De qui est inspiré le joueur d’échecs Borgov du Jeu de la dame sur Netflix?

Scott Frank/Netflix, 2020
Au moins deux grands maîtres soviétiques pourraient être les prototypes du principal rival de la brillante joueuse d'échecs Beth Harmon. Tous deux ne laissaient aucune chance à leurs adversaires…

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« Il y a un joueur qui me fait peur. Le Russe Borgov », lance Beth Harmon, le génie des échecs du nouveau projet de Netflix Le Jeu de la dame (The Queen's Gambit). Ce drame sportif sur une jeune orpheline toxicomane et alcoolique, mais au talent incroyable, narre l’ascension de sa carrière de joueuse échecs dans les années 1960. Les rivaux sont tous des hommes, et le principal est une sommité soviétique, le champion du monde Vassili Borgov. Concentré et inexpressif, il préfère l'école classique au jeu intuitif et est stoïque comme un roc comparé aux autres rivaux de Beth. C’est le meilleur. Du moins au début…

Le Jeu de la dame une histoire complètement fictive, il n’y a pas un seul vrai joueur d’échecs parmi les adversaires de l’Américaine. Cependant, les personnages ont des prototypes assez proches, Borgov ne faisant pas exception. Alors, qui se cache derrière le personnage du grand maître soviétique ?

Boris Spasski

L'option la plus probable est le 10e champion du monde d'échecs et double champion d'URSS Boris Spasski. Les fans d'échecs ont immédiatement décelé son approche dans les caractéristiques et les tactiques de Borgov. Spasski était célèbre pour son habileté technique de fin de partie, et déconcertait également ses adversaires avec sa version secrète de la défense sicilienne (Beth est informée de ces « pièges » alors qu'elle se prépare pour le match l’opposant à Borgov). Tout comme Borgov, Spasski est célèbre pour sa confrontation avec un Américain - la légendaire « star » des échecs Bobby Fischer. Leur rencontre de 1972 a été qualifiée de « match du siècle » entre l'URSS et les États-Unis.

Bobby Fischer et Boris Spasski

Spasski a commencé à jouer à l'âge de 5 ans, dans un orphelinat, où lui et ses frères ont vécu pendant un certain temps pendant le Seconde Guerre mondiale. Avec la fin de la guerre, le garçon, comme envoûté, se rend au pavillon d'échecs du parc et y disparaît du matin au soir. En à peine un an, il obtient le titre de joueur de 1re catégorie, devenant ainsi le plus jeune sportif de première classe du pays. « L'un des problèmes des échecs pour les enfants est leur énorme fardeau émotionnel. Je rentrais à la maison et je m’effondrais littéralement. Et le lendemain matin, j'étais sûr d'être en retard à l'école », se souvient-il.

Vassily Smyslov, Mikhaïl Tal, Mikhaïl Botvinnik, Boris Spasski et Anatoli Karpov

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À l'âge de 18 ans, il est devenu le plus jeune grand maître de l'histoire à l’époque, et en 1969 - à l'âge de 32 ans - il remporte le Championnat du monde en battant Tigran Petrossian. À ce moment-là, Spasski avait déjà affronté Fischer à plusieurs reprises et l'avait battu. Comme dans l'histoire de Netflix, il a fait pleurer son adversaire : « Avec Fischer, il y avait des parties tendues, nerveuses. Fischer a même pleuré après un jeu », dit-il.

Autre référence : le fameux « match du siècle » entre Spasski et Fischer pour le titre mondial en 1972 devait se terminer au pire par un match nul, ce sur quoi insistait le comité des sports soviétique, lui rappelant que ce n’étaient pas ses ambitions personnelles qui primaient, mais la réputation du pays. Mais Spasski prend un risque et commet une erreur. Lorsque Fischer gagne, Spasski se joint aux applaudissements du public, tout comme Borgov dans son duel final avec Beth Harmon.

