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Premier jour : Tinder
Il existe de nombreux sites de rencontres en Russie, et presque tous copient l'interface de Tinder. Sans réfléchir longtemps, j'ai donc téléchargé l'application, y ai publié quelques photos de mes vacances, décoré mon compte d'une brève description de mes passe-temps favoris et commencé à trier les gens à droite et à gauche. Il était un peu plus difficile de les faire glisser vers la droite (sur Tinder, glisser un profil vers la droite signifie qu’on est intéressé), car un tiers des comptes des hommes à Moscou ressemblent à cela :
Cependant, je n'ai pas abandonné et ai même accepté ceux qui avaient des chats et des chiots en guise de photo de profil. Les matchs ont suivi immédiatement, et je me suis surpassée, en ayant collecté 275. Et tout se serait bien passé, si ce n’est que... aucun d'entre eux ne m'a écrit. Sérieusement. Aucun.
Pour vous faire comprendre, on apprend aux filles en Russie à ne pas écrire les premières, mais à attendre le premier pas de l’homme. J'ai donc piétiné mon ego féminin et ai commencé à écrire « Bonjour » à des gars qui me plaisaient. Le soir, j'ai eu le dialogue suivant avec l'un d'entre eux :
Moi : « Salut »
Lui : « Oh punaise »
Moi : « ??? »
Lui : « Ohh p*tain quelle… »
Moi : « Tu peux déchiffrer s’il te plait ? »
Lui : « Ben désolé, j’suis pas journaliste, contrairement à toi, j’peux pas m’exprimer autrement. Salut »
À la fin de la journée, un des hommes a fait preuve d'initiative. Voici son message : « Bonjour. Ma journée a bien commencé, je suis en perpétuelle recherche d'amis pour du sexe ».
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« T’es idiote ou quoi d’être sur Tinder ? Les gens là-bas y sont soit pour le sexe, soit pour augmenter leur estime d’eux-mêmes », m'a dit une amie quand je lui ai parlé de mon expérience de « socialisation » sur l'application. Je me suis alors souvenu que la dernière fois que j’avais été sur Tinder, il y a plus d'un an, j'avais à peine répondu aux messages, mais que j’avais beaucoup aimé recevoir des compliments, et à chaque match, mon estime de moi-même était montée au ciel. Et si j’avais été ainsi, alors quel droit aurais-je d’accuser les hommes qui en font autant ?
Deuxième jour : Réseaux sociaux
Les choses auraient dû être beaucoup plus simples avec Facebook – mon compte est plein depuis longtemps, les photos d'Instagram collectent les likes mérités de mes collègues et amis, et le système lui-même nous recommande des personnes qui devraient être ajoutées à notre liste d’amis.
Avant même de commencer à chercher ma moitié, j'ai reçu un message dans Messenger : « Salut, tu as un Instagram incroyable, il semble que tu aurais dû aller à notre université pour étudier la poésie dans le département de littérature ».
J'ai essayé pendant longtemps de découvrir en quoi mes photos de paysages prises sur mon iPhone et mes selfies étaient liés à la poésie, mais il s'est avéré que c'était un compliment fantaisiste d'un correspondant du département technologique d’un journal économique russe. Après quelques heures de correspondance sur le journalisme, les films fantastiques et la série The Witcher, il m'a invité dans un bar. Pour exprimer sa sympathie, il a même mis une des photos que j'avais prises en écran de veille. En réalisant que c'était la plus haute forme de compliment pour un geek, je me suis rendu compte que je devais y aller.
Le geek est arrivé en jean slim et avec des chaussures énormes. Les poches sous ses yeux apparues en raison de sa recherche 24h/24 de news semblaient occuper la moitié de son visage, et ses yeux privés de sommeil se confondaient avec l'éclairage rouge du bar. C’est avec soulagement qu’il a plongé sur le canapé à côté du palmier artificiel. J'ai alors commandé un aperol et ai fait une erreur catastrophique. C’est un café qu’il m’aurait en effet fallu pour écouter ses histoires de travail pendant une heure et demie. J'ai réussi à hocher la tête plusieurs fois avec empathie, à émettre des sons inintelligibles, à toucher le palmier et à étudier tous les couples qui s'embrassaient.
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L’aperol a agi rapidement, et les histoires de collègues horribles et de méchants conférenciers ne cessaient pas. Quand j'ai eu l'impression que j'allais m'endormir, j'ai fait la pire chose qui puisse arriver : « soudainement », je me suis souvenu d'une réunion qui, bien sûr, était imaginaire, et ai couru chez moi.
