrontent deux par deux à chaque tour. Ainsi, 415 joueurs de 38 universités différentes ont participé au dernier tournoi, organisé le 3 juillet 2021.

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« Avant, les tournois qu’on organisait selon le système suisse étaient très compliqués à gérer : on devait utiliser des sites différents pour les tirages au sort, noter les scores et jouer aux échecs. À la place, on a tout rassemblé en un seul lieu et créé notre plateforme, global-chess.com », explique Andreï.

Tout le monde ne peut pas participer aux tournois, mais si vous êtes un étudiant, récemment diplômé ou chercheur, vous pouvez jouer autant que vous le désirez.

Un futur hors-ligne ?

Bien que rassembler des joueurs du monde entier grâce à Internet soit merveilleux, jouer en face-à-face manque vraiment à Andreï et ses amis. Ils prévoient donc d’organiser un tournoi en vrai pour les étudiants.

« Nous allons faire une sélection selon un système hybride, puis chercher des sponsors pour payer le voyage des gagnants afin qu’ils puissent jouer face-à-face. Ce seraient 9-10 jours merveilleux, qui leur permettraient de jouer aux échecs, de découvrir la culture et le pays d’accueil ainsi que les universités organisatrices », ajoute-t-il.

Les étudiants du MFTI travaillent de plus sur un cours en ligne pour la plateforme Coursera, qui enseignera les échecs ainsi que les capacités d’analyse dans des situations de la vie réelle basées sur le jeu. Avec des programmeurs professionnels, ils créent aussi une plateforme pour jouer aux échecs selon le système de tournoi suisse. Ce projet a réussi à lever 400 000 roubles (4 600€). Enfin, l’équipe s’occupe d’une chaîne YouTube.

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Le but de Global Chess est de créer une vraie communauté et des amitiés qui vont au-delà des frontières, où les gens se comprennent les uns les autres, ainsi que d’inciter les participants aux tournois à atteindre leurs buts dans tous les aspects de leur vie, pas seulement aux échecs.

C’est ainsi qu’Arman Ghevondyan, maître de la Fédération internationale des échecs, est devenu ami avec un commentateur de l’université de Warwick, en Angleterre.

« Je commentais le tournoi et, à la fin de la diffusion, je suis tombé sur un live de mes collègues de l’université de Warwick. On a parlé quelques minutes des résultats de la compétition, puis on a chacun vaqué à nos occupations. Après ça, Jack m’a remercié sur Discord puis m’a proposé de revenir la prochaine fois. Sans qu’on s’en rende compte, on a fini par discuter plusieurs heures de tout et de rien. On s’est même mis d’accord pour faire quelques parties d’échecs et de Counter-Strike: Global Offensive ensemble », raconte-t-il.

« Le raisonnement analytique que les échecs font apparaître chez les joueurs rend possible la création d’une communauté où tout le monde se sent à l’aise, peut former des amitiés réelles, développer sa culture et évoluer continuellement. Il semblerait que de nombreux problèmes, aujourd’hui, viennent du fait que les gens n’analysent pas ce qui leur arrive et ce que les autres font. Résultat, ils font beaucoup de choses sans réellement y réfléchir. Les échecs, eux, apprennent aux joueurs à être conscient de chaque mouvement, de chaque action », conclut Andreï.

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