Ce combat a constitué l’apogée de la carrière de Spasski ; il n'a plus jamais réussi à vaincre Fischer. Pour ce jeu, il a reçu 93 000 dollars, avec lesquels il a acheté une Volga M 21 d'élite et a rapidement déménagé en France – dans son pays, on ne lui a jamais pardonné sa défaite et il fut privé de financement pour se rendre à des tournois. « J'ai reçu des invitations à participer à des tournois internationaux, mais le comité des sports a décidé de se venger pour ma défaite face à Fischer, estime le joueur d'échecs. Le déménagement de Moscou à Paris m'a donné l'opportunité de participer à tous les tournois internationaux. C'est la seule raison pour laquelle j'ai changé de lieu de résidence ».

Sa carrière a duré encore 20 ans, après quoi Spasski est retourné en Russie et a commencé à populariser les échecs dans le pays. Âgé de 83 ans, il vit actuellement à Moscou.

Anatoli Karpov

Karpov rappelle moins Borgov que Spasski, mais comme indiqué dans la préface du roman du même nom de Walter Tevis (la série est une adaptation), l'auteur s'est inspiré de trois grands joueurs d'échecs - Spasski, Fischer et Karpov.

Pendant dix ans, à partir 1975, Karpov a été le joueur le plus fort du monde. De plus, il a obtenu la réputation de « communiste en chef » dans le domaine des échecs. Ses matchs se sont souvent soldés par des scandales, notamment des accusations de pression psychologique et d’implication de parapsychologues lors de matchs. Viktor Kortchnoï (quadruple champion d'URSS qui a fui le pays pour la Suisse) a écrit dans un livre qu'il portait des lunettes de soleil « pour priver Karpov de son activité favorite : se tenir à la table en regardant son adversaire droit dans les yeux. Pendant que je portais des lunettes, il ne pouvait voir que son propre reflet ».

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Karpov a commencé à jouer à l'âge de quatre ans. C’est son père, un ingénieur militaire, qui lui a appris. En 1963, en tant que l'un des jeunes joueurs d'échecs les plus doués du pays, il a été admis à l'école du patriarche des échecs soviétiques - l’école Botvinnik. Botvinnik a alors déclaré à propos du jeune Karpov : « C'est dommage, mais Tolia (diminutif d’Anatoli, ndlr) n’arrivera à rien ». Et il avait totalement tort. Par la suite, Karpov deviendra le 12e champion du monde et récoltera neuf Oscars des échecs au cours de sa carrière (décernés au joueur d'échecs qui a remporté le plus grand succès au cours des 12 derniers mois). Son style de jeu peut être décrit comme une offensive calme, sans hâte, mais imperturbable, sans attaques vives, mais qui ne laisse aucune chance de contre-attaque. Cette fameuse « école soviétique » dont Beth Harmon avait si peur.

Après la célèbre défaite de Spasski en 1972, Karpov est devenu le principal espoir des échecs soviétiques. Cependant, il n'a jamais réussi à combattre Fischer : le joueur d'échecs américain a refusé de jouer (raison pour laquelle il a été automatiquement crédité d’une défaite) après que la Fédération internationale des échecs n'a pas rempli ses conditions pour tenir le tournoi. Pendant près de deux ans, Karpov a mené des négociations informelles pour que le match ait finalement lieu, mais sans succès. Karpov s'est avéré être le seul champion du monde de l'histoire à avoir non seulement reçu le titre sans avoir participé à un match ou à un tournoi de championnat du monde, mais aussi à n’avoir jamais joué un seul match contre le champion précédent. Par la suite, il a prouvé à plusieurs reprises la légitimité de son titre lors de nombreux tournois.

Au même moment, Karpov combinait sa carrière d'échecs avec d'autres activités. Il a obtenu son diplôme de la faculté d'économie dix ans plus tard, en 1978, c'est-à-dire quand il était déjà champion du monde, et a travaillé dans ce domaine. En plus de sa carrière politique (député du Soviet suprême de l'URSS, député de la Douma d'État du parti au pouvoir Russie unie à plusieurs reprises, jusqu’à présent), il était engagé dans le domaine bancaire et des affaires, et fut  le président de la société Berghoff - Russie. Aujourd'hui, Karpov est principalement engagé dans la politique, où il est spécialisé dans les questions ethniques. Il est également considéré comme l'un des philatélistes les plus célèbres de la CEI - sa collection de timbres est estimée à pas moins de 13 millions d'euros.

Pourquoi les échecs sont-ils devenus le sport de prédilection de l’URSS ? Trouvez la réponse dans cette publication.

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