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Naïk Paris-Brochec, 36 ans, sort de son appartement saint-pétersbourgeois, situé à seulement cinq minutes à pied du théâtre Mariinski. Le Français ne vit pas en Russie, mais au cours des cinq dernières années il s’y est rendu une quinzaine de fois, répondant aux appels de son cœur. Quelle est donc la source de ses impulsions, le poussant à revenir encore et encore dans la cité sur la Neva ?
Une partie de l’histoire familiale
Naïk est relié à Saint-Pétersbourg par les fils impérissables de son histoire familiale, qui remontent loin dans le passé.
Ses ancêtres sont venus s’у installer en tant qu’artisans au XIXe siècle, afin de concevoir des gants de luxe pour le tsar et sa famille, ainsi que pour les généraux et amiraux de l’armée impériale. « Il y a eu des mélanges au fil des siècles entre des membres de ma famille et des Russes de Saint-Pétersbourg, mais la nationalité française a toujours été gardée », relate-t-il.
La Première Guerre mondiale a toutefois bouleversé la vie de ces artisans français dans la capitale de l'Empire russe. La plupart des membres de la famille de Naïk sont retournés dans leur pays pour combattre aux côtés de l'armée française. Toutefois, plusieurs autres ont vécu dans la Venise du Nord jusqu'à la Révolution de 1917. « Depuis ce temps nous parlons plus de tradition russe familiale, plutôt que d’origines », explique notre interlocuteur.
Le dernier gardien de cette tradition dans la famille de Naïk a été son grand-père, dont le père est né dans la ville prérévolutionnaire de Pétersbourg. Cet homme de 88 ans a souvent parlé à son petit-fils de sa seconde patrie. Réalisant que la connexion familiale avec la Russie était sur le point de se rompre, Naïk a donc commencé à agir. « Pour moi il ne fallait pas hésiter, je voulais que mon premier séjour à Saint-Pétersbourg soit un tournant dans ma vie, confie-t-il. Je voulais faire les choses entièrement, je voulais prendre une décision forte ».
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Une ville à ne pas perdre
Cette « décision forte » a été pour Naïk l’achat, en 2015, d’un logement dans la cité impériale, dans laquelle il n’avait pas encore pu passer plus de quelques jours. Il se souvient encore, dans les moindres détails, de tous les événements de sa première rencontre avec la Venise du Nord, depuis le moment où il a laissé ses affaires dans un hôtel près de la perspective Nevski et a profité pour la première fois des Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, jusqu'au moment de signer les documents nécessaires avec l'agent immobilier. « J'ai alors poussé un soupir de soulagement et je me suis dit en pensée : "Maintenant, l'histoire continue !" », dit le Français.
La première séparation avec la ville lui a été difficile. En regardant ses contours dans le hublot de l'avion, Naïk a involontairement pensé à ce que ses ancêtres pouvaient ressentir lorsqu'ils quittaient leur foyer. « Après seulement quelques jours dans cette ville j’étais triste de partir, alors comment eux avaient-ils pu se sentir après toute une vie à Saint-Pétersbourg ?, se remémore-t-il. Je me suis ensuite ressaisi, car après un siècle j’ai une chance incroyable que mes ancêtres n’ont pas eue : la possibilité de partir et revenir à Saint-Pétersbourg autant de fois que je le souhaiterai. À l’infini, et pour toujours ».
Depuis lors, malgré un emploi du temps chargé qui ne permet pas au Français de voyager beaucoup, Naïk a essayé de venir dans la ville sur la Neva au moins 3 à 4 fois par an. Il a d’ailleurs tellement « pris racine » à Saint-Pétersbourg, que de l'extérieur il est impossible de reconnaître en lui un étranger, et lui-même ne se sent pas comme tel.
Une histoire, non d’architecture, mais d’atmosphère
L'activité favorite du trentenaire à Saint-Pétersbourg est la marche, promenades durant lesquelles l’on peut profiter à l'infini des vues, mais pas seulement. « Lorsque cela est possible je préfère marcher dans le centre, cela me permet d’humer l’air ambiant, de ressentir l’atmosphère, et ainsi de me sentir plus proche des gens », affirme-t-il.