Troisième jour : Lieu public
« Je sais que tu es de la mafia. Tu sais pourquoi ? Parce que tu es p*tain d’incroyable », me lance un homme mignon d'une trentaine d'années aux racines géorgiennes, en sirotant un verre de vin blanc. Il est environ 6 heures du matin. Moi, lui, mon amie et 13 autres personnes jouons au jeu de société Mafia [équivalent russe des Loups-Garous de Thiercelieux] dans un café de Moscou. J'ai atteint mon objectif, mais bon sang, aujourd’hui, tout ne s’est pas passé comme prévu.
Le troisième jour, j'ai décidé d'envoyer le virtuel en enfer et de rencontrer un homme dans un bar. Mon visage était maquillé, mes cheveux bouclés, et j'ai même trouvé un prétexte pour porter une robe. Je cours dans l'ascenseur pour monter au bureau, déjà en train de planifier la rencontre parfaite, quand soudain mes pensées sont interrompues par une odeur de médicaments et une toux douloureuse :
« Jeune fille, appuyez sur troisième étage. Bien qu’avec une telle fille, on peut aussi aller au sixième », me sort avec un sourire sournois un grand-père de 75 ans en chemise amidonnée. Et il rit. J'ai ri en réponse et me suis précipitée vers la sortie, décidant de finalement emprunter les escaliers.
Vers deux heures du matin, mon amie et moi dansons sur du Linkin Park dans un bar de Moscou. Deux hommes qui se sont présentés comme Portugais (je ne me souviens de rien d'autre à leur sujet) nous donnent une autre dose de whisky-coca. Je pense que c'est le quatrième. Mon amie saute littéralement de joie et crie quelque chose. Je n'entends pas un seul mot de ce qu'elle dit, ma tête se met à bourdonner, mais à travers la musique j'entends un passage du dialogue de ces fameux Portugais :
« Regarde comme elles dansent, ce sont vraiment des débiles de rockeuses. Tu prends qui ? Je peux prendre la brune », dit l'un d'eux dans un russe parfait, en essayant de saisir ma taille sans ma permission.
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Je m'écarte, grommelle quelque chose à propos d'un mal de crâne, prends la main de mon amie et la traîne à l’extérieur. Nous nous arrêtons au café le plus proche, pour attendre que le métro s'ouvre et dessaouler. En nous calmant avec du thé vert, nous entendons des cris et des rires venant de la pièce voisine. Notre curiosité s'éveille et nous voici pendant plusieurs heures d'affilée à jouer à Mafia. Ce même Géorgien prend mon numéro de téléphone et le lendemain matin, il appelle pour un rendez-vous. Et oui, j'étais vraiment un membre de la mafia durant cette partie. Il m'a démasquée au dernier tour.
Quatrième jour : Entremetteur
« Avez-vous déjà eu une expérience de relation ? », me demande un homme de 42 ans dans un costume strict. À ma réponse affirmative et calme, il panique instantanément.
« Vous avez déjà embrassé et tout le reste aussi ? C'est une catastrophe ! Tous les hommes veulent des vierges ! Alors, nous dirons aux hommes que c'était une erreur de jeunesse, mais que vous vous êtes déjà repentie et recommencez votre vie à zéro », déclare Sergueï.
Sergueï est entremetteur dans l'une des principales agences matrimoniales de la ville. Ces agences connaissent encore du succès en Russie auprès de ceux qui ont essayé les méthodes précédentes et n'ont pas trouvé leur âme sœur. Les entremetteurs vous expliquent comment remplir un questionnaire Tinder, comment répondre aux messages des hommes, ce qu'il faut dire lors des rendez-vous, et aussi, pendant 4 mois, organisent ces mêmes rendez-vous. Tout cela coûte au moins 54 000 roubles (630 euros). Il existe plusieurs tarifs dans le programme – le plus cher d'entre eux coûte 1,5 million de roubles (17 450 euros). Pour ce montant, l'entremetteur garantit d'amener le client au mariage, promet des consultations même après l’officialisation de l’union et de « changer complètement notre personnalité pour le mieux ». La première consultation est gratuite. Et c’est de cette dernière que j’ai profité.