Le Français aime par-dessus tout le quartier de Kolomna, une partie historique de la capitale du Nord avec des bâtiments préservés du XIXe siècle. En foulant le pavé local, Naïk admet qu'il est en extase devant la beauté de Saint-Pétersbourg et, malgré l’apparence de la ville, reflétant une influence européenne ancienne, il y ressent une grande énergie, de la jeunesse et de la créativité.
Pendant ce temps, les berges des canaux, recouvertes de granit et avec de vieilles demeures serrées les unes contre les autres, défilent devant le Français. Admirant la magnificence qui l'entoure, Naïk se dirige lentement vers le port maritime, s'éloignant progressivement du centre.
« Au contraire de certaines villes où les zones industrielles et les quartiers d’habitations sont séparées, à Saint-Pétersbourg ils sont imbriqués, partage-t-il ses pensées, observant les passants hétéroclites. Je suis fasciné par ces quartiers où il y a tout un peuple d’ouvriers qui se mélange avec des jeunes couples, des commerçants, des grands parents, des enfants… ».
Une ville de haute culture
Un autre fil non moins important qui relie fermement le Français à Saint-Pétersbourg est sa passion pour la culture russe, qui semble imprégner toute la ville jusqu'à sa moindre pierre.
Par exemple, c'est ici, dans la capitale de la Russie impériale, que plusieurs générations des plus brillants écrivains russes ont vécu. C'est dans ces rues que le plus important poète national, Alexandre Pouchkine, a écrit ses poèmes. En ce lieu, se sont également déroulées les intrigues du Nez et du Manteau de Gogol.
« Mais sans doute Dostoïevski est le nom qui revient le plus souvent lorsqu’on pense à Saint-Pétersbourg et sa littérature », note Naïk, ajoutant que ce sont précisément les ouvrages de cet homme de lettres qui ont pour lui été de « vrais attraits envers cette ville presque mythique ».
Lors de ses visites à Saint-Pétersbourg, le Français a également réussi à se familiariser avec le monde des artistes locaux. L'une des expériences les plus étonnantes a ainsi été pour Naïk un voyage « dans les profondeurs » des célèbres appartements communautaires de la ville, qui cachaient des dizaines de petits studios. « C’est toute l’époque soviétique qui ressurgit alors ! Dans de vieux immeubles du centre-ville on pénètre dans un monde révolu qui vit encore, se souvient-il avec enthousiasme. Il est intéressant de découvrir l’intemporalité des lieux face à une créativité toujours renouvelée… ».
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C’est une anecdote du quotidien qui a fini de convaincre Naïk que « Piter » était surnommée la capitale culturelle de Russie pour une raison. Ce jour-là, le Français est allé prendre quelques verres dans un bar près de son appartement. « J’étais stupéfait de me rendre compte que tout le monde connaissait non seulement les pas de deux et autres entrechats, mais aussi le nom des danseurs qui étaient considérés comme de vrais stars… », témoigne-t-il, précisant avoir été « fort impressionné par ce décalage entre la classe populaire qui vient habituellement dans ce bar et cet art du ballet classique qui est considéré en France comme un art élitiste ».
La chaleur des locaux
À Saint-Pétersbourg, Naïk, selon ses propres mots, n’a jamais eu de problèmes en tant qu’étranger. « Chaque fois qu’une situation compliquée pointait le bout de son nez, j’ai eu la chance de me faire aider par des habitants de la ville qui m’ont trouvé des solutions. Les Pétersbourgeois ne comptent pas leur temps pour rendre un service où se rendre utiles. C’est très appréciable ! », constate-t-il.
Ainsi, les vents froids de ce port impérial n’ont pas tardé à se remplir de chaleur pour ce Russe de cœur. « Dans mon quartier, tout le monde me connaît maintenant, et lorsque je pousse la porte d’un café ou d’un commerce on s’exclame toujours : "Voici notre Naïk !". Cela me fait très plaisir et cela m’aide à me sentir bien accepté dans ma nouvelle communauté », décrit-il.
Il est possible que les habitants aient la capacité de voir le passé et de sentir en lui l’un des leurs, mais ils sont très probablement simplement ouverts à tous ceux qu'ils rencontrent et ne sont pas avares en émotions fortes. « Pour vivre à Saint-Pétersbourg il faut avoir le cœur bien attaché », prononce pensivement Naïk, fixant du regard les contours des navires dans le port. Il ne faut pas avoir peur de se laisser aller à des sentiments complexes, hors normes ».
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