Sergueï enseigne les relations traditionnelles, où l'homme est le chef de famille. Selon lui, cela devrait d’ailleurs être précisé dans la législation russe, et jusqu’à ce jour, aucune de ses clientes ne s’est rétractée. Dans la demi-heure qui suit, dans un petit café de Moscou, il m’explique qu’il ne faut en aucun cas contredire un homme, que la moitié des gens ne peuvent trouver leur âme sœur à cause de problèmes avec leurs parents, et que je ne suis « pas le cas le plus désespéré, car intelligente et dotée d’un visage plutôt pas mal ».
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Après m’avoir laissé sa carte de visite et accordé un jour de réflexion, Sergueï me dit au revoir et s'assied à la table d'en face. En sortant du café, je l'entends parler à une jolie femme rousse de 35 ans : « Alors, combien de relations avez-vous eu ? Souvenez-vous, tous les hommes ont besoin de vierges... ».
Cinquième jour : Speed Dating
« Un soir, en sortant du travail à pied, mon cœur battait la chamade, j'ai tout de suite compris que si je m'asseyais maintenant, je ne pourrais pas me relever », relate calmement un jeune homme maigre à lunettes, en se versant un thé à l'argousier. Il y a six filles et 13 garçons dans le café. Les gars s'assoient à tour de rôle auprès de chaque femme. Chaque couple a cinq minutes pour parler et les gars changent de partenaire jusqu'à ce qu'ils parlent à toutes les filles. C'est mon premier interlocuteur aujourd'hui, et oui, il a décidé de me dire comment il a failli mourir en sortant du travail.
« Et toi, t’as déjà eu un truc comme ça ? », me demande-t-il avec enthousiasme. J'essaie de me souvenir, mais la seule chose qui me vient à l'esprit est cette histoire où, il y a quelques années, je me suis retrouvée coincée dans un tas de neige sans pouvoir en sortir pendant 5 minutes.
« Donc, si tu n’en étais pas sortie, tu aurais pu mourir de froid et tu n’aurais pas été ici aujourd'hui ? », m’interroge mon cavalier en riant fort, comme si je racontais une blague. Naît en moi l'impression de parler à un maniaque. Je lui donne mentalement un gros carton rouge. Heureusement, le temps imparti arrive à sa fin et le prochain partenaire me rejoint.
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En une heure et demie environ, j'ai parlé à quatre programmeurs, un militaire, un gopnik [racaille russe], un étudiant et quelqu'un d'autre. Au quatrième partenaire, vous oubliez à qui vous avez parlé il y a cinq minutes, au dixième, vous commencez à avoir très mal à la tête et vous rêvez de rentrer chez vous.
« Tu dois être fatiguée. Désolé, je suis le dernier, je ne pourrai sûrement pas te remonter le moral », me déclare un dernier homme en s’asseyant. Petit, légèrement en surpoids, également programmeur, pas du tout mon type. Mais extrêmement poli. Et des yeux bienveillants.
En cinq minutes, il raconte une histoire qui me fait presque pleurer. La semaine dernière, il est allé sur Tinder, a rencontré une fille, qui a rapidement pris rendez-vous dans un café. Lors de leur rencontre, elle est cependant partie commander à boire et a disparu, tandis que lui a reçu une grosse addition. Quand il a refusé de payer, deux gros bonnets sont entrés dans l’établissement. Ils l'ont emmené dehors, l'ont battu et lui ont pris tout l'argent qu'il avait.
« Alors je suis ici. Je ne pense pas pouvoir trouver quelqu'un ici, mais au moins je vais me distraire des émotions négatives », confie-t-il. Je comprends que le sentiment de pitié ne soit pas le meilleur, et qu'il ait pu mentir, mais je ne peux m’empêcher de lui tenir la main tout le reste du rendez-vous pour essayer de lui remonter le moral d'une manière ou d'une autre. C'est le seul speed-dater à qui j'ai écrit par la suite.
***
Toute la semaine, j'ai essayé de rencontrer quelqu'un, et ai fait la connaissance de nombreux hommes. Certains d'entre eux sont des sauvages que vous voulez oublier le plus vite possible. Mais cela ne signifie pas qu'ils ne méritent pas le bonheur – cela signifie juste qu'ils ne sont pas faits pour moi, mais qu'ils conviendront à quelqu’un d’autre, en un autre lieu et à un autre moment. Et oui, durant cette semaine, je n'ai finalement pas rencontré de mec pour une relation, mais il semblerait que je me sois fait un ami.
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